Eric-Emmanuel Schmitt: «Une révélation est une révolution»

Ce nouveau Schmitt n’est pas un Schmitt comme les autres. L’homme Eric-Emmanuel Schmitt transparaît habituellement dans les œuvres de fiction de l’écrivain Eric-Emmanuel Schmitt. Ici, cette osmose est de loin plus étroite. Il n’y a plus de fiction, c’est de l’homme Schmitt exclusivement que parle l’écrivain dans ce récit passionnant qu’est La nuit de feu. Il a mis 25 ans à écrire ce voyage dans le Hoggar, en Algérie, qui aboutit à une nuit transfigurée où, isolé, perdu, seul au pied du mont Tahat, enfoui dans le sable pour lutter contre le froid, il connaît une expérience extraordinaire où lui, l’athée, rencontre « La Grande Lumière », le Feu. Pourquoi pas d’ailleurs l’appeler Dieu ? Il avait entamé ce voyage, à 28 ans, pour écrire un scénario sur Charles de Foucauld, qui vécut et mourut dans cette région. Il y trouva la beauté du désert, les cieux immaculés des nuits froides, la majesté amusante des dromadaires, la sérénité de la nature et l’amitié d’Abayghut, le guide touareg, une amitié d’esprit puisqu’aucun ne comprenait la langue de l’autre. C’est en descendant le mont Tahat en orgueilleux homme qui ne pouvait pas se perdre, qu’il s’est égaré. Il s’est vu mourir, seul, dans ce désert de sable et de roche. Quand le feu lui est apparu. Mais à la différence de saint Paul sur le chemin de Damas ou de Paul Claudel à Notre-Dame de Paris, cette conversion à l’existence d’un absolu ne l’emmène pas sur les voies d’une religion ni, bien sûr, du prosélytisme. A la question « Dieu existe-t-il ? », Schmitt répond, avec humilité : « Je ne sais pas, mais je crois que oui. » Comme on peut répondre, encore : « mais je crois que non » ou « mais je m’en fous »… Le récit est superbement conduit, d’une langue sûre et précise, dégraissée, immédiate, pour mener Schmitt de l’absurde de sa vie d’avant au mystère de sa vie d’après. « J’habite l’ignorance avec confiance » Il vous a fallu 25 ans pour élaborer ce récit. J’avais plusieurs montagnes à franchir avant de raconter cette nuit. La montagne de la pudeur : j’ai la chance de pouvoir m’exprimer par l’imagination et je n’ai donc pas la nécessité de recourir au « je ». Et la montagne de l’intime. J’ai longtemps cru que cette expérience m’était réservée jusqu’à ce que je comprenne que le témoignage devait suivre. Il a fallu que je l’accepte, comme il a fallu que j’accepte la foi. Une révélation, c’est une révolution. Accepter la première, c’est accepter l’autre. Et rebattre toutes les cartes, tout repenser, s’exprimer autrement. Ça prend du temps. Et puis le bruit du monde m’a poussé à le faire parce que c’est assourdissant, aujourd’hui, les horreurs commises au nom de la foi ou la dénonciation stupide de la foi. Ce sont deux usurpations qui font beaucoup de bruit et de mal : l’usurpation de la foi pour commettre des actes horribles et la volonté de pseudo-intellectuels qui disent que croire, ce n’est pas moderne, c’est régresser, toutes ces sottises. J’ai envie de parler humblement du silence intérieur qu’on a chacun en nous, qu’il soit silence athée ou silence croyant. Et de réhabiliter la façon que nous avons chacun d’habiter l’ignorance, parce qu’il s’agit bien de champ de l’ignorance. Votre nuit de feu vous révèle une entité, un dessein. Vous vous êtes résolu à l’appeler Dieu. J’éprouvais des difficultés à nommer mais je m’y suis résolu. J’ai repéré que c’était Dieu à travers la foi que j’avais. Depuis, je suis habité d’une confiance absolue dans le mystère. Croire, ce n’est pas savoir. Mais j’habite l’ignorance avec confiance. Votre révélation ne vous a pas fait missionnaire. Je milite pour une double humilité : celle de la foi et celle de la raison. La première doit se reconnaître comme une façon d’habiter l’inconnu. Et la deuxième doit savoir qu’elle n’est pas capable de résoudre toutes les questions. Ma vie a une double trame : celle du rationnel, du philosophe qui tient à produire un discours audible par tous, sur les terrains où c’est possible, et celle du cœur qui a une façon unique pour chacun d’habiter l’inconnu. C’est pour cela que je suis tolérant. Parce qu’on est tous ignorants sur les grandes questions. On doit donc être tolérant pour les réponses. C’est au nom de l’ignorance commune que je pratique la tolérance. Votre conversion ne s’accompagne pas d’une certitude. Elle ne veut pas se confondre avec une certitude. C’est un sentiment. Ce qui s’est passé dans le Sahara, ce n’est pas seulement avoir la révélation, c’est apprendre à être un homme complet. Et à cultiver sa joie plutôt que sa tristesse. Etre dans la joie, c’est être dans le plein, se rendre compte de ce que l’on a, de ce qu’on existe, accepter et contempler ce qui est. Alors que la tristesse c’est le ressassement de ce qu’on n’a pas. En quoi, ça vous a changé au quotidien ? Je ne sais rien de plus mais j’ai confiance. Quand je ne comprends pas, je fais crédit, je m’accuse moi de mes limites. J’ai quitté la philosophie de l’absurde pour celle du mystère. Il y a un narcissisme profond à développer la philosophie de l’absurde : si je ne comprends pas, c’est que ça n’a pas de sens puisque l’homme est le seul producteur de sens. Tout ça est pour moi d’un orgueil absolu. J’ai quitté cet état dans ma réflexion sur la condition humaine, cet anthropocentrisme aberrant et aussi l’égocentrisme aberrant qui était le mien. L’angoisse de la mort est quelque chose qui m’a déserté. Je ne suis plus le centre, j’ai trouvé le centre ailleurs, alors… Mais vous ne savez pas davantage ce qu’il y aura après. Je défie quiconque de le savoir. Celui qui dit « je sais » est un imposteur. [scald=72615:sdl_editor_representation] Récit ★★★La nuit de feu ÉRIC-EMMANUEL SCHMITT, Albin Michel, 183 p., 16 €, ebook 10,99 €

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