Jean-François Cats: «Il faut pérenniser le projet culturel de Flagey»

Flagey est un modèle de réussite culturelle à Bruxelles. Entre Piano Days, Concours Reine Elisabeth et Religion dans la cité, le projet a permis de ressusciter la Maison de la Radio. Les spectateurs comme les hommes politiques sont unanimes à la reconnaître, du Nord au Sud, de gauche à droite, en français comme en flamand. Mais ses murs sont à 83 % entre les mains de la trentaine d’actionnaires privés de la SA Maison de la radio Flagey, fédérés par l’homme d’affaires gantois Piet van Waeyenberge. Ils ont décidé de vendre leurs parts. Selon nos informations, Bart De Smet, le CEO du groupe d’assurances belge Ageas, était dans un premier temps intéressé par le rachat. Mais le brasseur et collectionneur d’art Michel Moortgat, ainsi que le mécène Hubert Bonnet, héritier d’une haute lignée de l’acier wallon, auraient déposé une offre supérieure, de l’ordre de 25 millions d’euros. L’ASBL Flagey, en charge du projet culturel de Flagey et qu’il ne faut pas confondre avec la SA Maison de la Radio Flagey, s’inquiète des bouleversements en cours et de leurs répercussions éventuelles sur l’exploitation du bâtiment ou le montant des loyers. Par ailleurs, trois sociétés publiques, la Société fédérale de participations et d’investissement (SFPI), un holding public fédéral, la Société régionale d’investissement de Bruxelles (SRIB) et la société publique d’investissement flamande Participatie maatschappij Vlaanderen (PMV) détiennent les 17 % du capital restant de la SA Maison de la Radio Flagey. Elles pourraient, ensemble, déposer une offre concurrente pour remettre Flagey dans le giron des pouvoirs publics. Un geste symbolique fort qui serait en mesure de garantir à long terme la pérennité de Flagey. Jean-François Cats, président du conseil d’administration de l’ASBL Flagey, a accepté de nous aider à cerner les enjeux des négociations en cours. La décision des actionnaires de la SA Maison de la Radio Flagey de vendre leurs parts dans le bâtiment vous a pris par surprise ? Des actionnaires privés n’investissent pas dans un projet pour l’éternité. C’est normal. Mais le timing est inattendu dans son moment comme dans ses modalités. Je suis reconnaissant de ce que les actionnaires privés de la SA ont accompli jusqu’ici mais je regrette qu’il n’y ait pas eu de concertation avec l’ASBL Flagey en charge du projet culturel avant de prendre la décision de vendre. J’aurais aimé que l’on puisse s’assurer des intentions des éventuels acquéreurs pour être certain qu’ils sont en phase avec la vision de l’ASBL et qu’ils puissent contribuer comme leurs prédécesseurs à sécuriser l’avenir. Ce changement d’actionnariat est sans rapport avec la situation financière de Flagey ? Absolument ! Nous sommes au parfait équilibre. Le directeur général, Gilles Ledure, est non seulement un grand mélomane et un excellent pédagogue mais, en plus, il sait compter ! Toutes les dettes de l’ASBL Flagey vis-à-vis de la SA Maison de la Radio Flagey, propriétaire du bâtiment, ont été apurées. Nous n’avons aucun problème de trésorerie. La seule incertitude vient des 300.000 euros de subsides de la Loterie Nationale, notre premier sponsor, dont la reconduction n’est pas garantie d’une année à l’autre. Pour le reste, la programmation est un succès. Les salles de Flagey sont plébiscitées par les artistes et leur fréquentation est en hausse. Nous accueillons même les demi-finales du Concours Reine Elisabeth. Ce n’est pas de ce côté que viennent nos préoccupations pour l’avenir mais uniquement du bouleversement en cours de l’actionnariat de la SA Maison de la Radio Flagey. Pourquoi êtes-vous inquiet, alors que le contrat d’occupation des lieux qui vous lie à la SA Maison de la Radio Flagey court jusqu’en 2024 ? Ce contrat n’est pas un bail locatif classique ni une emphytéose. C’est juste un accord de mise à disposition d’une partie du bâtiment. Il n’offre pas les mêmes garanties. Avant 2007, les actionnaires de la SA Maison de la Radio Flagey et de l’ASBL Flagey étaient les mêmes. Tout était imbriqué. Aujourd’hui, l’ASBL et la SA sont totalement indépendantes mais tous les détails du contrat d’occupation n’ont pas été renégociés ni explicités. Cela n’avait pas été jugé nécessaire. Maintenant que nous sommes face à un changement d’actionnariat, il faut une clarification pour éviter d’éventuels conflits entre l’ASBL et la SA qui seraient préjudiciables à l’image et au fonctionnement du projet culturel. Le contrat actuel ne définit pas précisément les endroits qui sont mis à notre disposition dans le bâtiment. J’espère très sincèrement que les nouveaux actionnaires auront à cœur le même souci de pérennité et d’intégrité du projet que leurs prédécesseurs. Car il est important aussi pour les autres exploitants du bâtiment comme les cafés ou les restaurants, par exemple, de préserver la qualité et l’attractivité de nos activités culturelles. Il ne faudrait pas que Flagey devienne un projet de spéculation immobilière. Notre contrat actuel court jusqu’en 2024 et après, rien ne permet de le proroger automatiquement. Concrètement, vous craignez de voir le loyer augmenter ? Le contrat de 2024 ne nous met pas à l’abri, or il n’y a pas de place dans notre budget pour une augmentation de loyer. Au total, la Région bruxelloise, les Communautés, la Commune d’Ixelles, nous versent 2,3 millions de subsides par an, dont un million est consacré aux loyers et aux charges du bâtiment. On ne peut rien assumer de plus. Mais le contrat ne définit pas non plus avec certitude à qui incombent les travaux d’entretien et de rénovation. Jusqu’ici, c’est la SA qui les a pris à son compte car la loi ne nous autorise pas à solliciter des subsides pour effectuer ce genre d’investissements, du fait même que l’ASBL n’est pas locataire du bâtiment. Des travaux sont nécessaires à court ou à moyen terme ? La dernière restauration remonte à 2002. Les sièges des différentes salles de spectacle doivent être remplacés dans un délai de 5 à 7 ans. Il faut compter, au minimum, 150 euros par fauteuil et il y en a environ 1.300… Il y a aussi du matériel de scène à renouveler, des peintures à refaire… Il faut s’attendre à devoir investir entre 2 et 2,5 millions dans le bâtiment à moyen terme. Et je ne parle pas de l’orgue symphonique du Studio 4. Cela fait sens de penser un jour à le remettre en service pour contribuer au rayonnement de Flagey et de la Belgique. Les actionnaires publics minoritaires de la SA ne sont pas en mesure de vous apporter des garanties pour l’avenir ? Nous les avons informés de la situation mais j’ignore tout de leurs intentions. Je peux simplement vous répondre que nous savons que ni la SFPI, ni la SRIB, ni la PMV ne souhaitent sortir de l’actionnariat. Pour le reste, sont-elles prêtes à racheter les parts du privé, comment et à quel prix, impossible de le dire. Personnellement, je n’ai pas à m’immiscer dans ces négociations. Je n’ai aucune légitimité pour cela. Ce qui m’importe, c’est de préserver le projet culturel et rien d’autre. Pour cela, il faut, entre autres, qu’aucune activité parasite ne vienne perturber nos activités. Si on devait, par exemple, augmenter la pollution sonore dans le bâtiment avec une extension de l’horeca, comment voulez-vous qu’on continue d’accueillir les épreuves du Reine Elisabeth ? Au plan politique, vous vous sentez soutenu ? Nous vivons depuis quatre ans dans un climat de totale pacification communautaire. Le conseil d’administration n’a plus jamais été perturbé par aucune discussion de cet ordre. Flagey est devenu un modèle de collaboration entre les différents niveaux de pouvoirs et les communautés. Il n’y a aucune connotation politique ni idéologique dans la gestion de la programmation. Notre conseil d’administration est le reflet des équilibres politiques belges mais on se fiche de la couleur du chef d’orchestre quand il joue Bach ou Mozart !

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