Premier mai: Bacquelaine charge la gauche
Deux jours avant le Premier mai, Daniel Bacquelaine le ministre des Pensions (MR) nous adresse une carte blanche au vitriol pour la gauche politique et syndicale.

Chaque 1er mai, diverses formations politiques et syndicales rendent hommage à la valeur travail. En dépit de cette apparente unanimité, cette valeur est aujourd’hui en perte de vitesse au sein même de la grande famille de la gauche, alors même qu’elle affirme depuis longtemps en détenir – à tort – le monopole.
C’est une chose qui m’a surpris il y a deux ans lorsque nous avons relevé l’âge légal de la retraite. Je touchais à un tabou.
A entendre certains – je pense surtout aux syndicats et aux partis d’opposition – j’avais le sentiment que, pour eux, le travail était une punition et la pension une délivrance. On me dira que ce n’est pas s’opposer au travail que de vouloir y mettre un terme lorsque, physiologiquement, le corps est usé. Cet argument ne tient pas car nous vivons en bonne santé à un âge plus avancé qu’auparavant. L’âge légal de 65 ans a été édicté en 1925 quand l’espérance de vie était de 58 ans alors qu’elle est aujourd’hui de… 81 ans.
Pour la gauche, le travail est perçu comme un fadeau
Pourquoi une telle opposition alors que les Belges figurent parmi les plus jeunes pensionnés du monde ? Parce que, pour la gauche, le travail est perçu comme un fardeau. Elle propage depuis longtemps cette idée que le progrès social consisterait à s’arrêter de travailler très tôt. C’est l’une des raisons pour lesquelles ces dernières décennies, elle a favorisé le départ précoce à la retraite. C’était, il est vrai, également pour libérer des places pour les plus jeunes mais toutes les études confirment que cette politique incitative dispendieuse n’a pas permis de réduire le chômage des jeunes, lequel a des causes plus profondes (inadéquation des qualifications, décrochage scolaire, etc.). En réalité, éjecter les plus de 50 ans du marché du travail est économiquement un non-sens et humainement immoral. Le progrès social consiste, non pas à s’arrêter de travailler de plus en plus tôt mais à créer des emplois pour chacun et à rendre le travail épanouissant pour tout le monde.
Partager le travail
Autre constat : la gauche est obsédée par l’idée de « partager » le temps de travail. D’une part, parce qu’elle considère – à tort – ce dernier comme une quantité finie et, d’autre part, parce que, encore une fois, elle croit au vieux mythe de la « fin du travail » préfigurant l’avènement d’une société des loisirs. Ce sont des considérations similaires qu’avancent les partisans de l’allocation universelle dont le candidat Benoît Hamon était l’un des champions. Certes, on ne peut nier que la réduction du temps de travail depuis un siècle et le fait de consacrer plus de temps à sa famille, ses proches, aux loisirs, au sport, etc. sont assurément un progrès. A condition toutefois de tenir compte du réel : toutes les expériences de partage du temps de travail se sont soldées par des échecs (la saga des 35 heures a fait perdre un cycle économique complet à la France) et il est frappant de constater que les pays dont les habitants sont les plus riches – Suisse, Australie, Canada – sont aussi les pays où la durée annuelle moyenne du travail est la plus importante.
Pourtant, la gauche, était, historiquement, très attachée à cette valeur travail. Je pense qu’elle a trahi l’héritage de Karl Marx. Pour ma part, je partage, sur ce point précis, la conception du travail de Karl Marx car, dans le sillage d’auteurs libéraux tels que John Locke, il a reconnu dans le travail une vertu émancipatrice. En effet, quoique le travail existe depuis l’apparition de l’homme, il était traditionnellement perçu comme une activité dégradante. En Grèce ou à Rome, les citoyens possédaient des esclaves sur lesquels ils se déchargeaient des tâches plus laborieuses. La Bible présente la pénibilité du travail comme un châtiment divin à l’encontre d’Adam chassé du paradis : « C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ». Le Moyen Age reprit cette idée chrétienne jusqu’à ce que John Locke, au XVIIe, renverse le vapeur et consacre le travail comme la valeur fondatrice du droit de propriété.
En réalité – et c’est cela que la gauche semble avoir oublié –, le travail possède une double nature. Selon Hannah Arendt, il est tout à la fois un « labeur » et une « œuvre » : l’homme est un « animal laborans » (il doit travailler pour vivre) mais c’est aussi un « homo faber » (il transforme la nature et acquiert une maîtrise sur les choses). Karl Marx avait très bien compris cela : le travail permet d’actualiser les « puissances personnelles » de l’homme. Autrement dit, c’est par le travail que l’homme concrétise ses potentialités et qu’il devient un être libre. Mais, Marx disait aussi que le travail peut devenir « aliénant » : les conditions de travail peuvent être telles qu’elles empêchent l’homme de faire autre chose que des gestes répétitifs, mécaniques, le dépossédant ainsi de lui-même (l’aliénation est, littéralement, le processus qui rend l’homme « étranger à lui-même »).
Pénibilité du travail
Evidemment, il ne faut pas sous-estimer la pénibilité du travail.
C’est d’ailleurs l’une des tâches principales du Comité National des Pensions que j’ai mis sur pied il y a 2 ans afin de permettre à tous ceux qui exercent un « métier lourd » d’accéder plus tôt à la pension. Il faut également récompenser le travail. Raison pour laquelle j’ai modifié le système de manière à permettre aux pensionnés qui le désirent de travailler sans limite de revenus. Le système de pensions à points que nous sommes en train de mettre en place obéit à la même logique. Tout comme le système du rachat des années d’études. Les réformes sur les « fins de carrière » et les « assimilations » sur lesquelles travaille mon cabinet et qui seront mises en œuvre incessamment s’inscrivent, elles aussi, dans cette même volonté de valorisation du travail.
Le travail ennoblit. C’est par le travail que nous nous accomplissons. Par le travail que nous nous dépassons. Que nous remboursons à la société tout ce qu’elle nous donne. C’est par le travail que nous créons des richesses dans la société. Or, accroître les richesses, c’est créer plus de liberté. C’est ce qu’affirme Amartya Sen, Prix Nobel d’économie : dans une économie libre où le travail n’est pas contraint, les richesses peuvent être converties en libertés. Elles peuvent financer les soins de santé et l’éducation, augmentant l’espérance de vie et le pouvoir d’action des hommes et des femmes dans le monde. Ces richesses ne sont pas une fin en soi : elles augmentent nos capacités. Dès lors, le travail démultiplie nos libertés !
L’oubli de ces vérités fondatrices communes aux libéraux et aux socialistes est peut-être l’une des causes de l’affaiblissement électoral de la gauche démocratique aujourd’hui.
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S'identifier Créer un compteQuelques règles de bonne conduite avant de réagir12 Commentaires
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Posté par warnimont pascal, mardi 2 mai 2017, 9:42
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Posté par warnimont pascal, mardi 2 mai 2017, 9:23
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Posté par Sébastien Petit, dimanche 30 avril 2017, 13:18
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Posté par Sébastien Petit, dimanche 30 avril 2017, 12:41
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Posté par stals jean, samedi 29 avril 2017, 12:27
Plus de commentairesJuste pour rire, prenons la liste de pays OECD ou on travaille moins qu en Belgique, en commencant par celui ou l on travaille le moins d heure annuelle par travailleur :) : Allemagne, Hollande, Norvege, Danemark, France, Luxembourg.
Cinq minute de travail aurait aidé Mr Bacquelaine a faire moins d'erreurs en en parlant. Peut etre qu un citoyen devrait lui apprendre a utiliser Google ? Selon les sources OECD - pas vrament un organisme de gauche", les pays ou on travaille le plus d heure sont les plus pauvres, et non les plus riches, comme il l affirme: Mexique, Costa Rica, Corée, Chili, Grece, Russie. Par ailleurs, le nombre d heure annuelle par travailleur en Belgique (1541) est quasi identique a celui de la Suisse (1590) et s explique par le taux d emploi et le type d industrie ( le scandale de la banque HSBC, remember ?), plus que par l age effectif de la retraite. Bref, Mr Bacquelaine: moins parler, plus travailler :) https://data.oecd.org/emp/hours-worked.htm
La "valeur travail" pour moi, c'est de l'arnaque. Une valeur comme le partage, la politesse, le respect des autres, ça implique que l'on attend pas de rémunération en échange pour le faire. On est pas poli uniquement avec les gens qui nous paie en retour. En sens le travail n'est pas une valeur, il est accompli en échange d'une rémunération. Je pense que ce n'est pas innocent pour les libéraux de parler de valeur travail. C'est fait exprès pour culpabiliser les travailleurs de ne pas accepter des emplois mal payés, des diminutions de salaires et aussi de cotiser toute sa carrière mais ne pas avoir droit à une pension sauf si on accepte de travailler plus longtemps. Le but des libéraux, d'après moi, c'est inculquer cette "valeur" que travailler est tellement émancipant que les travailleurs devraient accepter de travailler sans être payer en retour. (ou si peu). Valeur qui en passant est contraire à la théorie du libéralisme qui conçoit le salariat comme un contrat entre 2 parties libres qui passent un accord commercial, en fixant le salaire au point d’équilibre entre l'offre et la demande. D'ailleurs où est la logique de défendre la "valeur" travail alors qu'on défend en même temps la rémunération du capital (qui n'implique pas de travail en retour). Mr Bacquelaine essaie de défendre une "valeur" contraire à son idéologie, c'est pour moi le signe que ce discours est d'abord une technique de manipulation. Il n'y croit pas en réalité, il est avant tout libéral et croit à son idéologie.
Bacquelaine n'a pas compris Marx. Marx accorde une valeur émancipatrice aux activités créatives et à la lutte sociale mais pas au salariat. Un travailleur qui ne possède pas l'outil de production n'a d'autre choix que de se soumettre à l'autorité d'un patron par le salariat. C'est en ce sens, selon Marx, qu'il est toujours une forme d'exploitation mais pas de l'émancipation. Bon, c'est l'avis de Marx, que je ne partage pas totalement mais le problème ici, c'est d'attribuer à Marx des idées qui n'étaient pas les siennes. Je trouve ça grave pour des hommes politiques de faire les malins à citer des personnes historiques mais n'avoir même pas compris leur propos. Ça témoigne bien de leur ignorance. Et en face, c'est encore pire! Qu'un libéral ne comprenne pas Marx à la limite ça peut se pardonner mais alors pour Dardenne, socialiste qui répond à l'attaque sans se rendre compte que les propos de Marx ont été bafoué, ça devient pathétique.
La « Carte Blanche » de Bacquelaine a été publiée un mois trop tard… En effet ce n’est pas pour le premier mai qu’elle aurait du sortir dans Le Soir, mais pour le premier avril…Alors on aurait pu rire de cette « bonne blague » au relant de poisson crevé… « Les cons ça osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît »…Cette répartie Ô combien célèbre que Michel Audiard fait dire à Lino Ventura dans les « Tontons flingueurs » semble avoir été créée tout exprès pour ce « docteur ès retraite » de carnaval...A l’occasion de la « fête du travail », on a vu souvent les libéraux de Jodogne ou d'ailleurs, d'ailleurs, jouer la provocation à fond la caisse rien que pour emmerder les socialos. Avec cette « Carte Blanche au vitriol de Chaudfontaine » on doit bien se fendre la gueule du coté de cher Mimi Charlot… Bacquelaine évoquer Marx ? C’est du grand art, c’est le ; « ceci n’est pas une pipe » de Magritte, battu à plat de couture.. Bacquelaine marxiste? oui mais comme l'autre, tendance Grouncho...mais ça, ce grand penseur pour la Retraite, digne de celle de Napoléon en Russie, il n'a bien garde de nous le préciser... Bravo l'artiste...