Jean-Benoît Pilet «L’institution doit évoluer»

La rentrée parlementaire, c’est pour le 13 octobre au niveau fédéral. La Chambre et le Sénat ont-ils encore un rôle important à jouer ? Nous avons posé la question à Jean-Benoît Pilet, politologue au Centre d’étude de la vie politique (Cevipol) de l’ULB. Le rôle du parlement a fort changé ces dernières années, surtout au Sénat… Plusieurs réformes ont modifié le rôle du Sénat en le réduisant progressivement. Le nouveau Sénat est censé être un lieu de rencontres et de discussions entre les entités fédérées (Régions et communautés). Il n’y a donc plus d’élection de sénateurs au suffrage universel. Les sénateurs sont des membres envoyés par les parlements des Régions et des communautés. Il se réunit assez peu - une fois par mois environ - pour échanger sur des questions liées au fonctionnement du fédéralisme. C’est devenu un lieu de rencontre de la nouvelle Belgique fédérale. Ce qui pose la question de son maintien. Et ça fonctionne bien ? Pas vraiment, non : le Sénat a du mal à trouver ses marques. Il y a des débats autour de ça, soit pour le réactiver et lui rendre son rôle de chambre de réflexion de long terme, soit pour lui trouver un nouveau rôle en y associant des citoyens qui seraient tirés au sort. Quel était l’intérêt du Sénat ancienne mouture ? La majorité des pays démocratiques fonctionnent avec deux chambres, c’est qu’on appelle le bicaméralisme. Au départ, la deuxième chambre était élitiste, avec des représentants qui payaient un certain niveau d’impôt. L’idée était d’avoir une chambre (haute) qui représente les intérêts traditionnels d’avant la Belgique démocratique pour contrebalancer la chambre (basse) qui était 100 % démocratique. Avec la démocratisation, ce rôle a disparu mais on a voulu maintenir une deuxième assemblée pour améliorer la qualité des lois. Mais avoir deux chambres composées à l’identique faisant le même travail, ça posait question. On a donc changé sa composition et ses fonctions. La Belgique n’est pas le seul pays à avoir adopté ce modèle. Le problème du nouveau Sénat belge, c’est qu’on lui a donné peu de compétences. Les textes de lois sont-ils moins bien faits qu’avant ? Non, mais il faut savoir qu’un peu partout en Europe, le parlement a pas mal perdu de son rôle de production de lois. L’immense majorité des lois votées en Belgique sont soit des initiatives du gouvernement, soit des transpositions de directives européennes. Le travail du parlement se dirige de plus en plus vers un rôle de contrôle de l’activité parlementaire et de l’action gouvernementale. Avec des commissions d’enquête, par exemple. Avant les années 1980, cette fonction judiciaire était très peu utilisée. Quel est l’avenir d’un parlement fédéral dans un pays de plus en plus régionalisé ? Il gardera certainement des compétences en matière de sécurité sociale, de justice, de sécurité intérieure, etc. On pourrait se poser la question de son maintien s’il n’y avait plus de compétences fédérales. On peut également se poser la question par rapport à l’Europe. C’est vraiment une réflexion que les parlements doivent se poser et pas uniquement chez nous. Le parlement pourrait être un lieu de contact entre les citoyens et le politique. A ce niveau, notre système ne fonctionne pas parfaitement et ne rencontre pas les demandes de plus en plus nombreuses de citoyens qui souhaitent être associés à la vie politique ou qui souhaitent tout simplement faire entendre leurs voix ; et qui n’ont plus envie de le faire uniquement via les partis politiques, les syndicats ou les fédérations professionnelles. Plusieurs modèles en ce sens sont expérimentés un peu partout dans le monde. Les nouvelles technologies pourraient aussi permettre de faire remonter les remarques des citoyens vers les politiques. Au parlement wallon, par exemple, le nouveau règlement permet à chaque citoyen ou association de déposer un avis sur un projet de décret en cours de discussion. Ces avis sont transmis à la commission parlementaire et au ministre concerné. Et une circonscription fédérale unique ? C’est une piste qui faisait sens il y a quelques années et continue de faire sens aujourd’hui. Le problème est lié à la perception de l’urgence de la demande. La proposition a très bien marché quand on a eu longue période sans gouvernement. On sentait qu’il y avait une demande. Maintenant que les questions communautaires ont l’air d’être un peu mises de côté (leur visibilité est moindre, pas la réalité), on en parle moins. C’est ce qu’on voit souvent dans les moments de réforme des démocraties, et pas qu’en Belgique. On a besoin non seulement d’une volonté diffuse de réformer les choses, mais on a besoin d’un sentiment d’urgence. Et par rapport à la question que posait la circonscription fédérale – à savoir qu’il faudrait un peu plus de liant entre les communautés et permettre au citoyen des deux communautés de pouvoir voter pour les partis de l’autre communauté –, ce sentiment d’urgence sur le fonctionnement du fédéralisme belge est retombé. Aujourd’hui, c’est plutôt la méfiance des citoyens à l’égard de la politique de façon générale qui occupe l’avant-plan.

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