L’école prise en ciseaux

L e Soir s’est fait l’écho, ce mardi, de la grogne des enseignants et des directions d’école face aux nouvelles règles de recrutement des professeurs, le fameux décret titres et fonctions entré en vigueur au début de cette année scolaire. De quoi est-il question ? Le reproche que l’on fait au décret, aujourd’hui, est d’avoir remplacé l’excès de souplesse par un excès de rigidité L’enjeu est de définir, pour chaque charge de cours, les formations qui garantissent de donner le cours au mieux (ce qu’on appelle les titres requis), et de prévoir, en cas d’absence de candidats porteurs d’un titre requis, les titres de remplacement autorisant à donner le cours, titres eux-mêmes hiérarchisées entre suffisants (attestant une formation relativement proche de la formation idéale) et de pénurie (attestant une formation plus éloignée mais acceptable en dernier recours). L’objectif du décret incriminé était de mettre de l’ordre dans ce système en cascade afin d’éviter les excès de souplesse, les recrutements réglementaires mais dommageables, qui conduisent à faire donner des cours par des enseignants à peine formés dans la matière qu’ils doivent traiter. [scald=2689296:sdl_editor_representation] Le reproche que l’on fait au décret, aujourd’hui, est d’avoir remplacé l’excès de souplesse par un excès de rigidité : la pression s’accroît sur la ministre de l’Education, Marie-Martine Schyns, pour qu’elle recrée des alternatives au sein du système existant. Mais au grand dam, semble-t-il, du partenaire de coalition de la ministre, le PS, qui craint que l’on en revienne aux solutions de facilité offertes par l’ancien système. Il est vraisemblable que, conscient des difficultés de terrain, le gouvernement trouvera un compromis et s’efforcera de faire voter une modification du décret avant la prochaine rentrée scolaire. Mais cela ne réglera en rien le problème, faute de l’avoir posé de manière radicale et complète. La pénurie d’enseignants Tant que l’on manquera de vocations à devenir enseignant, les porteurs de titres requis seront trop rares De manière radicale, d’abord. La question posée n’est pas celle du degré de rigueur ou de souplesse à instaurer dans la sélection des titres permettant de donner cours : c’est celle de l’attractivité du métier d’enseignant, c’est celle de la pénurie de professeurs qui frappe aujourd’hui presque tout l’enseignement obligatoire, quels que soient les cours ou les niveaux d’enseignement. S’il a fallu user et abuser des titres suffisants et des titres de pénurie, c’est faute de trouver assez de candidats porteurs des titres requis : c’est là une lapalissade qu’il ne faut pas perdre de vue. Diversifier les titres requis tout en exigeant des formations complémentaires pour s’approcher du profil idéal, multiplier à nouveau les titres suffisants et de pénurie ou réintroduire plus de souplesse dans le recrutement, tout cela ne réglera pas le problème de fond. Tant que l’on manquera de vocations à devenir enseignant, les porteurs de titres requis seront trop rares, les remplacements resteront complexes à opérer et souvent insatisfaisants, des élèves continueront à devoir se passer de certains cours faute de professeurs. J’ignore si, pour répondre à la pénurie d’enseignants, il faut jouer sur l’image du métier, sur le salaire, sur les conditions de travail ou sur l’instauration d’une plus grande autonomie professionnelle, mais le plus urgent est d’ouvrir ce dossier, qui conditionne le reste. Malheureusement, le problème posé en matière de recrutement ne s’arrête pas là : il comporte une seconde facette, tout aussi importante, mais qui engage le questionnement dans un sens inverse. L’école doit être plus attractive mais aussi plus sélective ; elle doit attirer davantage de personnes vers le métier, mais aussi veiller à ce qu’elles disposent de toutes les compétences requises, faute de quoi on réglera le problème de la quantité au détriment de la qualité. La qualité de la formation En cette matière, l’inquiétude monte depuis de longues années. Le 22 février, Le Soir rappelait qu’en 2009 déjà le Conseil de l’enseignement et de la formation soulignait la faiblesse des futurs enseignants dans les savoirs de base, et en particulier en français, dont la maîtrise conditionne la capacité à se former et à enseigner efficacement. Dans les hautes écoles pédagogiques mais aussi, désormais, à l’université, de plus en plus de professeurs s’alarment des graves carences des étudiants auxquels ils confèrent pourtant des titres leur permettant d’entrer dans l’enseignement. Assouplir le décret titres et fonctions aurait donc d’importants effets pervers s’il n’est même pas sûr que les porteurs d’un titre requis sont réellement qualifiés pour remplir leur mission. Que penser alors des porteurs d’un titre suffisant ou de pénurie, qui possèdent une formation plus éloignée des exigences inhérentes à la matière à enseigner ? Va-t-on cumuler un système de substituts en cascade avec une diminution globale des compétences professionnelles ? Les responsables politiques sont conscients de l’enjeu, puisque le ministre Marcourt, en charge de l’Enseignement supérieur, a annoncé qu’un test de français serait imposé aux candidats enseignants à l’entrée de leurs études en haute école (ou, à l’université, au début du master). Mais, comme de coutume chez nous, ce test ne sera pas sélectif : pour éviter une injustice sociale, l’échec au test n’empêchera personne de s’inscrire aux études et conduira tout au plus à devoir suivre des cours de remédiation. [scald=2689295:sdl_editor_representation] Il s’agit là d’une mesure de bon sens, mais insuffisante pour changer la donne. Si l’on ne décide pas de relever le niveau d’exigence à la fin des études pédagogiques, les candidats qui ont connu un parcours difficile dans l’enseignement primaire et secondaire (ils représentent aujourd’hui la majorité des inscrits en hautes écoles) passeront par les mailles du filet et obtiendront leur diplôme, la remédiation permettant tout au plus d’atténuer les lacunes. Inversement, si l’on relève le niveau d’exigence en fin de parcours il faudra le relever en début de parcours, au moyen d’un examen d’entrée ou à la fin de la première année. On ne sélectionne pas des enseignants compétents sans faire de déçus. En Finlande, pays dont on vante tellement le système scolaire, la sélection à l’entrée des études pédagogiques est impitoyable, et s’accompagne d’une grande considération accordée aux enseignants, qui sont payés comme des professionnels de haut vol. On peut parier que nous en arriverons, à terme, à lorgner vers le système finlandais, car notre école est prise, aujourd’hui, dans un effet ciseaux : elle doit attirer davantage de personnes vers le métier d’enseignant mais aussi, au même degré de nécessité, sélectionner ses enseignants de manière plus stricte.

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