100 jours de Trump: cap vers une destitution?

Allan Lichtman, historien et politologue à l’American University (Ohio), s’est rendu célèbre en prédisant avec une étonnante fiabilité le nom des futurs présidents américains, depuis Ronald Reagan en 1984. Il fut l’un des rares à donner Donald Trump vainqueur. Ce dernier le félicita même pour sa clairvoyance, ignorant au passage une seconde prédiction moins flatteuse de Lichtman : sa destitution jugée « inévitable », dont il vient de tirer un livre (Allan J. Lichtman, The Case for Impeachment, Harper Collins 2017, 304 p.). Nous l’avons rencontré. [scald=2734106:sdl_editor_representation] D’où vient ce jalon traditionnel des « cent jours » ? L’idée, d’une importance hautement symbolique, est née des cent premiers jours de la première Administration Roosevelt, confrontée à la Grande Dépression. Fort d’un Congrès solidement démocrate, le président Franklin Delano Roosevelt fit adopter en 1933 quinze lois majeures, constitutives du New Deal, qui eurent pour effet de bouleverser la relation entre le gouvernement, l’individu et l’économie. Quels enseignements émergent des « cent jours » de Donald Trump ? Le temps s’accélère depuis son investiture. Le président se comporte de manière de plus en plus erratique, instable et dangereuse, usant et abusant des pouvoirs présidentiels. Cette intensification remarquable de faits litigieux pourrait amorcer une procédure de destitution à son encontre. [scald=2734109:sdl_editor_representation] Les révélations se multiplient au sujet d’une possible collusion entre l’équipe Trump et les Russes, d’efforts pour étouffer cette affaire un peu à la manière de son prédécesseur Richard Nixon durant l’enquête sur le Watergate (1972). Devant ces révélations, Trump a répondu par le déni, la duperie, allumé des contre-feux. Et puis, lorsque les faits n’étaient plus contestables (NDLR, les rencontres multiples avec l’ambassadeur russe en 2016), il a tenté d’amenuiser l’affaire, exactement comme lorsque, naguère, Nixon réduisait le Watergate à un simple cambriolage de seconde zone. Vous semblez trouver de nombreuses similitudes entre les deux hommes. Il existe entre eux des parallèles étonnants. Tous deux se voient entourés d’ennemis. Ils veulent contrôler la narration de leur présidence. Ils voient le monde en noir et blanc, ennemis ou loyaux sujets ; rien entre les deux. Ils n’obéissent à aucun principe fort, mais voient leur propre intérêt et ne creusent guère plus loin. Les débuts présidentiels de Trump révèlent un prisme très nixonien, l’acharnement contre les médias. En outre, il exprime peu de respect pour les lois et la tradition, méprise la séparation des pouvoirs en tançant les juges hostiles à son décret anti-immigration, et révèle une incapacité flagrante à régler les conflits d’intérêts. Ces conflits d’intérêts pourraient-ils, eux aussi, causer sa perte ? Oui, car cette question prend de l’ampleur, à l’image des marques déposées obtenues par Trump en Chine, qui surviennent juste après son abandon d’une politique des « deux Chine » (reconnaissance de Taïwan). Dans ce dossier opaque, il est malaisé d’établir où s’arrêtent les prérogatives présidentielles de Trump et où commencent ses intérêts financiers. Avec ses affaires en Chine, il viole pourtant bien la « clause des émoluments » présente dans la constitution. Et si nous obtenons jamais la divulgation de ses impôts, les informations ainsi collectées permettront de faire la lumière sur ses tractations à l’étranger. [scald=2734108:sdl_editor_representation] C’est d’ailleurs ainsi que nous allons, je pense, finir par le faire céder sur ses déclarations d’impôts. Avec deux commissions d’enquête parlementaires consacrées à l’affaire russe, ainsi que le FBI, il est possible qu’il se voie enjoint de divulguer ces informations. Nixon avait eu ce problème lorsqu’il refusait de produire les enregistrements audiophoniques effectués dans le Bureau ovale. Trump ne pourra ignorer de telles injonctions. Que représente la destitution, historiquement ? Les pères de la constitution américaine de 1787 voyaient la destitution comme un complément essentiel à leur vision d’une république démocratique américaine. Ils venaient de subir la tyrannie du roi d’Angleterre George III, se montraient préoccupés du sort des libertés et du nouvel ordre constitutionnel. Ils ont donc façonné le système des checks and balances (freins et contrepoids). Mais ils savaient que la présidence était la plus puissante institution et qu’un président sans scrupule pourrait contourner le système pour imposer sa tyrannie. La destitution devenait la dernière sauvegarde de la démocratie. Deux présidents ont été destitués, mais aucun n’a été condamné. Le premier, Andrew Johnson, en 1868, fut acquitté à un vote près. Le second, Bill Clinton, s’en est sorti en 1999 devant le sénat, faute de majorité des deux tiers contre lui. Nixon, lui, aurait dû être destitué et condamné pour l’affaire du Watergate, le bombardement à outrance du Cambodge (1970) et le déraillement récemment avéré du processus de paix au Vietnam (1968). Mais il a démissionné juste à temps, en 1974. Cette épée de Damoclès qui selon vous pend au-dessus de la tête de Trump a-t-elle des chances de s’abattre ? L’affaire russe me paraît le chemin le plus direct vers une procédure de destitution. Si la collusion entre la campagne Trump et la Russie est avérée, je ne suis pas certain que Donald Trump y ait été trempé jusqu’au cou. Mais si son implication est prouvée, alors ce sera difficile pour lui d’échapper à son sort. L’épée de Damoclès est une réalité. Elle ne s’abattra peut-être pas, mais je conseille aux Américains de rester vigilants. Le 27 juillet 2016, Donald Trump invitait la Russie à hacker les serveurs du Parti démocrate et exhumer les courriels de Hillary Clinton. Est-ce un élément à charge contre lui ? Bien qu’il se soit produit avant l’élection, rien dans la constitution ne dit que des événements antérieurs ne peuvent être pris en compte dans une enquête en vue de destitution. Les propos de Trump sont extraordinaires : il rompt avec deux siècles de tradition politique américaine, selon laquelle toute interférence étrangère devait être proscrite. Or, il a invité les Russes à commettre un vrai crime au regard de la constitution. Imaginez-vous réellement qu’un Congrès majoritairement républicain se ligue contre un président du même bord politique ? Je penche pour un catalyseur, qui prendra la forme d’une vague de révulsion populaire. Les membres du Congrès se préparent à assurer leur réélection en 2018. La première règle en politique s’appelle l’auto-préservation. Les élus républicains pourraient aboutir à la conclusion que Trump est devenu un fa rdeau. [scald=2734107:sdl_editor_representation] Puisque ce sont les démocrates qui veulent le destituer, il suffirait que deux douzaines de républicains virent leur cutie pour dégager une majorité contre le président. Ce qui fait moins de 10 % du collège parlementaire républicain. Lorsque vos prévisions électorales se sont avérées correctes, Donald Trump vous a écrit un bref compliment : « Professeur. Félicitations. Bien vu ». Attendez-vous une autre petite note de sa part ? Je n’ai rien reçu d’autre jusqu’ici, mais un tweet ne saurait tarder ! Ceci étant dit, son message m’a surpris, et j’ai trouvé le geste plutôt gracieux. Mais je pense pas qu’il changera jamais. Il continue de se comporter à la Maison Blanche comme il l’a toujours fait depuis quarante ans. On ne change pas les habitudes d’un septuagénaire.

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