Charleroi se mobilise, Liège laisse couler, Clabecq n’est pas décidée

«Sans le HFB, Seraing perdrait son âme» Valérie Depaye, qui pilote le Master Plan de Seraing, croit beaucoup à la réappropriation urbaine des espaces industriels. Seraing-la-Neuve est en chantier. Rue Cockerill, là où John a posé ses valises il y a 200 ans, la mue est clinquante. CMI a rénové le château des Princes-Evêques et adjoint un somptueux bâtiment doré, siège de ses activités aux quatre coins du monde. En face, les anciennes halles où Cockerill a assemblé le moteur du France ont été nettoyées et devraient devenir un marché couvert pour producteurs locaux, doublé d’espaces gastronomiques. [scald=2770240:sdl_editor_representation] « Nous croyons beaucoup à la réappropriation urbaine des espaces industriels », explique Valérie Depaye, qui pilote le Master Plan de Seraing, à la tête d’Eriges, la régie communale autonome. Ci et là, Eriges parvient à sauvegarder des éléments, comme la rotonde du HF6, ou un hall d’essai de coulée. À Ougrée, elle a racheté l’ancienne salle des fêtes d’Ougrée-Marihaye et veut y faire un pôle culturel en lien avec le vaste ensemble des Ateliers centraux qui, dans un premier temps, doit devenir un parking lié à l’ouverture de la ligne de chemin de fer aux voyageurs. Par contre, pour la cokerie, le haut-fourneau d’Ougrée et toutes les installations connexes, c’est encore le flou. Et pour cause : ces sites imposants sont « sous cocon » jusque début 2019. En attendant, ils sont pillés par les voleurs de métaux qui ont notamment dépecé l’intérieur du HFB. Le vol des staves en cuivre est évalué à 2 millions d’euros. [scald=2770241:sdl_editor_representation] Garder une mémoire vive « La préservation des emprises industrielles est un casse-tête sans nom. Nous avions des idées et des demandes pour occuper provisoirement le HFB mais vu les risques de sécurité pour le grand public et la responsabilité engagée du propriétaire, c’est non ! Rien que pour se réapproprier les Ateliers centraux, c’est le chemin de croix, tant la négociation est lente notamment pour déterminer la responsabilité environnementale d’ArcelorMittal », souligne Valérie Depaye qui a lancé, sur une série d’autres sites, un appel à projet pour des occupations éphémères. Elle plaide également pour une réappropriation de la darse en contrebas du défunt HF6, là où il y avait jadis une guinguette pour les loisirs ouvriers et une piscine flottante. [scald=2770243:sdl_editor_representation] Contrairement à Charleroi, la population liégeoise ne se mobilise guère pour la réappropriation du patrimoine sidérurgique. En 2019, le dernier haut-fourneau liégeois pourrait tomber dans l’indifférence générale. « Je plaide pour qu’il soit en partie préservé et devienne un mémorial. Pas un musée sinon ce serait la faillite assurée, déclare Robert Halleux, historien des sciences et techniques qui s’est ravisé après avoir défendu sa mise à terre. Seraing perdrait son âme si le dernier haut-fourneau liégeois, le HFB, était mis à terre. Les gens deviendraient amnésiques, sans racines. Le problème est de savoir comment garder une mémoire vive capable de susciter le goût de l’innovation sans oublier les conquêtes sociales ». [scald=2770242:sdl_editor_representation] 330 hectares en jachère Que prévoit Seraing pour le HFB ? « Nous avons commandé une étude pour le HFB et la cokerie. Actuellement, nous nous orientons vers des fonctions économiques qui nécessitent un meilleur accès au fleuve. Mais il reste possible de préserver une partie de la structure du haut-fourneau. Le tout est de ne pas se priver de terrains économiques dont on a besoin », déclare Valérie Depaye. [scald=2770244:sdl_editor_representation] Ougrée, Seraing mais aussi Chertal : ce sont 330 hectares de sites sidérurgiques qui sont aujourd’hui en jachère. Avec parfois des éléments mobiliers remarquables comme les wagons thermos ou les engins de manutention de poches d’acier. Un potentiel unique de réappropriation, à la lumière de ce que les Allemands ont fait dans la Ruhr. Mais aussi des opportunités foncières stratégiques, en bord de Meuse. « Nous concevons tout cela comme un système qui doit tenir compte d’autres projets que sont le Trilogiport ou Liège Airport », explique Arnaud Lamy qui coordonne les activités de la Foncière (lire ci-contre). « Pour chaque terrain, nous examinons les forces et les faiblesses, histoire de déterminer quel est le bon projet au bon endroit, poursuit celui qui étudie de près ce qui se passe sur d’autres sites désaffectés, à Nantes, Duisbourg, Belval ou Uckange. Face aux vestiges industriels, nous analysons le potentiel de réemploi, la valeur sociale, l’intérêt paysager entre autres. Mais il faut sortir du “Yaka” et ne pas vouloir reproduire ce qui s’est fait à 150 km de chez nous ! ». A Charleroi, le cours du haut-fourneau a flambé... Rénové en grande pompe en 2007 et promis à une nouvelle campagne de 15 ans, le haut-fourneau 4 de Carsid (HF4) était mis sous cocon dès l’automne 2008, victime de la crise financière. « Nous avons fait le tour du monde pour le céder pour un euro symbolique mais n’avons pas trouvé un seul repreneur », se désolait ensuite Antonio Gozzi, patron de Duferco, avant d’en annoncer la fermeture définitive en avril 2012 – avec la perte d’un millier d’emplois à la clé. [scald=2770392:sdl_editor_representation] Quelques années plus tard, le « cours du haut-fourneau » a… flambé. Oublié, l’euro symbolique : Duferco valorise désormais le monstre à 4 millions d’euros ! Le miracle ? « Ce haut-fourneau est un gisement de milliers de tonnes de ferraille, que nous pourrions valoriser au prix du marché, assure Olivier Waleffe, à la tête de Duferco Wallonie, propriétaire des lieux. La cession pour un prix symbolique proposée à l’époque anticipait un éventuel plan social à charge du repreneur. Ce passif social, c’est finalement nous qui, à hauteur de 96 millions d’euros, sommes en train de l’assumer. » [scald=2770578:sdl_editor_representation] Derrière ces propos se profile l’évidence : vouloir sauver le haut-fourneau, c’est bien beau, mais qui va payer ? D’autant que Duferco ne manque pas d’arguments : le seul statu quo pour un site dont les bâtiments s’étendent sur plus de 100 hectares oblige l’entreprise à s’acquitter chaque année de 800.000 euros en précompte immobilier. « On nous accuse d’être indifférents au patrimoine, mais nous continuons de payer, s’insurge Olivier Waleffe. Nous avons récemment obtenu de la ville un permis de démolition partielle, qui ne nous oblige qu’à conserver la silhouette du haut-fourneau, et nous allons donc démolir pour reconvertir le site et le valoriser. Quant au HF4, si on ne peut pas le démolir, il faudra un moment nous l’acheter. » [scald=2770573:sdl_editor_representation] Groupe de travail Les partisans du sauvetage du HF4 ne l’entendent de cette oreille. Dès 2013, un collectif citoyen voit le jour et sensibilise les autorités communales par le biais d’une pétition. S’ensuit la mise en place d’un groupe de travail qui, au printemps 2015, publie une étude intitulée « Etude du potentiel du patrimoine industriel de la Porte Ouest. » Qu’y lit-on ? Un plaidoyer. « Aujourd’hui, une nouvelle page de notre histoire s’est tournée avec la fin de la sidérurgie sur le site de Carsid. S’il est urgent de reconvertir ce dernier et d’y développer de nouvelles activités économiques, il est tout aussi important de conserver des traces de ce passé pour que les générations futures puissent comprendre leurs origines et le rôle qu’a joué l’industrie dans la prospérité de la ville. » [scald=2770580:sdl_editor_representation] Demande de classement Le plaidoyer s’accompagne d’un inventaire des outils les plus intéressants (le haut-fourneau, les cheminées de l’agglomération, les passerelles sur la Sambre…) et de propositions de réaffectation. Parmi celles-ci, un scénario budgété à 8 millions d’euros, centré sur la conservation et la rénovation du HF4, l’accès du public au sommet de ses structures, la création d’un centre des visiteurs et de circuits pédagogiques, et la mise en place d’un éclairage approprié. « Les structures conservées se transformeraient dès la nuit tombée en une œuvre d’art vivante, nouveau symbole de notre ville », écrivent les auteurs qui y voient la possibilité d’en faire un « lieu privilégié » dédié aux événements culturels, notamment. [scald=2770581:sdl_editor_representation] Parmi ces auteurs, Gilles Durvaux, qui s’étonne que les autorités communales, tout en exigeant le maintien du HF4, en aient autorisé le démontage par Duferco de ses éléments de valeur. « On va se retrouver avec un gruyère, dénonce-t-il. Il vaudrait mieux tout mettre sous cocon en attendant des jours meilleurs sur le plan budgétaire ». D’où l’introduction toute récente d’une demande de classement du HF4 auprès de la Région wallonne. Lui aussi impliqué dans le collectif, Michël Sacchi qui a créé le « Rockerill », un lieu de culture et de concerts, sur le site désaffecté d’une usine appelée « La Providence », avoue un certain pessimisme. « Il y a peu de moyens et beaucoup d’autres priorités », constate-t-il, étant pourtant parvenu à redynamiser en dix ans un quartier où personne n’osait plus s’aventurer « Malgré le succès, je suis toujours occupé à me battre pour qu’il ne pleuve plus dans mon bâtiment. Il faut de l’énergie pour porter un projet d’une ampleur telle que Carsid. Je crains très fort que nous en soyons toujours au même point dans dix ans. » Indifférence générale pour le HF2 à Clabecq C’est dans un… container que Luc Delporte, conservateur du Musée communal de la Porte, à Tubize, a récupéré à l’époque les plans du dernier haut-fourneau de Clabecq. « C’est dire l’intérêt porté par les propriétaires au patrimoine industriel, lâche-t-il. Ce qui est comique, c’est que les gens de Duferco sont venus me demander dernièrement si je pouvais les leur prêter. » [scald=2770577:sdl_editor_representation] Ce haut-fourneau, c’est le HF2, orphelin de son grand frère, inauguré en 1976, éteint en 2001 et tombé 11 ans plus tard avec fracas après avoir été cisaillé par des explosifs. « Ce petit haut-fourneau, lui aussi éteint depuis des années, présente un grand intérêt historique, poursuit Luc Delporte. C’est un des plus anciens de ce type en Europe. » [scald=2770572:sdl_editor_representation] Que va-t-il devenir ? Chez Duferco Wallonie, héritière du sidérurgiste éponyme qui avait repris les ex-Forges de Clabecq en faillite en 1997, on n’en sait trop rien. « Nous sommes pour l’instant occupés à valoriser une autre partie du site dans le cadre d’un vaste projet immobilier comprenant du logement, des commerces et des bureaux, commente Olivier Waleffe, administrateur délégué. Le HF2 est stable, n’exige pour l’instant pas de frais d’entretien et peut donc rester en l’état. » [scald=2770573:sdl_editor_representation] A terme ? « Nous sommes ouverts aux projets, poursuit-il. Si les pouvoirs publics ou des promoteurs veulent en faire un totem au milieu d’un nouveau quartier ou n’en conserver que quelques éléments pour les intégrer dans le décor, pourquoi pas. On lui laisse une chance, pour autant qu’il ne devienne pas un chancre, mais ce n’est pas notre priorité. Nous avons déjà suffisamment à faire et à payer pour assainir le site, soit 18 millions d’euros, alors que nous ne l’avons repris qu’en 1997 sans être aucunement responsables du passé. » [scald=2770574:sdl_editor_representation] Un simple rappel symbolique Pareille passivité à l’égard du patrimoine industriel peut interpeller. Elle n’est pourtant pas le seul fait de Duferco : une consultation populaire lancée il y a près de dix ans avait démontré le peu d’intérêt de la population. Une majorité s’était prononcée pour un simple rappel symbolique de l’histoire du lieu, par le biais de noms de rue ou de quelques objets d’art… [scald=2770575:sdl_editor_representation] « Ma vraie crainte, c’est qu’on se réveille trop tard, conclut Luc Delporte. Il arrivera un moment où une nouvelle génération s’intéressera à nouveau à ce patrimoine mais n’en trouvera plus que quelques traces, insignifiantes. Nous avons fait ce que nous avons pu, au Musée, en recueillant avec nos petits moyens des documents, des témoignages et quelques babioles : la mémoire sera sauve mais les vestiges physiques auront disparu. » [scald=2770576:sdl_editor_representation] Maxime Prévot : «Je suis réservé mais prêt à évoluer» Le ministre wallon (CDH) en charge notamment du Patrimoine se demande si la préservation physique est réellement opportune. Maxime Prévot est le ministre wallon (CDH) en charge notamment du Patrimoine. On le dit « réservé » quant à l’idée de préserver physiquement les outils sidérurgiques récemment condamnés. Il le concède mais se dit prêt à évoluer, sachant que « toute décision éventuelle dépend d’une analyse objective effectuée par l’administration. » Faut-il préserver le patrimoine sidérurgique ? Le patrimoine industriel, souvent ancien, fait déjà l’objet de mesures de protection. Des terrils, des forges, des moulins et autres éléments de ce patrimoine sont d’ores et déjà classés. Mais il est vrai que la question se pose au sujet du patrimoine sidérurgique, en particulier celui qui a été désaffecté récemment. Aucun des hauts-fourneaux qui subsistent à Liège, Charleroi ou Clabecq ne sont pour l’instant classés, et le constat est identique pour les cokeries, les laminoirs et autres outils. A titre personnel, qu’en pensez-vous ? On vous dit peu favorable à une préservation physique, et dès lors plus enclin à soutenir une démarche de valorisation mémorielle via le recueil de photos, de témoignages. Je suis effectivement réservé sur l’opportunité d’une préservation physique. Sans doute le fait d’être né et d’avoir vécu en région namuroise n’y est-il pas étranger. Je n’ai pas, inscrite dans mes gènes familiaux, l’histoire des bassins industriels et en ai dès lors davantage une vision liée au déclin de la Wallonie qu’au souvenir de sa splendeur passée. Mais je suis prêt à évoluer : je suis allé il y a peu visiter le charbonnage de Blegny-Mine à Liège et en suis sorti avec la conviction que cette préservation-là était utile pour comprendre, avait des vertus pédagogiques évidentes. Aucun outil sidérurgique n’est donc classé pour l’instant, mais il y a des demandes en ce sens. Le Groupement citoyen pour le sauvetage du HF4 et du patrimoine sidérurgique carolorégien a tout récemment introduit un dossier… Il y a effectivement un réveil des consciences à Charleroi, plus marqué me semble-t-il qu’à Liège. C’est à l’administration d’analyser le dossier, en fonction des critères qui sont ceux pouvant donner lieu à un classement. Je vous ai donné mon avis mais il importe peu : le sort d’un dossier ne doit pas être lié à l’affectivité d’un ministre, qui ne fait que passer, mais au regard objectif de l’administration. Une éventuelle décision de classement ne serait pas sans conséquence sur le plan budgétaire. Le simple maintien en l’état des installations coûterait des millions. Impensable ? Les contraintes budgétaires ne peuvent pas interférer. On ne décide pas de classer une chapelle, un château, en fonction des coûts qui seraient générés par une éventuelle rénovation. On ne classerait plus rien dans ce cas. Mais il est vrai qu’une décision de classement, qui oblige le propriétaire, lui ouvre aussi le droit de solliciter certaines subventions. Et il est donc vrai que l’enjeu financier, s’agissant de tels outils, est potentiellement important.

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