Vincent Lindon : «Je rêvais d’être Rodin»

Cannes L’acteur, récompensé par le prix d’interprétation il y a deux ans pour son rôle dans La loi du marché, de Stéphane Brizé, fait déjà parler de lui avant d’arriver sur la Croisette car il a refusé d’être filmé sur Europe1 jeudi lors de son passage en radio pour la promotion de Rodin. «Le principe de la radio, c'est le fantasme d'entendre quelqu'un et se demander où il est (…) A partir du moment où c'est filmé, ce n'est plus de la radio, c'est de la télévision, donc c'est double peine. Ca désacralise. A la radio, ce qui est génial, on n'a qu'à se concentrer sur ce qu'on dit, sur la voix et on peut rigoler, il y a quelque chose qui se passe dans le studio» a-t-il expliqué. [scald=2766504:sdl_editor_representation] Et son refus plaît énormément, la preuve au vu du nombre de tweets saluant sa démarche. Cette liberté, l’acteur l’a depuis l’enfance.« Elle a un prix mais c’est comme ça que j’ai envie de vivre », nous avouait-il quelques jours avant. C’est pour cette raison aussi que Rodin l’a tellement bouleversé. Avez-vous une fierté de revenir à Cannes en compétition ? Il y a toujours une fierté. Et plus encore par le fait que Jacques Doillon n’a plus été à Cannes depuis plus de 30 ans. Je suis fier d’être celui qui a dit oui à son film et d’avoir donné tout ce que j’ai pu. Je suis très heureux de participer au retour de Jacques Doillon à Cannes, de l’accompagner. C’est à ça que ça sert d’être connu. C’est pour aider un projet qui, sans vous, ne se serait pas fait. C’est un stress ? Cannes est un stress. L’arrivée là-bas, les photos, la projection… On rentre dans la fosse aux lions mais ça me plaît. J’aime me jeter comme ça dans le vide. Mais il n’y a pas mort d’homme, ce n’est que du cinéma. Je n’ai jamais autant été submergé par un personnage que par Rodin Rodin disait : « Je ne cherche pas à plaire, je cherche le vrai. » Cette phrase vous va comme un gant, me semble-t-il… C’est vrai qu’il y a pas mal de points communs entre Rodin et moi. Ce n’est même pas la vérité qu’il cherche, car on ne peut la trouver que si on est soi-même la vérité. Alors, je ne sais pas si c’est moi entièrement mais c’est en tout cas quelque chose que j’ai envie de suivre, et qui m’intéresse, qui m’interpelle. Faire pour faire, faire pour faire comme les autres, pour ressembler à quelqu’un ne m’intéresse pas. Sauf si ça me plaît. Je ne cherche pas à tout prix à me différencier. Mais, tant qu’à faire, dans ma vie, artistiquement, j’essaie toujours de me poser la question : « est-ce que ça me va ou est-ce que ça ne me va pas ? » Et quand ça ne va pas, je ne fais pas. A n’importe quel prix. Car je n’ai pas envie. Pour aborder Rodin, avez-vous fait beaucoup de recherches ? Oui, car on ne peut interpréter un sculpteur comme Rodin, sans apprendre la sculpture. Ca ne voudrait rien dire, ce serait ininterprétable. Il est sans arrêt en train de travailler, sans arrêt en blouse, sans arrêt penché en avant. En plus, c’était quelqu’un de très taiseux, très timide. Il y a donc eu un travail de sculpture important, un travail pour la voix – il parlait beaucoup dans sa barbe -, très introverti. Il avait un mal de chien à s’exprimer avec les gens tant qu’il n’était pas question d’art. Il était très modeste et mal à l’aise en société. Il n’allait jamais dîner et le seul moment où il s’exprimait, c’est quand il parlait d’art. Il y a deux Rodin : le public, un être effacé, peureux, qui ne veut pas déranger, qui a commencé sa vie avec des échecs – il a raté 3 fois les beaux-arts, il a attendu 40 ans avant d’être célèbre – et quand il le devient, c’est sur un scandale, on l’accuse d’avoir roulé directement sur le corps de son modèle – c’est donc un être très fragile. Et puis il y a le Rodin dans son atelier, et là, on fait comme il a décidé. Il a des idées, précises, il se bat contre les à-priori, les préjugés, les idées reçues. Il n’en fait qu’à sa tête. C’était ça qu’il fallait faire ressortir, et c’est pour ça que parfois il parle haut, parfois très bas. Le combat avec les instances dirigeantes, ça le terrorise. Vous avez aussi appris à sculpter ? Oui. Quatre-cinq heures par jour, pendant six mois. Et j’ai adoré ça. C’est quelque chose de très prenant, de très sensuel, de très sexuel. On modèle, on malaxe, il est question du corps, très souvent de la femme, on caresse, on réduit, on augmente. J’ai fait un autre film entre-temps, mais je vais m’y remettre, en septembre. Je veux y retravailler, au moins une fois par semaine. Quand on se plonge à ce point dans un personnage, est-ce qu’on ne se perd pas soi-même à un moment donné ? Se sentir plus Rodin que Lindon ? Je ne compte pas comme ça. C’est comme si je vous demandais quand vous rentrez chez vous, si vous êtes plus la maman que la journaliste. L’un est indissociable de l’autre. C’est moi parce que c’est moi, j’ai un cœur qui bat à son rythme, je pense, j’ai un GSM, j’ai une vie, j’ai faim et soif, j’ai envie de faire pipi, sur un plateau, donc c’est moi. Mais c’est en calque, en deuxième plan. Et puis là, je suis habillé comme Rodin, je bouge comme lui, je dis des phrases de Rodin… L’habit fait le moine. Bref, je ne sais pas si je suis plus lui que moi sur le plateau, mais ce que je sais, c’est que je n’ai jamais autant été submergé par un personnage. C’est le mot : submergé. Ca prenait l’eau de partout. Une inondation. Lors de la scène avec le buste de Victor Hugo, j’étais possédé. Je courais sans arrêt pour me souvenir de ce que je voyais, je haletais, je m’y croyais. L’intérêt pour un comédien quand il joue un personnage comme ça, c’est la schizophrénie. Tout d’un coup, on se prend pour lui. Vous dites aimer jouer les personnages qui vous rendent meilleur, est-ce le cas de Rodin ? Je ne sais pas s’il m’a rendu meilleur mais il m’a obligé à me cultiver. Il est impossible d’attaquer Rodin sans obligatoirement aller s’intéresser à Monet, Manet, l’impressionnisme, Cézanne, Mirbeau, Clémenceau, Zola… C’est très vaste. A l’époque, Rodin était un homme dont bon nombre d’artistes étaient jaloux, pas tant de son art que de son modernisme et de sa liberté. Son Balzac marque le début de la sculpture moderne. Il y eut Michel-Ange et Rodin.

Votre compte

Vincent Lindon : «Je rêvais d’être Rodin»

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Cinéma

Humeur Festival de Cannes: le flop de la tactique TikTok

105 minutes dans l’Ukraine en guerre: le choc au Festival de Cannes

Armaggedon Time: James Gray raconte son adolescence new-yorkaise et le rêve américain

Festival de Cannes - Kirill Serebrennikov: «La culture russe a toujours été anti-guerre»

Critique Festival de Cannes: coup d’envoi de la compétition avec Félix Van Groeningen

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Pourquoi la variole du singe donne des sueurs froides aux autorités sanitaires

Guerre en Ukraine: l’armée russe dit avoir «entièrement libéré» l’usine Azovstal

Guerre en Ukraine: pourquoi la Belgique met tellement de temps à rouvrir son ambassade à Kiev

Voici la composition du nouveau gouvernement français

Faut-il s’inquiéter des orages au mois de mai?

L’Afsca rappelle un produit: des traces de médicament ont été retrouvées

« Nos collaborateurs sont des empereurs, les clients sont rois »

6 Belges sur 10 sont de plus en plus sensibles à la politique climatique de leur emploi

« Nous donnons de la valeur aux idées et encourageons à les transformer en projets concrets »

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel