The Jane, à déguster religieusement

Il y avait plus de 870 candidats, venus de 70 pays. Des endroits tous plus lumineux et plus design les uns que les autres, comme le Disfrutar en Espagne, le Dream Dairy Farm au Japon, le Bond Lounge en Australie ou le Biutiful by the Lake en Roumanie. Mais cette année, le plus joli d’entre tous, c’est The Jane. A sa tête, Sergio Herman, beau gosse hollandais de 45 ans, un peu la gueule de Roch Voisine – mais à la place du micro, un fouet, une spatule, un grand couteau –, ancien patron du Oud Sluis (3 étoiles au Michelin, 19,5/20 au Gault&Millau) et de Pure C, à Cadzand. En mars 2014, il franchit la frontière pour ouvrir The Jane, à Berchem, près d’Anvers. Il déniche cette petite église du XIXe qui se dresse sur les terres d’un ancien hôpital militaire, transformé en appartements, et décide d’en faire le temple du goût. Et parce que c’est un garçon intelligent, il choisit de bien s’entourer. Il fait appel au bureau hollandais d’architectes de Piet Boon, de vrais artistes qui signent des hôtels, des villas, des penthouses, d’Amsterdam à New York, en passant par l’Asie… « Cette chapelle, c’est un endroit vraiment particulier, explique Rienk Wiersma, lead designer au Studio Piet Boon. On ne peut pas faire n’importe quoi, tout exploser dans un lieu comme celui-là. Nous avons reçu le mail d’un couple qui racontait s’y être marié, il y a quelques années. C’est aussi une question de respect pour les gens qui vivent là ». L’équipe commence par restaurer l’extraordinaire plafond qui n’avait pas été entretenu pendant 25 ans. « Tout tombait en lambeaux. On a enlevé ce qui pouvait l’être et on a gardé cet aspect brut qui contraste avec la beauté de la lumière, des lampes, tout ce qu’il y a de sensuel dans le restaurant. C’est exactement ce que voulait Sergio Herman, ce mélange de sensualité et de rock’n’roll ». [scald=68640:sdl_editor_representation] Des vestiges du passé Cette ambivalence se retrouve dans les moindres détails. Ils vous sautent aux yeux une fois atténué le vertige inversé du plafond. Des vestiges du passé surgissent par à-coups. Parce que c’était un lieu saint, ici, vous humerez des effluves d’encens, vous prendrez place sur des sièges dont l’alignement forme deux nefs, vous verrez travailler le chef et son équipe dans le chœur, dans une « cage » de verre rappelant les vitrines des saintes reliques, puis dans le jardin, vous croiserez les crucifix tordus Inside Outside de Wim Delvoye. Et les vitraux ! Les vitraux témoignent de tout l’humour du duo de designers belgo-néerlandais Job Smeets et Nynke Tynagel, du Studio Job : de petits dessins vivement colorés y retracent l’histoire médicale, militaire, religieuse et désormais gastronomique de l’antre, passant du cornet de glace à la bouteille de poison… Vous aurez un peu de mal, sans doute, à détacher les yeux du lustre spectaculaire, comme un oursin géant planant sur vos têtes, et du crâne en néon de l’artiste Kendell Geers suspendu au-dessus de l’abside-cuisine. Il le faudra pourtant. Il est temps de vous plonger dans les bols ultra-raffinés de Sergio Herman et de son bras droit Nick Bril, les bouillons, les émulsions parfumées et fleuries de chefs maîtrisant le croquant, le croustillant ou la cuisson à basse température avec la maestria d’astrophysiciens maniant un accélérateur de particules. « Nous étions fans de la cuisine de Sergio bien avant ce projet, poursuit l’architecte. Nous allions souvent manger chez lui à Sluis et, de fil en aiguille, nous sommes devenus amis. On s’est concertés non-stop sur tout, les lampes, les meubles, les œuvres… Finalement, c’est peut-être de ça dont je suis le plus fier, ces discussions. Du vrai travail d’équipe ». [scald=68638:sdl_editor_representation] Et pour ceux qui soutiennent que, dans un resto, « y a que la bouffe qui compte, la déco, fondamentalement, on s’en fout » il a une réponse toute prête : « Bien sûr que la nourriture est importante, et celle de Sergio est fabuleuse ! Mais ce qu’on propose à The Jane, c’est une expérience. Aujourd’hui, on peut commander la meilleure cuisine du monde et la déguster chez soi. Mais à partir du moment où vous faites l’effort de sortir, c’est pour vivre une expérience, un moment particulier. Quand vous entrez dans ce restaurant, vous savez que vous allez vivre quelque chose de spécial ». [scald=68641:sdl_editor_representation] The Jane *, ’t Groen Kwartier-Marialei, 2018 Antwerpen. Capacité : 80 couverts. Une trentaine de personnes peuvent aussi prendre place sur la mezzanine élargie. Système de réservation uniquement en ligne, jusqu’à un mois à l’avance pour l’Upper Room Bar, et 3 mois pour The Jane. 7 services 75 € – 8 services 90 €. Ouvert du mardi au samedi. 03-808.44.65. www.thejaneantwerp.com/ Studio Piet Boon, 78 Skoon, 1511HV, Oostzaan, Pays-Bas. www.pietboon.nl/ Dans la chapelle, les détails qui tuent Le chef et le Studio Piet Boon ont travaillé en totale concertation pour peaufiner les moindres détails du restaurant. Ils ont fait appel à des spécialistes de tous horizons. Les fenêtres : le Studio Job (belgo-néerlandais) a signé des vitraux qui se lisent comme une BD et racontent en petites cases pleines d’humour le passé médical, militaire, religieux de la chapelle et... son présent gastronomique. Les oeuvres d’art : le promoteur du Groen Kwartier où se situe The Jane est Vanhaerents, une entreprise qui possède une collection d’art contemporain, la Vanhaerents Art Collection et qui a mis une série d’objets à la disposition du chef et de Karin Meyn, chef déco et styling du Studio Piet Boon. D’où le Wim Delvoye dans le jardin, mais aussi des créations de Jack Pierson et Tomas Saraceno à l’intérieur de la chapelle. Et le fameux Num Skull de Kendell Geers au-dessus des fourneaux, rappelant les Vanités et les calaveras en sucre de la fête des morts mexicaine. [scald=68637:sdl_editor_representation] Les uniformes : la marque hollandaise G-Star, célèbre pour ses jeans, ses looks urbains et sportswear, a dessiné les tenues du personnel de cuisine et des serveurs en salle. Par un original jeu de boutons, le tablier sombre tient comme par magie à la veste blanche, que les cuisiniers boutonnent jusqu’en haut. Aux pieds, tout le monde porte des sneakers March 23. L’éclairage : le monumental lustre hérissé de piques est signé de l’agence PSLab, basée à Beyrouth. Elle possède ses propres artisans et peut créer des meubles sur mesure assez extraordinaires. Elle a réalisé l’éclairage du concept store Graanmarkt 13 à Anvers. Et encore : des robinets Talis S et Axor Uno 2 de Axor (la ligne haut de gamme de la marque allemande Hansgrohe) dans une teinte exclusive, le « brushed black chrome », ou un piano (de cuisson, pas pour la musique) de chez Maes Inox, de Harelbeke, sculpté de très jolis tatouages Old School...

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