Comment les Français de Belgique vont-ils voter?

A u début, c’était drôle. » Et puis ensuite plus du tout. Vu de ce côté de la frontière, la campagne présidentielle française laisse ses expats complètement paumés. « Les affaires ont pourri le débat, on ne parle plus des idées, des programmes, regrette Rémy Bossert, un consultant alsacien installé depuis 30 ans à Bruxelles. Je suis hyperattaché à la France, à sa promotion, mais ces élections, j’ai du mal à me sentir concerné. » [scald=2704220:sdl_editor_representation] Votera, votera pas ? Quatrième pays d’expatriation des Français, la Belgique compte un peu plus de 90.000 votants inscrits au consulat. [scald=2704073:sdl_editor_representation] En 2012, Sarkozy menait la course avec une avance confortable (34,9 % au premier tour, 53,1 au second) mais c’est un PS qui a emporté la législative, à la faveur d’une droite dispersée, Philip Cordery. « Dans la zone frontalière, on a une sociologie similaire au Nord Pas-de-Calais, avec un fort vote FN, note le député de la circonscription Benelux. Dans le reste du pays en revanche, on est sur un électorat beaucoup plus centriste, proeuropéen. » Selon le socialiste, qui devrait lancer sa campagne pour les législative dans les jours qui viennent, « il y a une incompréhension face à des primaires qui ont vu chaque camp se radicaliser. A l’étranger on a davantage tendance à dépasser les clivages droite-gauche, à chercher le compromis. » Un boulevard pour Macron ? L’homme suscite l’intérêt en tout cas, notamment dans le milieu européen. « C’était courageux de créer ce mouvement, cela m’a rappelé la démarche de Rocard, raconte Alain Libéros. Trouver une troisième voie qui ne soit pas de l’eau tiède, sortir du carcan politique. Ça m’a interpellé » En janvier, le socialiste, fonctionnaire de la Commission, a troqué le rose pour le bleu d’En marche ! « Ce n’est pas facile après 25 ans de militantisme de tourner le dos à son parti. Mais quand j’ai vu qu’il n’y avait pas de majorité progressiste après la primaire, j’ai sauté le pas. » Son comité de soutien réunit désormais une quarantaine de personnes. [scald=2704074:sdl_editor_representation] Avec cette élection, dont l’issue est totalement incertaine, il y a une espèce d’urgence à prendre le bon virage européen, juge le Gascon. « J’arrive en fin de carrière, grand père, ça change la vision des choses. Avec Trump, le Brexit, on sait maintenant que tout peut arriver. J’ai peur d’une victoire du FN. Qu’ils détruisent l’économie – parce que c’est ce qu’ils feront –, qu’ils montent les communautés les unes contre les autres – parce qu’ils devront trouver un responsable. Le risque, c’est la guerre. » « On m’a appris à haïr le FN… et puis j’ai lu » La guerre ? « Il faut arrêter de croire que si le FN passe, les gens vont descendre dans la rue avec des battes de baseball et s’en prendre aux immigrés. » Devant le bar Chez Franz, à Ixelles, l’informaticien de 27 ans enchaîne les cigarettes. Avec sa dégaine de hipster – barbe fournie, baskets dorées –, Christophe incarne un vote FN normalisé, hors clichés. Voire… ouvert ? S’il est à Ixelles, c’est pour assister au café politique de la candidate UDI (centre-droit) aux législatives, Caroline Laporte. Par curiosité. [scald=2704070:sdl_editor_representation] En 2007 et 2012, il a voté Nicolas Sarkozy. Mais hors de question de redonner sa voix à la droite proeuropéenne. Surtout que l’Europe il connaît : il travaille pour la Commission. « Je viens des quartiers nord de Marseille. Ceux où on tire à la kalachnikov, précise Christophe. Et j’ai connu des années de mandats socialistes. Alors oui on a repeint les immeubles de temps en temps, mais derrière le coup de peinture, c’est toujours la même merde – désolé pour l’expression –, une zone de non-droit où j’ai finalement appris à détester mon pays. » En 2002 pourtant, il manifestait contre Le Pen. « On m’a éduqué en m’apprenant que l’Europe était une chance, on m’a appris à haïr le FN… Et puis j’ai lu, j’ai creusé pour essayer de comprendre. Il y a tellement d’incohérences en matière économique, migratoire, diplomatique. Ce que disait Jean-Marie Le Pen il y a 20-30 ans qui faisait hurler tout le monde est dans le programme de la plupart des partis aujourd’hui. La cohérence, il n’y a qu’au FN que je la trouve. » Son quartier a viré FN en 2013. « Le maire a explosé sa popularité » Argument fiscal Ces élections renversent l’échiquier politique. Y compris pour les électeurs les plus sûrs d’eux. Alain Lefebvre est de « ceux qui sont partis en raison de la complexité de la fiscalité française, en quête de liberté et d’oxygène », selon la formule pudique de François Fillon lors de son meeting à l’Hotel Métropole en septembre. L’homme de presse, passionné de politique, a fondé Juliette et Victor, le magazine lifestyle dédiés aux exilés fiscaux de Belgique. Une communauté souvent surreprésentée dans l’imaginaire collectif mais qui regrouperait tout de même « peut-être 5.000 familles ». Avec un candidat naturel : François Fillon, qui propose de supprimer l’impôt sur la fortune. Mais ce serait trop simple. [scald=2704221:sdl_editor_representation] [scald=2704076:sdl_editor_representation] « J’étais de droite. Aujourd’hui, je ne sais plus, lâche le septuagénaire. Je n’ai pas changé mais les lignes ont bougé : le clivage gauche-droite s’amenuise, voire disparaît ; il faut penser aujourd‘hui en termes d’opposition peuple-élite, mondialistes-nationaliste… J’ai fondé mes convictions sur l’anticommunisme, c’est comme être bonapartiste, ça ne veut rien dire. » Pour une fois, le Français se sent plus proche de candidats marginaux, comme Cheminade ou Dupont Aignan, même s’il votera Fillon. L’angoisse, c’est la fin d’une ère : la Ve République. « Je suis très attaché à nos institutions, au scrutin uninominal à deux tours pour la présidentielle. C’est un très bon système qui permet d’avoir une équipe homogène pendant 5 ans. » Mais qui ne fonctionne qu’à condition d’avoir un paysage politique bipolarisé. « J’ai peur que la France se belgicise avec un système de coalition et que le pays devienne ingouvernable. » A gauche, le casse-tête À gauche, ce n’est pas moins compliqué. L’évolution du paradigme politique, Lucie Thomas « la vit probablement, mais c’est difficile d’avoir du recul pour analyser cela ». À 26 ans, la Franco-britannique a repris des études en sciences politiques, un master en migration internationales. Avant cela, elle travaillait dans le social, à Paris, auprès des Roms. « Je me suis rendu compte que j’étais fatiguée des barrières auxquelles on se heurtait tout le temps. Les expulsions qui mettaient par terre tout le travail qu’on avait réalisé pour intégrer les familles. J’avais 25 ans et j’étais épuisée… » [scald=2704072:sdl_editor_representation] Elle votera, c’est sûr – « c’est important » – mais pour qui, ce n’est pas encore clair. Le casse-tête du vote à gauche, avec trois candidats sur une ligne similaire, ressemble un peu à un de ces jeux idiots avec des choix absurdes : « Tu préfères perdre une jambe ou être poursuivi toute ta vie par des canards ? » Des pours, des contres. « Hamon est soutenu par Jadot, pour qui j’aurais voté, et j’aime son idée de revenu universel, mais il a tellement reculé sur le sujet, que j’ai de gros doutes sur son envergure. » Mélenchon, c’est le personnage qui coince, trop agressif, et son positionnement anti-européen, « même si c’est lui qui est capable d’apporter un changement ». Reste Poutou. « C’est peut-être l’effet débat ? Son action à Nuit debout ? Mais est-ce que je prends le risque de perdre mon vote ? » [scald=2704075:sdl_editor_representation] Perdre son vote, pourquoi pas ? Rémy Bossert, l’Alsacien, envisage Jean Lassalle. « Quitte à aller aux urnes, autant voter gag. »

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