Présidents et Premiers ministres: les pires binômes de l’Histoire de France

« J acques Chaban-Delmas travaille peu, ne lit pas de papier, en écrit moins encore et préfère discuter avec ses collaborateurs. » Ainsi parlait le deuxième président de la cinquième République, Georges Pompidou, de son Premier ministre. Des deux gaullistes à Nicolas Sarkozy et François Fillon, quelques tandems se sont particulièrement détestés. Georges Pompidou et Jacques Chaban-Delmas (juin 1969 – juillet 1972) : jalousie et divergences Jacques Chaban-Delmas est le Kennedy français. C’est en tout cas le qualificatif qu’emploient certains médias au sujet de l’ancien résistant. Plus jeune général français depuis Napoléon et ancien sportif de haut niveau, le chef du gouvernement éclipse le Président. Qui lui en tient rigueur. Le chef de l’État répugne son attitude qu’il juge empreinte de « légèreté » dans l’exercice de la fonction gouvernementale. Comme l’explique le professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Michel Verpeaux, les deux hommes ne s’inscrivent pas dans le même courant de pensée. « Georges Pompidou était plus conservateur. Pour durer en tant que Premier ministre, il faut une proximité idéologique avec le président de la République. Les deux hommes n’étaient pas assez proches. » « Ils devaient être complémentaires dans la même majorité, complète le président de l’université Clermont-Auvergne et professeur d’Histoire contemporaine, Mathias Bernard. Mais leur relation s’est progressivement transformée en cohabitation (lorsque le président de la République et le Premier ministre ne partagent pas la même couleur politique). » Le 5 juillet 1972, le numéro deux de l’État franchit pour la dernière fois le perron de l’Élysée. Preuve que le chef de l’État décide. [scald=2763250:sdl_editor_representation] Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac (mai 1974 – août 1976) : mépris et coups bas « Valéry Giscard d’Estaing a eu besoin de nommer Jacques Chirac à Matignon. Il s’agissait d’un renvoi d’ascenseur », décrypte Michel Verpeaux. En 1974, le futur Premier ministre avait trahi son camp en soutenant le futur chef de l’État contre le candidat gaulliste, Jacques Chaban-Delmas. Après une courte lune de miel, leur relation se dégrade. Le chef du gouvernement reproche notamment au chef de l’État d’empiéter sur son territoire. Ce dernier se met à mépriser Jacques Chirac. Il l’invite à dîner en compagnie de son moniteur de ski ou organise des réunions stratégiques avec certains de ses ministres sans le convier. Le numéro deux de l’État lui répond par des coups bas. Quelques années après avoir quitté son poste en 1976, il appelle secrètement à voter pour le candidat socialiste François Mitterrand au second tour de l’élection présidentielle de 1981. Valéry Giscard d’Estaing relate cet épisode dans le troisième tome de ses mémoires : « J’ai demandé qu’on me donne le numéro de téléphone de la permanence du RPR dans l’ouest de la région parisienne. Je compose le numéro. Une voix féminine me répond : « Permanence de Jacques Chirac. À qui voulez-vous parler ? » Je déploie mon mouchoir sur l’appareil, dans l’illusion de rendre ma voix moins facilement reconnaissable. […] Un déclic, puis une voix masculine, peu aimable. « Je voudrais savoir comment voter dimanche ? » À peine un temps mort. Il me répond tout de suite : « Il ne faut pas voter Giscard. On a dû vous le dire ! » « Oui, oui, […] mais […] est-ce qu’il faut m’abstenir, ou mettre un bulletin blanc ? » « Il faut voter Mitterrand ! » » [scald=2763249:sdl_editor_representation] François Mitterrand et Jacques Chirac (mars 1986 – mai 1988) : la revanche du président La France connaît sa première cohabitation. Le Président de gauche nomme un chef de gouvernement de droite. Comme l’explique le constitutionnaliste Pascal Jan, professeur des universités à l’institut d’études politiques de Bordeaux, c’est le Premier ministre qui « domine » ce type de configuration. Privé de leadership, François Mitterrand fait vivre un enfer à Jacques Chirac. Mathias Bernard parle de « guérilla à la tête de l’État. » Lors d’un sommet international à Tokyo, le socialiste assène à la presse : « Il n’y a qu’une seule voix de la France. » La sienne. Aux désaccords personnels s’ajoutent les antagonismes politiques. Lors de manifestations étudiantes, le Président désavoue publiquement le gouvernement. Les tensions s’aggravent à mesure que l’échéance présidentielle se rapproche. Selon Mathias Bernard, la rivalité entre les deux hommes atteint son « paroxysme » lors du débat de l’entre-deux tours. Le candidat gaulliste essaie de s’affirmer : « Ce soir, je ne suis pas le Premier ministre et vous n’êtes pas le président de la République. Nous sommes deux candidats à égalité et qui se soumettent au jugement des Français, le seul qui compte. Vous me permettrez donc de vous appeler Monsieur Mitterrand ». Son interlocuteur le terrasse : « Vous avez tout à fait raison Monsieur le Premier ministre ». Nicolas Sarkozy et François Fillon (mai 2007 – mai 2012) : l’omniprésident et le collaborateur « Notre Constitution ne fait pas du président de la République un PDG et encore moins un sultan turc. Le président de la République ne devrait pas être un président de faits divers, prenant la parole à tort et à travers […], multipliant les petites promesses démagogiques et occupant les rubriques mondaines. » Si Nicolas Sarkozy n’est pas explicitement mentionné lors de ce discours, prononcé par François Fillon lors de la campagne de la primaire de la droite et du centre de 2016 à Sablé-sur-Sarthe, il est clairement visé. Qualifié de « collaborateur », l’ancien Premier ministre conserve une rancune tenace à l’encontre de l’ancien chef de l’État. Leur association s’annonçait pourtant prometteuse, comme l’explique Mathias Bernard. « Au départ, leur accord repose sur des bases politiques solides. Le problème a été le peu de pouvoir laissé par le Président au Premier ministre. Les tensions sont apparues dès l’automne 2007 mais sont restées feutrées pendant le reste du quinquennat. C’est après coup que l’antagonisme a été révélé au grand public. » [scald=2763248:sdl_editor_representation]

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