Harlan Coben: «On peut tout savoir de ce que chacun fait sur internet»

Invité d’honneur de la Foire du Livre, Harlan Coben était attendu par de nombreux fans de ses thrillers peuplés de personnages ordinaires dont la vie dérape subitement. Le dernier, Intimidation, parle de secrets, de mensonges, de disparition dans une petite ville de ce New Jersey où l’auteur vit et travaille. Comme souvent, la famille est au cœur de votre dernier livre… D’une part, la famille est la chose la plus importante dans ma vie. D’autre part, je me suis rendu compte que plus je suis spécifique, plus je suis universel. Si j’écrivais en essayant de parler des choses connues de mes lecteurs bulgares ou belges, ça ne marcherait pas. Alors que lorsque je parle du petit monde que je connais vraiment, cela parle à tous, dans le monde entier. Le mensonge peut tout détruire ? Quand on a quelque chose auquel on tient plus que tout, il n’est jamais simple de le garder. Même lorsqu’il s’agit des gens qui nous sont les plus proches. Ça c’est un peu le thème. Après, j’essaie de raconter les meilleures histoires possibles. Je crois qu’une des pires choses qui soient pour un auteur, c’est de se croire autoriser à donner des leçons à ses lecteurs. Si vous retirez de votre lecture quelque chose qui vous aide ou vous questionne dans la vie, tant mieux. Mais je veux d’abord que cela vous emporte, vous renverse, vous broie un peu le cœur… Tout part d’un site internet permettant à des gens de construire un mensonge. D’où est venue l’idée ? Ce livre est parti d’un site bien réel. Il en existe énormément et on y trouve des choses vraiment étranges. À partir de là, j’ai commencé à imaginer une intrigue. Le monde d’internet et des réseaux sociaux vous intéresse ? C’est plus simple que cela. Si j’avais écrit dans les années 70, mes personnages auraient parlé au téléphone et personne ne s’en serait étonné. Aujourd’hui, ils font comme tout le monde dans la vraie vie. On surfe sur internet, on consulte wikipedia, on google les gens avec qui on a rendez-vous pour en savoir un peu plus sur eux… Mais il y a un risque ? Oui parce que les gens pensent qu’internet est un truc discret. Ici, dans la rue voisine de l’hôtel, il y a des sex shops et on croise des types qui y entrent en jetant un regard autour d’eux pour être sûr qu’il n’y a personne de leur connaissance dans les parages. Avec internet, les gens ne se méfient plus puisqu’ils font tout anonymement avec leur écran pour seul interlocuteur. Alors ils se permettent tout en pensant que cela restera secret. Mais c’est un leurre absolu. On peut tout savoir de ce que chacun fait sur internet. Dans plusieurs de vos livres, tout part d’un secret… C’est un phénomène qui nous touche tous. Nous savons tous que nous sommes plus complexes que ce que les autres croient. Les gens qui vous côtoient tous les jours ne savent pas tout de vous. Et vous le savez. Mais le plus souvent, on se croit unique. On sait qu’on est complexe mais on croit que les autres sont simples et qu’on connaît tout d’eux. Jusqu’au jour où… Comment construisez-vous un livre comme celui-ci ? Pour un livre comme celui-ci, je connaissais le début et la fin. Tout le reste, je le laisse survenir en cours d’écriture. Donc c’est assez libre. Mais j’écris souvent en réaction au livre précédent. Si j’ai fait quelque chose de très intimiste, je vais passer à une fresque plus vaste. Si j’ai livré une intrigue très sombre, je reviens avec quelque chose de plus léger. Pour le reste, je ne suis pas du genre écrivain solitaire. Il m’arrive d’avoir besoin d’un peu de calme mais je peux parfaitement écrire ici dans le hall de l’hôtel, dans un train, un avion ou n’importe où ailleurs… Vos personnages sont toujours complexes Je ne crois pas que le monde se divise en bons et méchants, en noir et blanc. Je crois qu’on est beaucoup plus dans le gris. Et littérairement, les réponses en noir et blanc ne sont pas intéressantes. Ce qui m’intéresse, c’est de vous emmener aux côtés de mes personnages et de vous amener à vous demander à quel point ils sont bons ou mauvais. Si je vous dit simplement ce que mes personnages ont fait, vous décréteriez sans doute facilement que l’un est le bon et l’autre le méchant. Ça n’a aucun intérêt. Ce qui est intéressant, c’est de suivre les personnages pour apprendre à les connaître... et ne plus trop savoir comment les juger. Vous vous identifiez à certains ? À tous. Pour être auteur, il faut avoir de l’empathie. Pas de la sympathie. Je ne suis pas du tout d’accord avec certains de mes personnages. Mais pour les écrire, je dois être en empathie avec eux. Contrairement à beaucoup d’auteurs de votre génération, vous ne parlez jamais de politique, ne faites aucune référence directe à l’actualité… C’est un choix ? Absolument. Je ne veux pas parler de politique. Aujourd’hui moins que jamais (rires). Mais en fait, il y a plein de petites touches politiques. Je ne les affiche pas en grand, j’essaie de les faire survenir de manière plus subtile. Par exemple, dans mon dernier livre paru aux États-Unis, le personnage principal adore les armes. Moi je n’aime pas cela du tout. Mais je ne veux pas vous dire ce que vous avez à penser. Je veux que vous décidiez par vous-même et que vous soyez même mal à l’aise avec cette question. C’est pourquoi j’ai besoin d’avoir cette empathie avec mes personnages. Pour les rendre humains et que vous vous demandiez si ce qu’ils font est juste ou pas. De quoi parle ce prochain livre ? C’est tout l’inverse d’une histoire intimiste. J’ai rencontré quatre autres femmes pilotes de l’armée et à partir de là, j’ai créé un personnage de femme, pilote d’hélicoptère, revenant d’Irak avec un syndrome post-traumatique… Un univers éloigné du vôtre. Comment vous documentez-vous sur ce genre de choses ? Je me documente peu. J’ai rencontré ces femmes par hasard lors d’une tournée au Koweït. Lorsque j’avais besoin d’autres infos, j’appelais quelqu’un qui s’y connaissait. Si demain j’écris un livre où je dois savoir comment travaille un journaliste à Bruxelles, je vous téléphone, vous m’expliquez comment vous travaillez et je transpose cela dans mon livre. Plusieurs de vos livres ont été adaptés au cinéma et à la télévision en France. Toujours rien à Hollywood ? Si, Julia Roberts a beaucoup aimé ce dernier livre. Elle se démène actuellement pour le produire. Mais Hollywood est un endroit étrange. Les droits de certains de mes livres y ont été achetés il y a presque vingt ans et on attend toujours que cela se tourne.

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