DECES D'OLIVIER DELVILLE:UN CONFRERE,UN AMI S'EN VA... LE JOURNALISTE QUI ENTRA DANS L'ECRAN LE PERE DU TOURNOI DE L'ESPERANCE

Décès d'Olivier Delville: un confrère, un ami s'en va... Il nous quitte au temps des chrysanthèmes, lui qui aimait orner le revers de son smoking d'un bel oeillet qu'il offrait, les soirs de gala, aux stars et aux jeunes filles. On trouve d'autres fleurs, des roses, au premier plan du superbe tableau de son père «L'Ange des splendeurs». Mais si son fils Olivier ne fut pas un ange, du moins en eut-il la patience dans son travail quotidien de journaliste et lorsqu'il organisait les grandes fêtes philanthropiques de notre journal. Ce dévouement dura cinquante ans. Entré à la rédaction du «Soir», à 19 ans, en 1924, Olivier Delville en a été longtemps le doyen et, ces dernières années, le plus ancien survivant d'avant la Seconde Guerre mondiale. La première guerre avait provoqué l'exil de la famille à Glasgow où son père enseigna la peinture et les extases du symbolisme. Olivier avait alors dix ans, et il devint, là-bas, plus écossais que les Ecossais. Il garda toute sa vie une élégance particulière, une légère précipitation dans la parole et un air dégagé qui en faisaient un héritier inattendu du dandysme. C'est dire qu'il y avait en lui quelque chose du beau Brummel, mais aussi un esprit frondeur digne d'Ulenspiegel. Il aimait une certaine provocation, et il avait toujours une histoire à raconter à propos de ses démêlés avec les agents de la circulation. Olivier pouvait passer toute une nuit dehors comme un grand-duc, et être présent, à l'aube, au journal, aussi frais qu'une rose. En fait, il avait trouvé le don du chroniqueur dans son berceau, et, malgré des dispositions d'artiste (un premier prix de dessin à l'Académie de Bruxelles), il consacra toute sa vie à ce qu'il appelait «le plus beau métier du monde», au point d'aimer son journal au-delà même du devoir, dans cette exaltation permanente qui le faisait triompher de toutes les embûches et de toutes les fatigues. Il avait aussi des loisirs qu'il consacra avec une égale ferveur à la mémoire de son père, à sa famille, à ses amis et... au tennis. Le pèlerinage annuel à Wimbledon était sacré, et le reporter y avait rencontré les plus grands noms du siècle. En vérité, nous avons encore connu un autre Olivier Delville, celui des heures claires du matin, à la rédaction; nous achevions un billet quotidien tandis qu'il signait une chronique consacrée à un nouveau film ou qu'il choisissait les photos de la première page. Nous l'appelions «Oli» tout simplement, et il avait toujours une boutade en réserve, un souvenir à évoquer, et, aux moments de détente, une gauloiserie qui faisait des étincelles et secouait la rédaction d'un rire salutaire. Le temps passa, mais c'est nous qui passons: Olivier s'éloigna; la rédaction eut d'autres visages; «Le Soir» fêta ses cent ans, puis il évolua vers un nouveau printemps, en s'assurant la primeur des nouvelles techniques de l'édition. «Le Temps, dit Shakespeare, ressemble à un hôte du grand monde, qui serre la main de l'ami qui s'en va et qui, les bras étendus, accueille les nouveaux venus». Mais l'ami qui s'en va emporte notre jeunesse et les grandes heures de notre journal centenaire. Nous pensons avec émotion à son incessant travail dont les collections du «Soir» portent le témoignage: toutes ses pages imprimées racontent à la fois l'histoire d'une vie et celle de la société. Ainsi le journaliste laisse une trace indélébile. L'ami aussi dans notre mémoire. Comment lui dire adieu alors que les chrysanthèmes, ces fleurs épanouies du souvenir, l'attendent encore pour une fête? PAUL CASO Le journaliste qui entra dans l'écran Il disait lui-même que le long chemin de sa vie avait été parsemé de 278 étoiles. Dans cette voie lactée d'acteurs et d'actrices, Olivier - comme tous ses amis, je l'ai toujours appelé Oliver et Sir Oliver quand nous étions en froid, ce qui ne durait guère plus que le temps d'un court métrage de Bugs Bunny et de l'absorption d'une tournée de bières anglaises - a tracé son propre chemin et était devenu, tour de force seulement égalé par son rival Joë van Cottom de «Ciné-Revue», aussi connu, chez nous, que ceux qu'il interviewait. Aujourd'hui encore, alors qu'Oliver était depuis seize ans officiellement à la retraite, lorsque je rencontre Sean Connery, Charlton Heston ou Sophia Loren, ils me demandent de ses nouvelles, l'un évoquant une partie de golf, l'autre un tournoi de tennis, et la dernière son oeil coquin. Quand, sur une scène de cinéma, à l'occasion d'un gala cinématographique du «Soir», il présentait Maurice Chevalier, Fernandel, Martine Carol, Delon, Romy Schneider ou Gina Lollobrigida, Oliver tenait sa partie aussi bien qu'eux et leur chipait parfois l'attention du public. Delville avait l'élégance de la légéreté et le charme de la désinvolture qu'il avait soigneusement étudiés en regardant ses comédiens favoris Cary Grant, Gary Cooper et Bing Crosby. Il avait la politesse de ne jamais donner l'impression de travailler en prenant le masque du dilettante toujours occupé à fabriquer un plaisir. Pourtant, ce dandy ne comptait pas son temps pour construire ses pages «cinéma» hebdomadaires à la manière d'un spectacle ou pour créer des associations en faveur de ce 7e art qu'il chérissait tant. En 1955, avec quelques confrères, il créa l'Union de la critique du cinéma (UCC), dont il fut longtemps le président. Sous le règne d'Oliver, l'UCC mena un farouche combat pour que des films trouvent leurs spectateurs. Grâce aux Grands Prix annuels de l'UCC, des réalisateurs comme Sam Peckinpah, Comencini ou Arthur Penn devinrent des gloires, grâce au parrainage de l'UCC, des films tels que «Orange mécanique», «Cris et chuchotements» ou «Le Dernier Tango à Paris» purent connaître une carrière normale à l'écran sans trop craindre les foudres des bien-pensants. Quand Oliver quitta la présidence active de l'UCC au milieu des années 70 pour en devenir président-fondateur, l'association s'enfonça dans une tiède torpeur et rien ne fut plus jamais comme avant. Pour certains, le métier de journaliste de cinéma se résume en deux mots: trouble-fête. Pour Oliver, le ciné fut toujours une fête. Je ne sais trop si le monde qu'il a décrit, brillant, spirituel, généreux, a vraiment existé, mais il l'a rêvé si fort, des galas du «Soir» aux bals de la Monnaie, que ce monde-là est devenu vrai. C'est John Ford qui fait dire à un journaliste du film «L'Homme qui tua Liberty Valance»: Quand le vrai est moche, il vaut mieux conserver la légende. Et, là, on peut se poser une question: John Ford a-t-il imité Delville ou est-ce l'inverse? Qu'est-ce que la légende? C'est l'écume d'un soir de plaisir, c'est la perle de l'huître: Oliver a toujours péché et pêché dans ces eaux-là. Olivier Delville fut un marin du 7e art qui réussit à conduire son navire au bon port - la preuve, il a toujours écrit à... l'encre, les moquettes de notre journal s'en souviennent encore - en devenant lui-même un personnage de cinéma. Avec lui, c'est une époque qui se termine. Celle de la convivialité, du travail bien fait sans montrer l'effort, de l'amitié et de la loyauté. Il y a eu les «golden sixties», on peut parler des «Golden Delville», et Dieu! qu'elles me manquent. Oliver, interromps un instant ta conversation avec Fred Astaire - oui, il acceptera de participer au Gala des Défunts du «Soir» au profit des anges déshérités, tu as toujours été persuasif -, j'ai envie de te dire au revoir en t'appelant «papa»: pardonne-moi, pour une fois, de n'avoir pas ta pudeur britannique. LUC HONOREZ On peut retrouver Olivier Delville dans son livre de souvenirs, «Mes grandes heures de cinéma», paru chez Legrain. Le «père» du Tournoi de l'Espérance Les journalistes passent, le journal demeure. Chacun d'entre eux a apporté à la réalisation de cette création collective et quotidienne ce qu'il avait de plus remarquable parmi les innombrables qualités - rarement cumulables sur la tête d'un seul homme - que l'on réclame d'un bon journaliste: talent, enthousiasme, honnêteté, maîtrise de la langue, dévouement, rapidité, abnégation, disponibilité, précision, imagination, sens critique, clarté, etc. Lorsqu'il quitte ce lieu de travail à nul autre pareil qu'est la rédaction, il n'offre pas à la génération nouvelle qui prend le relais un legs matériel et personnel, une «oeuvre», comme le ferait un artiste. Son apport, digéré au jour le jour, s'est dissous dans l'anonymat de ce que l'on peut appeler la tradition, l'image de marque, la ligne du journal. Dans le cas - exceptionnel - d'Olivier Deville, il subsiste, parmi les diverses organisations nées de son imagination (le Bal de la Monnaie, le Bal des débutantes, les Galas cinématographiques, le Jumping international de Bruxelles), une oeuvre qui résiste à la retraite de son animateur et à l'usure du temps: le Tournoi de l'Espérance. Car le critique de cinéma du «Soir» avait une autre grande passion (aussi bien au titre de pratiquant que de censeur): le sport, et le tennis en particulier dont il monopolisa la chronique tout au long de sa carrière. C'est en 1956 qu'il mit sur pied ce Tournoi de l'Espérance bientôt quadragénaire, dans le but avoué de réaliser la plus vaste promotion possible auprès des jeunes pour cette discipline qu'il couvait depuis son entrée au «Soir», en 1924. Dans quelques semaines, lorsque le printemps ramènera les possesseurs de raquettes sur les courts, le Tournoi de l'Espérance réunira, aux quatre coins du pays, des milliers de jeunes filles et de jeunes gens pour une compétition qui mènera les meilleurs aux finales régionales d'abord, au grand rendez-vous national du Léopold Club ensuite. Autant d'occasions qui nous seront offertes de rappeler le nom du créateur, désormais lié à l'un des trophées, enjeux de l'Espérance, celui destiné aux non-classés. Les héros les plus modestes sans doute de la longue bataille tennistique annuelle imaginée par Olivier Delville, mais précisément ceux que le créateur de l'épreuve espérait éveiller à ce sport auquel il voua une large partie de sa vie professionnelle.

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