Nicolas Hulot: «Ces gens-là sont puissants parce qu’on est à genoux»

Pour Nicolas Hulot, qui publie un livre à la veille de la Conférence de Paris sur le climat, il est temps de regarder la réalité en face. Et d’oser les solutions. Osons, dites-vous. C’est d’abord osons un peu d’alarmisme ? Si on vous dit que vous avez une petite bronchite ou si on vous dit que vous êtes atteint d’un cancer des poumons, vous n’allez pas vous prêter au même traitement. En d’autres termes, si le diagnostic sur la situation présente et sur les risques à venir n’est pas à la hauteur, vous n’incitez pas les chefs d’Etat et les citoyens à engager les réformes nécessaires et à mettre en place les instruments adéquats. Beaucoup de gens se demandent encore si on a le choix de faire ou de ne rien faire. Je n’ai pas de réponse à tout, mais je sais que si on ne fait rien on va assister à la destruction de tout ce qui a de l’importance à nos yeux : nos économies, nos démocraties. La question n’est donc pas de savoir si on doit changer mais de savoir comment. Reste qu’en parallèle et en cohérence avec un diagnostic intraitable, il faut dire qu’on a des solutions. Mais pas des petites solutions, des solutions de taille ! Le discours sur le climat vous semble encore trop lénifiant ? Un exemple : je viens de rencontrer une série de ministres de la Défense. Parmi eux, certains n’ont pas encore réalisé que le changement climatique est une question de paix ou de guerre. Je ne cherche pas à effrayer : il s’agit qu’on ne puisse pas nous reprocher de ne pas avoir prévenu. Les conflits, les tensions se multiplient. Les changements climatiques vont accroître d’une échelle de dix ou de cent des inégalités qui sont déjà génératrices de tensions. On va vers davantage de conflits, de déplacements massifs de population : forcément, ce ne sera pas propice à la paix. Certains pensent encore que le changement climatique est un simple problème environnemental avec quelques conséquences à la marge. Au contraire : c’est un problème environnemental qui génère des effets considérables humains, économiques et géopolitiques. Il faut donc oser avoir peur ? La seule chose dont il faut avoir peur c’est d’être dans le déni. A partir du moment où vous êtes lucides sur ce qu’il faudrait faire pour sortir par le haut, il n’y a aucune raison de fermer les yeux. Penchons-nous sur les solutions : pour cela écoutons celles et ceux qui, dans tous les domaines, ont anticipé les problèmes et nous proposent des choses innovantes. La grande difficulté, c’est qu’on a tendance à reproduire des modèles qui sont à l’origine du problème. On aurait tendance à s’entêter dans les énergies fossiles, alors que ce n’est pas la solution. A s’entêter dans un mode de production agricole intensif, alors qu’on a d’autres solutions pour lutter pour le réchauffement du climat et pour nourrir la planète. A s’entêter dans un modèle économique et financier qui exploite et épuise la planète et les hommes, alors qu’un autre modèle possible. Mais ne laissons pas croire qu’on peut continuer comme avant avec quelques petites corrections à la marge. C’est une duperie ! Nous avons les cartes en main. Mais si nous laissons encore passer cette étape, nous allons franchir le seuil de l’irréversibilité. Alors, on aura beau réunir tous les Pasteur ou les Einstein du monde, on n’aura plus que nos yeux pour pleurer. Certains, plus catastrophistes, prédisent un effondrement inéluctable… Notre monde est au bord d’un point de rupture physique et psychique. Mais ce n’est pas une fatalité. Nous avons tout ce qu’il faut pour s’en sortir. C’est une question de volonté collective. La bonne nouvelle, c’est que les outils sont identifiés. La mauvaise, c’est qu’on reporte sans arrêt leur mise en œuvre. Faire croire qu’en se fixant des objectifs on va les réaliser comme par miracle, c’est une illusion. Que voulez-vous dire ? Un exemple : on dit qu’on va arriver à la fin du siècle à une forme de neutralité carbone. Tant mieux ! C’est un objectif incontournable. Mais comment voulez-vous rendre crédible cet objectif si on continue à subventionner massivement les énergies fossiles ? Comment voulez-vous faire basculer massivement le monde dans une économie dans le bas carbone sans donner un prix à celui-ci pour donner un avantage compétitif aux technologies propres ? Comment, alors qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses de l’Etat, honorer nos promesses de donner 100 milliards par an aux pays les plus vulnérables sans aller chercher l’argent dans des périmètres qui se sont organisés pour échapper à l’impôt ? C’est cette vérité-là qu’il faut dire. Si tous les actifs détenus dans les paradis fiscaux ou les plates-formes offshore étaient à un moment soumis à une forme de taxation et si les transactions financières, notamment celles sur les produits toxiques, étaient soumises à une taxation – même insignifiante pour ceux qui sont taxés –, on disposerait de l’argent pour agir. Faire croire qu’on va donner 100 milliards de dollars aux pays du sud en allant prélever des impôts supplémentaires dans nos pays, c’est impossible. L’argent, il faut aller le chercher dans ces univers qui se sont organisés en toute légalité mais en toute immoralité pour court-circuiter les Etats. Un peu utopique, non ? Ce qui est utopique c’est de penser que le monde va pouvoir durer encore longtemps comme ça sans imploser. C’est une idée que beaucoup défendent. Vous en parliez déjà en 2009 dans le syndrome du Titanic. Quelque chose a-t-il changé ? La Rochefoucauld disait : « Jamais une idée n’est aussi forte que quand son temps est venu ». Les contraintes qui pèsent sur nos sociétés sont tellement énormes qu’elles vont rendre réalisable ce qui semblait utopique. C’est donc le moment ? Aucun argument ne tient pour ne pas entamer la mutation. Pas même l’argument du court terme. La transition va générer un nouveau modèle économique, de nouveaux emplois, un modèle de partage, de protection. On ne peut plus se permettre un modèle qui détruit, qui concentre les richesses au lieu de les partager. Mais ce n’est pas simple d’aussi radicalement changer de système… Pas simple, mais pas si compliqué que cela. Chaque année, la communauté internationale donne 650 milliards de dollars aux énergies fossiles en subvention ou en exonération. Le coût de la pollution sur la santé et sur l’environnement est de plus de 6.000 milliards de dollars par an. Voyez la schizophrénie ! C’est dans ce type d’équation qu’il faut mettre de l’ordre. Ce n’est pas parce que c’est absurde que c’est facile à changer. Les 20 pays les plus puissants de la planète se réuniront le 15-16 novembre à Antalya en Turquie. Quinze d’entre eux représentent 70 % des émissions de gaz à effet de serre. Qu’est ce qui les empêche de s’enfermer dans une pièce et de fixer un calendrier pour mettre fin aux subventions aux énergies fossiles et de les basculer sur les technologies propres ? De mettre en place une taxe sur les transactions financières et de basculer les recettes pour aider les pays les plus pauvres ? Et de mettre un prix au carbone… En quoi est-ce compliqué ? Ces solutions sont déjà connues mais elles ne passent pas… Notre devoir, c’est de dire la vérité. Vous interpellez les politiques, vous êtes moins pressant à l’égard des entreprises et assez peu vis-à-vis des citoyens… Eux aussi n’ont-ils pas leur responsabilité ? C’est vrai. En tant que consommateurs, nous contribuons à ces désordres-là aussi ; l’erreur est humaine. Mais l’entêtement est démoniaque. Il est temps de nous ressaisir. Je suis exigeant vis-à-vis des chefs d’Etat parce que ce sont eux qui ont les clefs. On ne les a pas forcés à se présenter. Ils ne peuvent pas dire qu’ils n’ont pas assez d’instruments ou d’informations pour agir. Mais encore faut-il qu’ils sentent que les peuples sont derrière eux. Les engagements des entreprises, vous y croyez ? Après l’affaire VW, le temps n’est plus à la confiance… Je reçois avec beaucoup de plaisir les engagements des acteurs économiques. Certains efforts existent simplement parce qu’il y a un avantage économique. Mais ce n’est pas aux entreprises de fixer les règles du jeu, c’est aux politiques. Mais il est difficile pour un pays d’avancer seul. Et faire bouger tout le monde c’est quasiment impossible… C’est évidemment plus compliqué de discuter à 196 qu’à quatre. Mais sur ces 196, il y en a quinze qui détiennent les clefs. L’histoire les jugera. On saura qu’à un moment-clé de l’humanité ils avaient tous les outils mais que pour des intérêts nationaux ou privés ils ne l’ont pas fait. On dispose de suffisamment d’éléments pour voir que la situation pèse déjà économiquement sur nos sociétés et pour voir ce qui nous menace. Regardez l’Europe prise de panique parce que quelques dizaines voire centaines de milliers de migrants sont aux portes de l’Union. Qu’en sera-t-il lorsque dans quelques années c’est par millions qu’ils se présenteront parce que dans leur pays la désertification aura fait son œuvre. Ce n’est l’intérêt de personne de laisser les phénomènes nous échapper. C’est une vue de l’esprit de penser que si on ne fait rien ça sera mieux. Si on ne fait rien, ça va être cent fois pire. Vous faites appel aux politiques, aux Etats ; vous demandez des règles, alors que cela fait des années qu’on détricote les Etats et les administrations. Qu’on affaiblit les capacités de contrôles… Oui, on a désarmé les Etat. Oui, souvent les politiques deviennent simplement un rouage au service de l’économie. Oui, le pouvoir n’est souvent pas là où on l’a confié. C’est vrai, il y a aussi une crise de la démocratie. Quand vous êtes seul, c’est difficile d’y remédier. Mais à quoi bon faire l’Europe si on ne peut pas mettre de l’ordre dans la finance et reprendre la main sur le monde économique à 28. Ce n’est pas moins d’Europe dont nous avons besoin mais mieux d’Europe. Une Europe qui fixe les règles et les fait appliquer. Sur la finance, qu’attend l’Europe pour remettre de l’ordre, pour supprimer ses paradis fiscaux. Pour soumettre à contribution les transactions purement spéculatives ? A 28, on peut le faire. Si on fixe des règles communes, ça n’affectera pas en profondeur l’économie. Au contraire vous allez sortir de l’impasse dans laquelle on se trouve. Aujourd’hui, on est condamné à l’austérité parce qu’on va toujours chercher l’argent chez les mêmes, alors qu’il faut aller le chercher là où il est. Ce ne sont pas les classes moyennes ou les plus défavorisés qui vont contribuer à répondre aux enjeux sociaux ou environnementaux. Ce sont ceux qui se sont organisés pour échapper à la solidarité. Ne négligez-vous pas la capacité de résistance du système ? Je ne la néglige pas. Mais le système est fort parce qu’on n’est pas uni. Tout le monde critique l’écologie punitive Aujourd’hui, une machine à laver qui consomme moins ou une voiture électrique coûtent plus cher qu’une voiture ou une machine standards. Il faut inverser le processus… c’est pour cela qu’il faut une réforme de la fiscalité. Mais là aussi, il faut avoir une vision. Si vous imposez une fiscalité écologique additionnelle, je serai le premier à hurler : on a assez d’impôts. Mais si on enlève un autre impôt et qu’on crée une taxe sur les impacts environnementaux, le prélèvement énergétique et de matière première, celui qui fera des efforts gagnera en pouvoir d’achat ou en investissement. Là, il y a une cohérence. Mais on a toujours abordé les choses en petit. On a fait de l’écologie punitive. On peut faire de l’écologie incitative et dissuasive. Tant qu’on abordera simplement par le prisme d’ajouter de l’impôt à l’impôt, on créera du refus.

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