Annus horribilis, à la Foire du Livre

C’est un été catastrophique, le mot n’est pas trop faible, que vient de connaître l’organisation de la Foire du Livre de Bruxelles. Règlements de compte, ambiance de coup d’Etat, licenciements, démissions, portes claquées… Rien ne nous aura été épargné. Tout commence le 21 mai, lors d’un conseil d’administration qui met à l’ordre du jour le licenciement décidé par Ana Garcia d’un membre du personnel. Le conseil d’administration semble divisé : pour certains, Ana Garcia ne peut pas licencier, mais bien le CA, qui souhaite réintégrer la jeune femme poussée vers la sortie par Garcia. Deux semaines plus tard, un autre CA est convoqué, dans une certaine précipitation. À l’ordre du jour, le débriefing de l’édition 2015 et la préparation du cru 2016. Mais le conseil de la matinée de ce 5 juin vire rapidement au procès d’Ana Garcia, perçue par certains (et notamment par Hervé Gérard, président de la Foire, et son vice-président, Tanguy Roosen) comme une femme qui n’en fait qu’à sa tête et n’écoute pas les autres. La commissaire est appelée à rejoindre le CA de l’après-midi. Appelée, surtout, à s’expliquer sur les trois points du constat négatif rendu par le conseil : la Foire stagnerait, en termes de fréquentation. Elle ne serait plus assez culturelle. Et manquerait de caractère européen. Le conseil annonce ce jour-là à Ana Garcia qu’on va lui adjoindre une pointure culturelle, dotée d’un gros carnet d’adresses international. La commissaire se braque. Sa défense est mal accueillie par certains. Dès cet instant, son sort est vraisemblablement scellé. Et le sera du reste au terme d’un nouveau CA, le 22 juin, qui ressemble à un petit coup d’état. À l’ordre du jour de cette réunion mystérieuse, qui se déroule au restaurant le Crabe-fantôme (sic), cinq points annoncés (point 1 : approbation des PV, point 2 : descriptif de la fonction du commissaire de la Foire…), mais aucun sur le licenciement d’Ana Garcia. Ce point « fantôme » aurait été ajouté in extremis à l’ordre du jour, dira le PV du 27 juin, car – dixit le CA- « au vu des diverses remarques émises par la commissaire à l’issue des deux derniers CA, il apparaît très clairement qu’il sera difficile (…) de pouvoir travailler avec sérénité (…) avec la commissaire au sein d’une nouvelle organisation ». Le CA vote le licenciement à neuf voix sur 12. Trois absents à ce CA : Marc Filipson (Filigranes), Jean-Charles Grunstein (Gallimard) et Maurice Lomré (Ecole des loisirs). Ces trois derniers n’ont pas été avertis du caractère d’urgence de la réunion, ni de son objet caché. Et n’apprendront la nouvelle, assez stupéfaits, que fin juillet, via une fuite relayée dans La Libre Belgique. Ana Garcia, que personne n’a informé en interne, l’apprendra de la même façon. Très vite, la nouvelle de son licenciement brutal suscite une vive émotion dans le monde des livres Des lettres de soutien et d’indignation circulent, signées par des écrivains, éditeurs… Le 31 août, coup de théâtre : Marc Filipson, le fondateur de Filigranes, la plus grande librairie du pays, démissionne du CA. Il sera suivi peu après par Jean-Charles Grunstein. Pour Filipson, le renvoi d’Ana Garcia et la manière dont on l’a licenciée sont inacceptables. Dans son message de démission au CA, Filipson tonne : « J’aurais trouvé normal qu’Her vé (Gérard) -…- nous présente à son tour sa démission. » Il n’en est rien. Hervé Gérard fait procéder au remplacement de la commissaire Ana Garcia par un « coordinateur », Grégory Laurent. Filipson n’en reste pas là. Et annonce il y a quelques jours que Filigranes ne participera désormais plus à la Foire du Livre. Le conseil d’administration, qui a vu deux de ses membres partir, ressort quelque peu traumatisé par les événements de l’été. À l’image de Maurice Lomré, qui « déplore la façon violente dont les choses se sont passées avec Ana Garcia » mais qui dit qu’il réfléchira « à (ma) situation dans le CA au terme de la Foire 2016, à tête reposée ». Le gâchis est immense. Et l’on redoute aujourd’hui que l’édition 2016 de la Foire, désormais coordonnée par le jeune Grégory Laurent, ne fasse les frais de ce feuilleton désastreux, qui pose des questions sur la gouvernance d’une organisation aussi prestigieuse. Les questions sur le licenciement soudain d’Ana Garcia demeurent intactes. On cherche en vain la faute, les motifs réels. Et l’on constate, à titre de changements annoncés par la nouvelle équipe, moins de changements en profondeur que d’effets de com. Ana Garcia, qui s’est entouré de deux conseils (Maîtres Doutrelepont et Lehmann), n’en restera certainement pas là. Et devrait demander des comptes. À ce jour, elle n’a pas souhaité s’exprimer. À suivre.

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