Il y a dix ans dans Le Soir: «L’Europe réglemente à la vie, à la mort»

(article paru le 31 mai 2007) Louis a 22 ans. Très tôt la maladie est entrée en lui. Au téléphone, Jacques Salama décrit le calvaire de son fils : « Vers deux ou trois ans, la myopathie de Duchenne mine progressivement la force musculaire. Elle atteint toujours les garçons. A dix ans, c’est la chaise roulante. Puis le mal gagne jusqu’aux muscles vitaux. Le cœur ». Ils sont des milliers en Europe à être atteints de cette forme de myopathie, dystrophie musculaire progressive, généralisée et héréditaire, qui débute au cours de l’enfance et limite dramatiquement l’espérance de vie de ses victimes. Des milliers à espérer comme Louis et sa famille que la recherche mette au point des médicaments capables d’alléger leur souffrance. Mieux : de les guérir. Chez les Salama, on scrute forcément la moindre avancée. Les thérapies génétiques, le transfert de cellules musculaires. Mais aussi tout aspect de la législation susceptible d’aider la recherche à progresser. Il en est un qui aurait pu passer inaperçu s’il n’avait engendré au cours des derniers mois une vaste polémique au sein du Parlement européen. En cause : un règlement destiné à mettre sur pied une procédure de certification centralisée pour les thérapies dites « innovantes », susceptibles de guérir à terme des maladies jusqu’ici incurables. Ces thérapies de pointe pourraient ainsi être commercialisées sur tout le territoire de l’Union moyennant un haut niveau de qualité. Un règlement technique donc. Mais un règlement dans lequel une importante partie du groupe des Verts et du Parti populaire européen (PPE, chrétiens-démocrates et assimilés) a tenté d’introduire plusieurs amendements éthiques. Notamment pour interdire la recherche sur les cellules souches embryonnaires. « C’eût été un coup terrible pour nous », nous dit Serge Braun, le directeur scientifique de l’Association française contre les myopathies. Pendant des mois, une guerre de tranchées a divisé l’hémicycle. Elle a finalement été remportée par les « progressistes » – parmi lesquels la libérale Frédérique Ries et le socialiste Philippe Busquin. Mais les milieux de la recherche comme les associations de malades ont senti passer le vent du boulet. Du chemin reste d’ailleurs à parcourir. Ce jeudi, le Conseil des ministres européens se penchera sur ce règlement. « L’Espagne, confie un diplomate, pourrait créer des problèmes. Madrid souhaite que la fabrication de médicaments destinés à soigner des maladies extrêmement rares reste l’apanage des seuls hôpitaux ». En cas de désaccord, le texte repartirait pour le Parlement. Et probablement d’autres passes d’armes. Les attentes sont énormes. Car les thérapies de pointe (tissulaires, cellulaires et géniques) pourraient un jour guérir des maladies très graves telles que certains cancers, le diabète de type 1, la démence sénile, Parkinson ou Alzheimer. Dans les labos, l’atmosphère est toutefois à l’optimisme. A Braine l’Alleud, Cardio3 travaille à la mise au point de cellules réparatrices du cœur. Celles-ci sont extraites de cellules osseuses ou de tissus adipeux du patient, puis traitées avant d’être réinjectées. Un tiers des 20 millions d’Européens qui souffrent de déficience cardiaque sont susceptibles de bénéficier un jour de cette technique. Quand ? « Dans trois ou quatre ans », espère Christian Homsy, le directeur de la start-up. Il reste prudent. Les tests menés sur des « souris nues » (immunodéficientes) ont démontré que le cœur pouvait ainsi retrouver 75 % de sa capacité. « Mais les résultats sur l’humain sont généralement inférieurs ». Le bien-être des malades dépendra en partie de la rapidité avec laquelle la petite entreprise va commercialiser sa découverte. Elle en a besoin pour retrouver l’argent investi, les bénéfices devant lui permettre de couvrir ses coûts et d’envisager d’autres recherches. « Nous étions jusqu’ici dans une situation où les thérapies innovantes devaient recevoir l’aval de chacun des Etats avant d’être mises en vente. Cela s’annonçait pour nous laborieux. Il y avait un risque de perdre du temps et de l’argent. Avec ce texte, lever des fonds sera aussi plus simple ». Ces dernières années, un travail de lobbying intense a été mené par les industriels du matériel médical et de la biotechnologie auprès des institutions européennes. Il a contribué à mettre sur pied ce système d’approbation central qui regroupera dans les deux ans au sein de l’EMEA (Agence européenne d’évaluation des médicaments basée à Londres) des experts en thérapies innovantes. Pour Christian Homsy, « il va permettre à tous les malades de l’UE de bénéficier de ces médicaments. L’approbation par des experts est en outre une garantie de qualité face aux apprentis sorciers ». Un bémol toutefois : chaque Etat gardera la possibilité d’interdire ces produits sur son territoire. Autre lieu, autre registre. La spin-off louvaniste Tigenix, une émanation des universités de Louvain et de Gand, travaille à la réparation des cartilages. Des tests menés pendant cinq ans sur 350 patients ont démontré que la thérapie développée dans le labo-maison offre d’excellents résultats dans le traitement d’un genou privé de cartilage. Un chirurgien prélève des cellules à l’endroit blessé via une biopsie. Tigenix stimule alors les plus performantes d’entre elles. Une fois multipliées, elles sont réinjectées et recréent le cartilage. Il y a quelques années, Gil Beyen, le patron de Tigenix, est personnellement descendu dans l’arène européenne pour défendre l’idée d’une procédure de certification centralisée. « Question de coût, d’efficacité ». Méfiance aussi vis-à-vis de certains nouveaux Etats membres jugés trop laxistes, tentés de laisser produire et commercialiser des médicaments approximatifs sur leur territoire. La crédibilité des laboratoires spécialisés dans les thérapies innovantes est en jeu : « Développer un médicament coûte cher. Les règles du jeu doivent être claires. L’argent doit servir à la fabrication de médicaments de haute qualité ». Au bout du chemin, il y a un marché énorme à conquérir, où l’on compte en milliards de dollars. Un marché où les Etats-Unis ont une longueur d’avance, la Food and Drug Administration (FDA) ayant déjà réglementé les autorisations de mise sur le marché américain des thérapies innovantes. « C’est important que l’Europe se mette à la page », poursuit Gil Beyen. « Au cas contraire, la compétition sera faussée entre les Etats-Unis qui attirent les investisseurs et l’UE ». Recherche, compétition, business… au service de la lutte contre la souffrance. Mais une remise en cause du règlement, plus probablement sa non-application dans certains Etats membres pour raison éthique, aboutirait à créer une Europe de la médecine à deux vitesses. C’est ce qu’affirme Flaminia Macchia d’Eurordis qui réunit quelque 280 associations versées dans les maladies rares : « Il y a un risque d’inégalité entre pauvres et riches. Si le médicament est interdit dans un Etat, les plus démunis en seront privés. Les riches n’auront qu’à passer les frontières pour l’obtenir . » Eurordis estime que trente millions d’Européens sont directement concernés par les thérapies innovantes. « Le système de certification centralisé n’accélérera pas la recherche, mais bien leur mise à disposition. Cela incitera les laboratoires à aller de l’avant ». La certification centralisée gagnée, une autre bataille devra s’engager. Chez Cardio3, Christian Homsy insiste sur la nécessité de prévoir le remboursement de ces thérapies dans toute l’Union européenne. « Ici, la situation varie de pays en pays. c’est du coup par coup ». Aboutir à une telle procédure de remboursement permettra de « populariser » ces médicaments de pointe, donc d’engendrer des revenus. Le nerf de la guerre pour les laboratoires qui ont souvent misé gros. Repères Thérapies avancées ou innovantes. Elles visent à fabriquer des produits médicaux basés sur des gènes, des tissus ou des cellules. Citons quelques exemples concrets : – Produit de thérapie génique, soit l’utilisation d’un morceau d’ADN qui contient un gène humain. Elle permet la prolifération de cellules artérielles, pour traiter les maladies artérielles ou prévenir les amputations. – Produit de thérapie cellulaire : il permet de lutter contre le cancer du rein, par exemple. Les cellules cancéreuses sont extraites du patient, dévitalisées, puis réinjectées dans l’organisme du patient. Elles stimulent alors la réponse immunitaire contre la tumeur. – Produits tissulaires : la fabrication de substituts de peau est indiquée dans le traitement d’ulcères veineux, ou le traitement des grands brûlés. Production de tissus. Il s’agit d’un secteur de recherche émergent, qui développe des produits destinés à remplacer ou régénérer des tissus humains (les os, le cœur, le foie…). Sur le long terme, cela signifie la fin de la pénurie d’organes disponibles. Chaque année, des milliers de personnes en meurent. Et des centaines de grands brûlés sont en demande de tissus de peau ou de cartilage. Cellules souches embryonnaires. Ce sont des cellules souches pluripotentes présentes dans l’embryon peu de temps après la fécondation jusqu’au stade de développement dit de blastocyste où elles constituent la masse cellulaire interne. Elles sont à l’origine de tous les tissus de l’organisme adulte et sont ainsi pluripotentes. Elles peuvent être isolées et cultivées in vitro à l’état indifférencié. Emea. L’Agence européenne des médicaments (Emea) est un organe décentralisé de l’Union européenne dont le siège est à Londres. Sa principale mission est la protection et la promotion de la santé publique et animale à travers l’évaluation et la supervision des médicaments à usage humain et vétérinaire.

Votre compte

Il y a dix ans dans Le Soir: «L’Europe réglemente à la vie, à la mort»

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en L’archive

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Des mesures plus strictes pour réduire la consommation d’eau? «Septembre sera un point critique»

Championnats d’Europe: pourquoi Nafi Thiam est quasiment assurée de la médaille d’or en heptathlon

Prix du carburant en baisse: une simple accalmie?

«L’enfer s’est déchaîné»: des supporters d’Anderlecht agressés par ceux des Young Boys en Suisse (vidéo)

Critique «House of the Dragon»: retour à Westeros, à dos de dragon

Orages: les impressionnantes images des inondations dans le sud de la France (vidéos)

Près de 2 Belges sur 3 ont la possibilité de se rendre au travail à vélo

Travailleurs ukrainiens : de nouvelles mesures entrent en vigueur

Gestion des salaires : quand la Belgique est à la pointe de la technologie

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel