Stéphane Guillon: «Il est hors de question de rentrer dans le moule»

Il aime les campagnes présidentielles, Stéphane Guillon. Alors en ce moment, il ne boude pas son plaisir. Il faut dire que l’actualité française lui donne un solide coup de pouce. Retrait inattendu de Hollande, coups de théâtre lors des primaires de la gauche (Valls battu) et de la droite (Sarkozy et Juppé battus), avènement d’une nouvelle génération de ténors (Macron et Hamon en tête), affaire Fillon… et c’est pas fini ! En plein cœur de la campagne présidentielle française, Stéphane Guillon débarque en Belgique, le 28 au Cirque Royal, le 29 au Forum, avec un spectacle, « Certifié conforme », où la revue de presse occupe une jolie place. Le droopy du PAF nous en parle. Cinq ans après votre dernier spectacle, que vous aviez arrêté au soir de l’élection de François Hollande, vous voilà de retour avec un one-man-show aujourd’hui associé à la prochaine élection présidentielle. C’était calculé ? Ça ne doit rien au hasard. J’ai fait une pause, après mai 2012. Un humoriste n’a pas nécessairement quelque chose d’essentiel à dire chaque année. C’est important d’aller se ressourcer ailleurs. D’être dans l’observation, plutôt que tout le temps dans le commentaire. Je trouve plus intéressant d’être sur scène au moment de la présidentielle. C’est un moment où se cristallisent beaucoup de passions, de tensions, d’échanges. Alors pouvoir être en réactivité sur scène pendant cette période, c’est savoureux pour moi, comme pour le public. Votre spectacle tourne depuis 2015. Est-ce que ce sont les événements liés aux premiers attentats, à Charlie Hebdo qui vous y ont poussé ? L’envie de scène était là avant, mais les attentats de Charlie Hebdo ont quand même impacté et modifié le contenu du spectacle. À partir du moment où des gens que je connaissais, pour certains, ont pu être assassinés juste parce qu’ils voulaient rire de tout, je me suis senti évidemment très concerné. Après, la donne a changé, puisque désormais, absolument tout le monde est visé. Mourir pour des idées, comme chantait Brassens, c’est très violent. On pensait qu’on était sorti de là, dans des pays entre guillemets dits civilisés. Le terrorisme est devenu un sujet incontournable, dans la revue de presse des humoristes. N’est-ce pas aujourd’hui un exercice de style obligé ? J’ai beaucoup réfléchi à tout ça avec Christophe Alévêque, il y a deux ans. Je pense que rien n’est obligé. Mais ça me paraît difficile de passer à côté d’un sujet aussi sensible que celui-là. Vous avez tourné beaucoup ce nouveau spectacle, en vous préparant à un duel entre Sarkozy et Hollande. Les voici tous deux à la retraite, et remplacés par des personnalités politiques que personne n’a vu venir. La folle campagne que nous vivons vous a forcé à souvent retravailler votre revue de presse ? C’est vrai, et je dis sur scène que je réclame pour cette raison l’indulgence du public. Parce que pendant des semaines, j’ai perdu mes meilleurs clients. Cela étant, j’ai dans mon spectacle des sketches qui, eux, ne bougent pas. Qui ne sont pas du tout tributaires de l’actualité immédiate. Les années Hollande ont inspiré le spectacle ? Oui. Dans la mesure où il est né après l’arrivée de Hollande. Après, surtout, le départ de Sarkozy, tant l’anti-sarkozysme était à l’époque extrêmement fort. Je me moque dans ce spectacle-ci du fait que j’avais distribué des roses, à l’Olympia, le soir de l’élection de Hollande. Vous êtes un déçu du Hollandisme ? Qu’on ait voté Hollande ou pas, on est tous fatalement déçus quand un homme politique devient Président de la République sur un programme et des promesses, qu’il ne les tient pas, ou trop peu, et qu’il met en pratique une politique pour laquelle il n’a pas été élu. Le bilan de Hollande déçoit. Est-il pour autant catastrophique ? Il a fait la seule chose qui pouvait sauver son quinquennat, c’est-à-dire jeter l’éponge. Arrêter de cristalliser toutes les rancœurs et les haines, qu’on a appelées le Hollande bashing. Et sortir par le haut. Et même gouverner pour la première fois sans penser à sa réélection. Pour un humoriste, une campagne aussi imprévisible que celle-ci, c’est un cadeau ? C’est vrai que la campagne est riche en rebondissements. Mais parfois il faut se méfier. Souvent ce n’est pas évident, quand les choses sont énormes comme elles peuvent l’être en ce moment. Je pense notamment à l’affaire Fillon. Pas si facile de trouver le bon angle. Je repense à la phrase de Coluche : « J’arrêterai de faire de la politique le jour où les hommes politiques arrêteront de nous faire rire. » Il y a un moment où on est devant de telles énormités qu’on se demande comment traiter l’info. Et si l‘info elle-même ne se suffit pas en soi. La présence de Nicolas Dupont-Aignan sur le plateau de Cyril Hanouna, lundi passé, c’est la démonstration poussée à la caricature de cette pensée de Coluche ? Oui, c’est un cirque. Mais pas que chez Hanouna. Lorsque le même homme quitte le plateau de TF1, l’avant-veille, c’est un cirque aussi. Je pense qu’il y a chez cet homme, comme d’autres, une forme de folie. Quand vous peignez vos cuisines et que vous ne savez pas quoi mettre, le Macron ça va avec tout Quel regard portez-vous sur le débat des cinq ténors, lundi passé ? Je me suis un peu moqué de Macron, qui était un peu d’accord avec tout le monde. Le Macron, au fond ça pourrait devenir une couleur. Quand vous peignez vos cuisines et que vous ne savez pas quoi mettre, le Macron ça va avec tout. C’est presque une marque générique. Vous avez beaucoup tapé sur Fillon, dans vos chroniques chez Ardisson, sur « Salut les terriens »… Quand on regarde ses mises en examen, c’est impressionnant. Il aurait même fait des faux avec son épouse. Escroquerie, faux, usage de faux… Alors oui, allons-y gaiement ! Au stade où il est, il pourrait se taper Nafissatou Dialo au Sofitel de New York et il resterait encore en place. À l’inverse, sur Hamon, vous dites en gros : aucun scandale, rien ne se passe… et on s’ennuie ! À l’inverse de Trump ou Le Pen, les personnalités clean ne font pas recette. C’est un comble ! Ce mot sur Hamon, c’est tout le paradoxe du métier d’humoriste. Nous, on se nourrit des excès de la société, comme des hommes politiques. Et quand il n’y a rien, on n’a pas de prise. Si la société va bien, on se retrouve au chômage technique. Guy Bedos disait que si Marine Le Pen passe au second tour, il s’exilera au Québec. Si elle devenait Présidente, quel serait votre avenir d’artiste et de citoyen ? Je n’en ai pas la moindre idée. Il faut se méfier de dire, comme Yannick Noah ou Bedos : je me casse. Est-ce que la solution, quand on a une parole aussi forte que Guy Bedos, ce n’est pas de rester et de résister ? Je ne sais pas ce que je ferais, ni en tant que citoyen, ni en tant qu’humoriste. Je sais juste que je serais totalement catastrophé. [scald=2679209:sdl_editor_representation] Bedos a fait sa renommée sur scène à l’ère de Giscard et Mitterrand. Comment vous sentez-vous dans cette époque, politiquement si différente ? Je ne suis pas nécessairement bien dans mon époque. Mais pas uniquement pour des raisons politiques. Je pense qu’on régresse dans plein de domaines. On était certainement plus heureux dans les années 70 qu’aujourd’hui. C’est dû à plein de choses. Moi, j’ai la nostalgie de la liberté qu’on avait à cette époque-là. Cette liberté de rouler sans ceinture, de fumer si on a envie de fumer… Cette liberté qu’il y avait dans les films de Claude Sautet. À force de sans arrêt légiférer la vie des gens, de les emmerder avec des paquets de clopes pourris, de les fliquer, on finit par les étouffer. Tout ça m’énerve profondément. Au stade où il est, Fillon pourrait se taper Nafissatou Dialo au Sofitel de New York et il resterait en place. Les réseaux sociaux ont-ils rendu le métier que vous faites plus dangereux… dans la mesure où désormais tout est amplifié et finit rapidement en conflit, parfois jusqu’au bout du monde ? Pas faux. Mais je mettrais un bémol. Dans cette période politiquement correcte et assez bien-pensante, c’est intéressant de transgresser. Moi ça m’amuse beaucoup de provoquer les réseaux sociaux. Il est hors de question de rentrer dans le moule. Votre parcours est semé de ce qu’on appelle des « clashs », que ce soit avec Dominique Strauss-Kahn, Benjamin Castaldi, Eric Besson, Philippe Val. Vous signez et persistez ? Pas de regrets. Surtout par rapport à des gens qui sont tout à fait capables de se défendre. Je regrette certains duels ou portraits, à mes débuts, au sujet de gens qui, eux, n’étaient pas capables de se défendre. L’humour est une langue étrangère aux oreilles de certains ? Oui. Et j’aime toujours cette phrase de Romain Gary, qui écrivait : « Rien ne vous isole plus que de tendre la main fraternelle de l’humour à ceux qui, à cet égard, sont plus manchots que les pingouins. »

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