La galère des futurs voisins du Stade national

L una, allez, viens, Lunette. » Ce matin, Paul promène son chien sur une voirie qui a fait beaucoup parler d’elle : le fameux chemin vicinal fantôme qui traverse le parking C, obstacle juridique à la construction du futur stade national, qui doit sortir de terre d’ici l’Euro2020. « Voyez, vous constatez par vous-même qu’il n’y a pas de chemin », lance l’habitant de Strombeek-Bever avec ironie. De fait : sous les pattes de Luna, on distingue les restes d’un sentier, même si la nature commence à y reprendre ses droits. L’histoire a ceci de paradoxal : juridiquement, il n’y a plus de chemin là où Paul promène tous les jours son chien. Il a été supprimé car il croise la sortie du ring. Par contre, celui qui existe aux yeux de la loi – celui qui s’inscrit dans la prolongation et traverse le parking – est lui totalement introuvable. Les seuls indices de son existence, ce sont les deux gros traits roses tracés à la peinture par le promoteur immobilier Ghelamco. Sous la butte du talus, s’étend le parking C, gigantesque. Une partie de l’endroit a été entièrement décapée. « Ghelamco a déjà commencé ses fouilles archéologiques, arrachant, au passage, une série d’arbres sans demander d’autorisation », se désole Paul, rappelant que l’investisseur n’a toujours pas obtenu de permis de construire ni d’environnement. Il nous emmène ensuite au fond de son jardin, dans la petite rue Treft, qui longe directement le parking : « Si le projet se fait, il y aura un mur de 11 mètres de haut à quelques mètres de ma propriété. Autant dire que je ne pourrai plus profiter de mon jardin, alors qu’aujourd’hui j’ai du soleil de 3 heures de l’après-midi à 10 heures du soir. » Une chose est sûre : l’Eurostadium, ce « projet mégalo », il n’en veut pas. Comme de nombreux autres habitants du coin… D’ailleurs, le voisin direct de Paul, c’est Philippe Fierens : la figure de proue du mouvement citoyen opposé au stade national. Bilingue, il apparaît régulièrement dans les médias, suit avec assiduité tous les conseils communaux de Grimbergen et alimente les pages du comité « Stade parking C » sur les réseaux sociaux. Fin 2016, c’est lui qui assurait face caméra que le chemin vicinal était encore utilisé par les riverains. Une situation qualifiée de « surréaliste » par l’échevin bruxellois des Sports Alain Courtois (MR). Autant dire que les habitants ne l’entendent pas de cette oreille… « On nous a dit que nous étions des Magritte, mais lui, c’est Magritte au carré », lance Paul, en expliquant que le sentier où il promène Luna sera transformé en passage pour les vélos et les piétons. « C’est bien la preuve qu’on a besoin de ce chemin vicinal. » « Comment peut-on soumettre la population à une chose pareille ? » Pour lui, il n’y a pas de mot assez fort pour décrire la situation. A part celui-là, peut-être : « hold-up ». « Ghelamco reçoit le terrain pour un euro par an, et c’est l’argent public qui va payer les aménagements en transports en commun, le parking et l’entretien du stade. » De manière générale, les habitants regrettent l’ampleur prise par le projet. « Ceci n’est plus un stade, observe un autre riverain, Julien. Les plans comprennent de l’immobilier à 80 %. Ghelamco dit lui-même que le stade n’est qu’une “bijzaak”, une chose à côté. Ils jouent sur les mots avec la réglementation urbanistique flamande pour faire rentrer le projet dans les normes. On prend vraiment les gens pour des imbéciles. » L’attitude de Ghelamco est vivement critiquée. « Ils ont demandé de pouvoir travailler de 4 heures du matin à minuit et cela 7 jours sur 7, observe Igor, du quartier du Verregat. Pendant deux ans ! Quel politicien peut accepter de soumettre la population à une chose pareille ? » D’autres citoyens confient, de façon anonyme, avoir fait l’objet de menaces. Ou de commentaires déplacés du genre : « Si ça ne vous plaît pas, vous n’avez qu’à déménager. » « Mais quand vous avez acheté votre maison avec les économies de toute une vie ? », regrette cet habitant. Le monde politique en prend, lui aussi, pour son grade. Libéraux et socialistes sont loin d’être en odeur de sainteté dans les parages… D’ailleurs, entre eux, les gens du quartier parlent de stade « VVC », pour « Vervoort-Vanhengel-Courtois », du nom des trois principaux protagonistes. L’objet auquel cet acronyme fait référence n’est pas franchement flatteur pour le projet… « On a mis la charrue avant les bœufs. On construit ce stade alors qu’il n’y a pas de tram, pas de métro. Il n’y a pas eu assez de réflexion préalable, cela va beaucoup trop vite », poursuit Igor. « C’est de l’amateurisme », abonde Paul. Les habitants jugent que leurs vrais soutiens sont surtout les écologistes et les nationalistes (Ecolo, Groen et la N-VA s’opposent fermement à l’Eurostadium, tant à la Ville de Bruxelles qu’à Grimbergen). Des partis où ils trouvent des oreilles attentives à leurs préoccupations. En tête de ces dernières, la mobilité. Déjà aujourd’hui, la chaussée romaine et le ring tout proche sont réputés très embouteillés. « On n’arrête pas de nous dire qu’on va l’arranger, mais rien ne vient. Ce sera des bouchons et puis c’est tout », prédit Julien. La vie dans le quartier n’est déjà pas un fleuve tranquille aujourd’hui. Avec le Palais des expositions et le stade Roi Baudouin, les nuisances sonores et visuelles ne sont pas rares… Mais les habitants se sont installés en connaissance de cause. Ajouter à cela un stade de 60.000 personnes, des activités toutes les semaines, des bureaux et des chambres d’hôtels… Pour les habitants, cela commence à faire beaucoup. Ils craignent la saturation : le projet de développement du Heysel Néo va aussi amener des milliers de personnes en plus dans cette partie de Bruxelles… Un combat « pour la démocratie et le respect des gens » Tous les habitants ne sont bien sûr pas sur la même longueur d’ondes. Cet entrepreneur qui tient à garder l’anonymat explique qu’il n’est « ni pour ni contre » le projet. Lui-même vient d’investir dans son business : il a respecté les règles et juge que si Ghelamco fait de même, il ne voit pas de problème. Il ne s’est pas renseigné plus que ça sur le projet et « attend de voir ». Alors les autres ? Faut-il voir dans la mobilisation citoyenne des futurs voisins du stade le syndrome « nimby » (pour « not in my backyard », ou « pas dans mon jardin », une expression qui désigne l’opposition locale à un projet d’intérêt général) ? André, habitant du quartier Verregat et joueur de foot occasionnel (pour le plaisir), assure qu’il n’a rien contre un nouveau stade. Il assure comprendre « qu’on ne peut pas contenter tout le monde ». Mais il juge que l’endroit a été mal choisi à la base et que le projet s’est trop éloigné des plans initiaux. De son côté, Igor ne voit rien, dans le projet, « pour améliorer le quartier, le rendre plus calme, plus accueillant et plus agréable. Je vois 7 à 8.000 voitures de plus par jour, des camions, du bruit, de la pollution. » Il regrette que les citoyens soient « méprisés ». « Nous avons introduit deux demandes d’interpellation au conseil communal de la Ville, cela nous a été refusé. On ne nous a même pas donné trois minutes pour nous exprimer… » Paul embraye : « Ce n’est pas qu’un combat contre un stade, c’est un combat pour la démocratie et le respect des gens. » Dans le quartier, certains habitants ont mis plus de 1.000 euros de leur poche pour payer un avocat dans le dossier du chemin vicinal. Mais tout le monde n’en a pas les moyens, et, pour ceux qui en ont, la lutte prend vite des allures de combat entre David et Goliath… Certains sont prêts à aller jusqu’au Conseil d’Etat, mais il faut que les moyens suivent. « Cela peut grimper jusqu’à 20.000 euros », s’inquiète Julien. L’espoir des futurs voisins du stade, c’est que la commune de Grimbergen maintienne son avis négatif sur le permis de construire. Mais ils savent que ce n’est pas gagné. En attendant le verdict final, ils continuent le combat. « Même si on a parfois l’impression de n’être que des boîtes aux lettres », conclut André.

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