Le Front national, une rénovation de façade

Depuis Paris. A Nanterre, près du quartier de la Défense, on l’appelle « le carré ». Le bâtiment, toujours gardé par un service d’ordre musclé, n’a rien de tape à l’œil, niché à une centaine de mètres de « Chez Tonton », un bistrot de quartier style PMU. Mais l’accueil y est plutôt plus avenant qu’à l’époque où le « vieux » régnait sur le « Paquebot » de Saint-Cloud, aujourd’hui revendu pour renflouer les caisses du parti. Dès l’entrée, une boutique propose d’ailleurs aux visiteurs des gadgets en guise de souvenirs. Les bureaux ne paient pas de mine, genre office des PTT des années 70. Mais quand Florian Philippot, le numéro deux, reçoit dans son modeste local, il ne se fait pas prier pour commenter avec courtoisie sa collection de DS et autres icônes du général de Gaulle. On est loin des délicats « Macron, on t’encule ! » hurlés dans les meetings. Le jeune énarque sait y faire, qui jamais ne dérape. Le chantre des frontières sait parfaitement où se situent celles à ne pas dépasser. Le FN a changé de visage. Du moins, c’est ce qu’il cherche à montrer. Au QG de campagne, dans les beaux quartiers de Paris, à quelques centaines de mètres de l’Elysée, on se plaît aussi à faire voir que les « gars de la Marine » ont le sens de l’humour, avec ces affiches détournées de James Bond ou des Tontons Flingueurs. La présidente elle-même sait s’amuser qui se fait, au soir du Brexit, un bon vieux karaoké dans le quartier de Saint-Germain qu’elle fustige pourtant habituellement comme le haut lieu de la « pensée unique ». [scald=2739521:sdl_editor_representation] « N’ayez pas peur ! » « Entrez dans l’espérance ! », disait déjà Jean-Marie Le Pen en 2002, copyright papal de Jean-Paul II, quand il venait d’éjecter Lionel Jospin de la présidentielle. Et c’est comme si sa fille lui répondait en écho quinze ans plus tard : « N’ayez pas peur ! ». A ceux qui étaient trop jeunes ou qui auraient tendance à l’oublier, « l’affaire Jalkh » vient pourtant de rappeler l’histoire du parti d’extrême droite. Or donc, Marine Le Pen, à qui personne n’avait rien demandé, se met en congé de la présidence du FN, histoire de « prendre de la hauteur » et de prétendre incarner tous les Français dans cet entre-deux tours qu’elle veut rassembleur. Les statuts désignent Jean-François Jalkh, jusqu’alors délégué général, pour monter en grade. Un journaliste de La Croix met peu de temps à exhumer des archives sulfureuses qui accablent le personnage. Dans une interview recueillie en 2000 par une chercheuse et parue cinq ans plus tard dans la revue « Le Temps des savoirs », Jalkh y exprime ses doutes sur l’utilisation massive du Zyklon B par les nazis. « Je considère que d’un point de vue technique, il est impossible de l’utiliser dans des exterminations de masse », avance l’intéressé. Après l’épisode de Whirlpool mardi dernier, un coup dont se félicite l’équipe de Marine Le Pen, l’affaire fait tache. Steeve Briois est nommé vendredi au pied levé pour remplacer Jalkh. « Steeve », l’enfant du pays d’Hénin-Beaumont, le petit-fils de mineur d’une ville dont il ne prétend être, en gros, que « l’allumeur de réverbères ». Voilà qui est plus présentable. [scald=2739523:sdl_editor_representation] Sauf que lui aussi a ses casseroles. Un double aveu : le FN manque de cadres bien sous tous rapports et cède à l’amateurisme quand bien même il vise à se professionnaliser. Les écuries d’Augias A l’automne dernier, lorsque Le Soir avait mené une grande enquête sur le Front national pour voir comment il se préparait au pouvoir, une figure nous avait marquée : celle de Jean-Lin Lacapelle. Ancien haut cadre de L’Oréal, ami intime de Marine Le Pen, il est le lieutenant chef de la professionnalisation du parti. Fin de la quarantaine mais l’énergie d’un sportif qui en veut, il n’a cessé de sillonner la France pour faire la grande lessive au sein des fédérations. En pleine campagne présidentielle, le scandale éclate pourtant encore à Nice, la ville où la candidate vient si souvent faire l’apologie de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme. Filmé dans un documentaire de C8, Benoît Loeuillet, un conseiller régional FN de la région Provence Alpes-Côte d’Azur est surpris dans sa librairie du Paillon, à Nice, où il vend des livres d’Adolf Hitler et du négationniste Robert Faurisson. L’encombrant élu est aussitôt exclu. « Il n’a jamais tenu de tels propos devant nous », jure Marion Maréchal-Le Pen, capitaine du FN du Sud. Jean-Lin Lacapelle n’a jamais remercié non plus Axel Loustau ou Frédéric Chatillon, les si gênants amis « gudards » de la patronne, du nom de ce groupuscule d’extrême droite qui cognait des poings dans les années nonante. Lorsque nous l’avions interrogé au Sénat en octobre, David Rachline, directeur de campagne de Marine Le Pen, s’était crispé à l’énoncé de la question. « M. Chatillon a des compétences, nous l’employons parce que c’est un excellent professionnel. Ses idées ne sont pas celles de Marine Le Pen ou en tout cas pas en tous points. » Il évoquait à contrecoeur le passé du personnage comme une « erreur de jeunesse ». Il faut dire que le même Rachline absout dans un même élan les saillies de Jean-Marie Le Pen : « Ce ne sont que quinze secondes dans l’ensemble de son parcours politique ». Piqûres de rappel « Quinze secondes » ? Quinze secondes que, comme des piqûres de rappel, le vieux patriarche de l’extrême droite continue encore d’injecter comme une lente perfusion venimeuse. A propos de la cérémonie d’hommage au policier tué par un attentat sur les Champs-Elysées le 20 avril, trois jours avant le premier tour, Jean-Marie Le Pen a eu cette formule : « Je suis très étonné par une cérémonie où on rendait plutôt hommage à l’homosexuel qu’au policier », a-t-il lancé. Le Front national a beau mettre en avant la rénovation de sa façade, la plupart de ses dirigeants ont œuvré pour ce diable de Jean-Marie Le Pen dont ils prétendent aujourd’hui être désenvoûtés. Louis Aliot ? Il a été le dircab de Jean-Marie Le Pen et le coresponsable de sa campagne présidentielle de 2002. Steeve Briois ? C’est la figure de Jean-Marie Le Pen qui le pousse à s’engager au FN quand il n’est encore qu’un gamin. Nicolas Bay ? Lui aussi a adhéré dès l’adolescence au FN après avoir assisté à un meeting de Jean-Marie Le Pen avant de s’éclipser chez Bruno Mégret et de revenir. [scald=2739520:sdl_editor_representation] Le menhir lui-même vote encore pour sa fille même s’il regrette une campagne de premier tour « trop modérée ». « Trump ne s’est jamais retenu et c’est pour ça qu’il a gagné », nous expliquait-il déjà dans sa villa de Montretout le jour de l’élection du Président américain. Jean-Marie Le Pen se reconnaît surtout dans sa petite fille Marion Maréchal qui lui rend régulièrement des visites de courtoisie. Elle, quitter la politique ? « Quand on a eu la chance d’avoir le destin de Marion Maréchal-Le Pen, on se fait un devoir de continuer la bataille ! », confiait-il l’autre jour sur France inter. Marion Maréchal-Le Pen, qui multiplie les déclarations sur l’IVG (elle veut en supprimer le remboursement) et le planning familial (elle veut revenir sur ses subventions) ? Souvent sermonnée, mais jamais vraiment désavouée. Renaud Dely, le patron de Marianne, vient de publier « La vraie Marine Le Pen » (Plon), judicieusement sous-titré : « Une bobo chez les fachos ». Fin connaisseur d’un FN qu’il suit depuis des années, il met en garde contre le double prisme déformant de son évolution. « Le parti d’extrême droite serait immuable, figé dans sa gangue originelle, fidèle pour l’éternité à la ligne fixée par son fondateur et Conducator, Jean-Marie Le Pen, lorsqu’il le créa à l’automne 1972 ». Mais non, on ne peut pas dire que le FN n’a pas changé. Il n’est qu’à voir comment Marine Le Pen considère la Shoah, objet des saillies de son père, comme le summum de la barbarie. Il n’est qu’à voir sa ligne économique et sociale. Il n’est qu’à voir la suppression du rétablissement de la peine de mort de son programme. Mais non, on ne peut pas dire non plus que le FN s’est normalisé. « L’extrême droite peut être étatiste ou libérale, conservatrice ou révolutionnaire, atlantiste ou anti-américaine. Au fond, un seul et même critère distingue à jamais cette sensibilité idéologique des formations républicaines, c’est le refus du mélange, du métissage, le rejet de l’autre », analyse Renaud Dely. [scald=2739522:sdl_editor_representation] Il faut parfois écouter d’autres paroles que les gentils refrains yé-yé des karaokés.

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