Peur: la réponse policière
Depuis un an, la surveillance policière et militaire est renforcée. Plus de bleu et de kaki en rue peut rassurer mais aussi cristalliser la peur ou stigmatiser des quartiers ou des individus…


Des militaires en rue ou des policiers en patrouille renforcée, c’est depuis un an devenu habituel chez nous ; quant à nos voisins français, ça fait déjà quelques années qu’ils vivent en plan Vigipirate. Un tel dispositif permet-il de dissuader le terroriste ? Chercheuse au Centre de recherches criminologiques de l’ULB, Sybille Smeets nuance : « On part du postulat que mettre plus de policiers ou militaires va en effet dissuader le passage à l’acte. Mais c’est une supposition, la réalité est plus complexe et la recherche scientifique a même tendance à souligner le contraire : l’impact général est faible, et c’est sans compter le déplacement des problèmes. Si un endroit est fortement et surtout visiblement surveillé, le délinquant peut chercher une autre cible, un autre lieu, un autre moment… De plus, avoir plus de policiers en rue n’assure pas forcément une augmentation de la récolte d’informations pertinentes : vous allez voir plus de choses mais pas nécessairement les phénomènes ciblés ; quel que soit leur nombre, les policiers ne peuvent voir que ce qui est évident. On finit par signaler tout et n’importe quoi, ce qui nuit à l’efficacité et renforce les préjugés. Les patrouilles en voiture, en particulier, ont une efficacité très limitée dans cette détection, plusieurs recherches scientifiques l’ont montré ».
Avoir plus de policiers en rue n’assure pas forcément une augmentation de la récolte d’informations pertinentes.
Coût budgétaire et risque de stigmatisation – Sybille Smeets évoque d’autres conséquences de cette surveillance renforcée.
Plus de bleu, plus de kaki en rue peut néanmoins réconforter la population et c’est un argument qui a souvent été entendu. On a aussi lu ou vu dans les médias, des passants témoigner en ce sens. « Si la présence militaire ou policière peut dans un premier temps rassurer la population ou une partie d’entre elle, c’est de manière limitée », réagit la chercheuse, « les sentiments de sécurité et de satisfaction peuvent décroitre avec le temps : on s’habitue. Parfois c’est même contre-productif, on peut se sentir mal à l’aise parce qu’on se dit que s’ils sont là, c’est bien la preuve qu’il y a menace. Par ailleurs, si vous appartenez aux populations ciblées par la surveillance, ou les contrôles, vous finissez souvent par avoir peur de la police elle-même. Les réactions sont plus mitigées qu’il n’y paraît ».
La priorité est aujourd’hui à la surveillance, avec pour conséquence l’obligation, faute de temps, de délaisser d’autres volets de l’activité policière, aussi essentiels, et d’autres modalités d’action, caractéristiques des îlotiers ou des agents de quartier : le relationnel. « L’agent de quartier est l’interlocuteur de proximité ; il connaît les habitants, les habitants le connaissent. Mais, aujourd’hui, on lui demande avant tout de surveiller : être attentif, par exemple, à des jeunes hommes, sans lien de parenté, qui s’installeraient ensemble ; à des musiques qui seraient diffusées dans des cafés ; à des signes de pratique religieuse musulmane intensive qui apparaitraient dans des maisons ; à des filles qui commenceraient subitement à porter le voile, etc. C’est de l’information privée, sans lien avec des enquêtes ou des dossiers précis, qui intègre des bases de données diverses, difficiles à contrôler. Ces pratiques sont justifiées par la menace, l’urgence, la gravité des faits, mais elles sont quand même attentatoires à la vie privée. Elles doivent rester très limitées », prévient Sybille Smeets.
Lire également les analyses de Julien Pieret et Thomas Berns, dans ce dossier de Carnets d’identités.
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