James Comey dénonce les «mensonges» de Trump, pas ses pressions
Comey s’est dit blessé par son renvoi. Il n’a toutefois pas été aussi loin dans son discours que certains pouvaient l’espérer. Une longue enquête suivra.


Le temps a suspendu son vol, quelques heures durant, jeudi, outre-Atlantique. Massés dans des lieux publics, en pause sur leur lieu de travail ou collés à leur téléviseur, des millions d’Américains attendaient avidement que James Comey pourfende Donald Trump en public. L’ex-directeur du FBI, limogé brutalement le 9 mai par le président américain, aurait-il l’audace d’accuser ce dernier d’« obstruction à la justice », un crime fédéral susceptible de déclencher une procédure de destitution, pour avoir demandé le 14 février d’interrompre les investigations concernant le conseiller à la sécurité nationale pro russe Mike Flynn ?
Pendant que Trump se débat avec l’affaire Comey, ses réformes patinent
Un mensonge pur et simple
A la différence de John Dean, ex-conseiller juridique de la Maison Blanche limogé par Richard Nixon en 1973 et qui dénonça le rôle central de celui-ci dans le scandale du Watergate, le prudent Comey n’a pas franchi le Rubicond. Conteur de talent, ouvertement blessé par un limogeage sans autre forme de procès, qui ne lui a « même pas permis de faire ses adieux » aux 36000 agents sous ses ordres depuis 2013, il a reconnu que le président avait le droit souverain de le congédier sans préavis, même si ses « explications changeantes » l’avaient « troublé et inquiété ». Oui, le président a « menti, purement et simplement » sur les motifs réels de son éviction, justifiée par l’orientation de l’enquête sur les interférences russes durant la campagne électorale de 2016, et l’a « diffamé, ainsi que le FBI » en prétendant que le « Bureau » ne fonctionnait plus correctement. Oui, ses appels du pied répétés envers Comey, pour obtenir sa loyauté ainsi que l’abandon du cas Flynn, furent jugés « profondément dérangeants » et incitèrent l’ancien magistrat à garder une trace écrite de ses entrevues avec le chef de l’État. James Comey, en outre, a appelé de ses vœux la divulgation d’enregistrements évoqués dans un tweet présidentiel, au sujet des conversations menées entre les deux hommes dans le « West Wing (aile Ouest) » de la Maison Blanche, puisque sa réputation, selon le haut fonctionnaire remercié, « ne risquait pas d’en souffrir ». Mais Comey confirme, par ailleurs, avoir signifié dès janvier au président qu’il ne se trouvait pas visé personnellement par l’enquête russe. De quoi alléger considérablement le fardeau de la Maison Blanche, et aussi de la majorité républicaine, soucieuse de la tournure très « nixonienne » des événements depuis un mois.
Comey affirme que le président a « menti, purement et simplement. Et l’a diffamé, aussi »
Des faits impardonnables
A la fin de l’audition publique, 2 h 38 après l’ouverture des débats, et peu avant qu’ils ne se poursuivent à huis clos avec les sénateurs de la commission du renseignement, les marchés financiers pointaient à la hausse à Wall Street. Revigorés, sans doute, par l’absence d’incrimination formelle du président Trump et, en corollaire, la maigre certitude que l’administration américaine puisse poursuivre un programme de réformes contrarié par l’enquête russe. Marc Kasowitz, l’avocat de Donald Trump, a renchéri en relevant que, selon Comey lui-même, le président n’avait « jamais formellement demandé » de faire cesser les poursuites contre Flynn, puisqu’il disait « l’espérer ». « Venant du président des Etats-Unis, je l’ai tout de même pris pour une injonction », a relevé Comey, démontant cet artifice sémantique et posant, sans y répondre, une question cruciale : « pourquoi a-t-il chassé tout le monde du Bureau ovale (Jared Kusner et Jeff Sessions) à ce moment-là ? ».
A trop se livrer, l’ancien chef de la police fédérale a cependant dévoilé un défaut dans sa cuirasse, aussitôt relevé par Kasowitz : les fameux « mémos » rédigés après les entrevues présidentielles auraient « fuité » au New York Times par l’intermédiaire d’un ami professeur à l’université new-yorkaise de Columbia, Daniel Richman, dans le but délibéré de provoquer la nomination d’un procureur spécial, indépendant, sur l’enquête russe. But atteint, mais au risque de voir les conservateurs pro-Trump attaquer ces méthodes répréhensibles, dans l’espoir de ruiner la crédibilité de leur auteur.
Le répit pourrait cependant être de courte durée pour Donald Trump, qui a fait de Comey, en le remerciant, un adversaire redoutable. « Les pressions concernant Flynn ressemblent fort à une obstruction de justice », décrypte l’ancien avocat de Nixon, John Dean. « Qu’il s’agisse de pressions conscientes et caractérisées, ou de maladresses d’un homme peu versé dans la chose politique, les faits sont impardonnables », opine le sénateur républicain de Floride Marco Rubio. La balle est dans le camp du procureur spécial Robert Mueller. Et la peur, toujours, dans celui de Donald Trump.
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