Anne Weyembergh: «60 ans après Rome, l’Europe est face à un choix»

Le Traité de Rome, un bon texte ou manquait-il des choses ? Il a 60 ans, il faut donc se remettre dans le contexte de l’époque pour le comprendre. Avec les deux autres traités (CECA en 1951 et Euratom en 1957), il était véritablement novateur pour l’époque. Bien sûr, il se concentrait sur les secteurs économiques. Mais ce focus doit se comprendre à travers la méthode Monnet-Schuman des petits pas. Elle visait à construire l’Europe par le bas grâce à la mise en place d’une gestion commune entre plusieurs pays, mais dans des secteurs limités et stratégiques afin de lancer une solidarité de fait. C’était une méthode d’intégration progressive. Il aurait été irréaliste de faire autre chose à l’époque. Le but n’était pas de construire une organisation internationale de type intergouvernemental, mais une Europe plus intégrée. Les pères fondateurs, comme Robert Schuman, savaient très bien que l’Europe ne se ferait pas d’un coup. Ils avaient vu clair puisque ça a marché pendant cinquante ans. Bien sûr il y a eu des difficultés avant, mais l’élargissement brutal de 15 à 25 est clairement un des facteurs de la crise que l’UE traverse. L’idée était bonne, mais peut-être pas très réaliste. On a sans doute péché par excès d’optimisme. L’Europe a accueilli des pays qui n’avaient pas la même tradition démocratique. Et le Traité de Maastricht ? Il a constitué une étape essentielle dans l’établissement d’une union plus politique après l’Acte unique qui a relancé le Marché intérieur. C’est entre autres Maastricht qui a introduit la notion de citoyenneté européenne. Il a aussi englobé de nouveaux secteurs sensibles comme la justice et les affaires intérieures (JAI), de même que la politique étrangère et de sécurité commune (Pesc). Il était impossible à l’époque de communautariser ces matières, les consciences n’étaient pas prêtes. On a donc dû insérer deux piliers intergouvernementaux. La justice et les affaires intérieures ont ensuite été partiellement communautarisées avec le Traité d’Amsterdam. Puis pleinement avec Lisbonne. Fragile, la construction européenne ? Plus fragile que les Etats en tout cas. On a trop souvent l’impression qu’elle est à leur merci. Le Conseil de l’Union et ses Etats membres sont puissants. Il y a cette attitude ingrate des Etats membres qui s’approprient les succès de l’Union et lui attribuent les échecs et les difficultés. Mais c’est vrai que l’UE et ses institutions sont handicapées par un excès bureaucratique. Tout cela est très lourd à manier et met énormément de temps à se décider. Les procédures décisionnelles sont peu adaptées aux situations de crises où il faudrait trancher rapidement. L’élargissement n’a pas aidé puisqu’il est devenu plus difficile de se mettre d’accord. Mais il ne faut surtout pas attribuer tous les maux aux derniers arrivés, c’est ce que démontre le Brexit. Décider seul, croire qu’un Etat peut encore prendre seul son destin en main, est une illusion. Ce réflexe traditionnel de souveraineté nationale repose sur une croyance erronée. Dans de nombreux domaines, seule l’intégration régionale permettra de faire face. Les crises successives de ces dernières années contribuent aussi à la fragilité de l’Europe. Le Brexit, un tournant ? L’Union est à un tournant et le Brexit en est une des raisons. Le Livre blanc de Juncker l’atteste aussi. Soixante ans après Rome, l’Union et ses Etats membres sont face à un choix. Soit l’UE saisit sa chance d’en sortir grandie, soit elle en sort affaiblie. Les secteurs dans lesquels il y a eu des crises sont justement ceux où l’Union pourrait donner ses pleines potentialités. A condition qu’on lui donne les moyens et que les Etats ne lui fassent pas barrage. La Commission, de son côté, n’ose pas toujours utiliser toutes les possibilités que lui donnent les Traités par peur de la réaction des Etats. C’est le cas en matière de coopération judiciaire avec Eurojust ou avec la mise sur pied d’un procureur européen. La seule institution qui paraît avoir réellement pris la mesure du changement insufflé par Lisbonne, c’est la Cour de justice de l’UE. Le principal risque pour l’avenir ? Un risque de contagion après le Brexit… Mais aussi l’espoir que l’Europe prenne son avenir en main, en matière de défense notamment. Si ça ne marche pas à 27, il faudra recentrer l’Europe sur un noyau dur, une des pistes évoquées par Juncker dans son Livre blanc.

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