À Cannes, «You were never really here» jette un coup de marteau sur la compétition

Lynne Ramsay plonge au cœur du mal avec un thriller poisseux d’une intensité remarquable. Avec Joaquin Phoenix monstrueux. De quoi conclure cette compétition cannoise en beauté et rebattre les cartes des pronostics. Pitch. La fille d’un sénateur disparaît. Joe, un vétéran brutal et torturé, se lance à sa recherche. Confronté à un déferlement de vengeance et de corruption, il est entraîné malgré lui dans une spirale de violence… Ce qu’on attend. Dès son premier film, « Ratcatcher », drame sur l’enfance, Lynne Ramsay est présente à Cannes en 1999 dans la section Un certain Regard. Mais c’est surtout avec son étonnant We Need to Talk about Kevin, sur la jeunesse désœuvrée, en lice pour la Palme d’or, en 2011, qu’elle s’impose comme une réalisatrice puissante. Son retour en compétition avec l’adaptation d’une nouvelle de Jonathan Ames est très attendu d’autant qu’elle a choisi Joaquin Phoenix, acteur intense courtisé par les plus grands réalisateurs. Ce qu’on en pense. C’est le coup de marteau qu’on attendait. En tout cas, dans les films de genre présents dans la compétition, Lynne Ramsay laisse tout le monde sur place en réussissant un thriller d’une intensité et d’une originalité remarquables. Sa mise en scène virile emballe magistralement une plongée dans l’horreur radicale, totalement organique, avec un Joaquin Phoenix incroyablement habité par son personnage. Son incarnation physique de Joe, vétéran devenu tueur à gages est sidérante. Il est monstrueux dans tous les sens du terme. Mais ce qui est passionnant, c’est qu’il n’est pas que ça. Car ce colosse transpercé par les fulgurances de sa mémoire douloureuse a une humanité. Tout le génie de Ramsay et de Joaquin Phoenix, c’est de laisser affleurer cette humanité de manière impressionniste dans une mise en scène très expressionniste et rythmée (la bande son est vertigineuse d’efficacité), expression de la violence extrême d’un monde en déliquescence. Cela passe par d’infinis détails et des scènes inoubliables comme lorsque Joe se couche à côté d’un tueur mourant et chante avec lui ou cette autre scène où il croit sa vieille mère endormie alors qu’elle feinte et en rigole. Autre force de Lynne Ramsay, c’est d’imposer la violence sans montrer l’acte, mais juste l’image d’avant ou d’après. Avec profusion de sang s’il le faut. Oui, c’est un film poisseux à l’image de la société actuelle pas très belle à voir. Au milieu de ce magma corrompu – Joe découvre un réseau policito-mafieux de pédophilie –, une enfant est sauvée. Mais pour dire vrai, elle s’est sauvée elle-même et attend de voir où aller. Mais où va-t-on ? Lynne Ramsay constate qu’on ne sait plus et que le chemin de demain est à inventer. Petit plus Il y a quelque chose de « Taxi driver » dans ce film. Comme si Joe était une sorte de miroir actuel de Travis Bickle. Et Joaquin Phoenix est un nouveau De Niro.

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