La Belgique «nation sans Etat»: Le Monde défend sa position
Nous avons interrogé Jean-Pierre Stroobants, journaliste belge basé à Bruxelles, en charge de la couverture des pays du Benelux pour Le Monde. Précisons qu’il n’a pas signé l’édito polémique : ils ne le sont tout simplement pas, exprimant de la sorte une opinion collective « au nom du journal ».
Le regard porté sur la Belgique a profondément changé depuis le sinistre vendredi 13…
Comme dans toute situation de crise, il y a d’abord un effet de loupe. Ensuite – et je ne parle pas ici de mon journal – il est très compliqué pour un journaliste dépêché en urgence dans un pays d’y commenter une situation dont il ne maîtrise pas nécessairement tous les paramètres et toute la complexité. Les Belges eux-mêmes ont parfois des difficultés à comprendre leur pays et notamment son organisation politique et administrative qui, objectivement, n’est pas simple. Ceci dit, et là je m’abstrais de ma nationalité, il faut reconnaître que dans cette affaire, qui est d’une gravité exceptionnelle, les responsables politiques belges et les responsables de la sécurité ne peuvent pas échapper à certaines questions. Comment, dans une ville de 100.000 habitants, a-t-on laissé se développer de tels foyers de radicalisation ? Comment a-t-on laissé des gens passer complètement sous le radar de la police et des services de sécurité ? Je pose la question sans provoquer personne, mais est-ce que si la cellule d’Abdeslam était basée dans un autre pays, on mettrait autant de temps à repérer les canaux qui ont permis à ce type de s’évaporer dans la nature ?… Depuis 2001, les services de l’antiterrorisme belge étaient salués un peu partout pour leur efficacité ; c’est donc un coup dur pour tout le monde. Mais est-ce que le boulot a été fait partout et par tout le monde ? Là je ne suis pas sûr de la réponse…
Est-ce qu’avec cette plongée sur « Molenbèk », mais aussi la paralysie organisée de la ville, la traque infructueuse de Salah Abdeslam, etc., le regard posé sur Bruxelles a changé ?
Un de mes confrères français – et je n’ai pas dit « collègue »… – m’a demandé si je sortais de chez moi. On est dans le fameux effet de loupe, aggravé par l’omniprésence, désormais, des chaînes d’information et des réseaux sociaux. On a l’impression d’une ville assiégée. Personnellement, j’ai plutôt l’impression d’une ville déserte, où je n’ai pas l’impression de courir plus de risques que dans d’autres parties du monde, voire à Paris… Plus fondamentalement, par rapport à l’image du pays, je pense qu’elle en a effectivement pris un coup et sur des questions aussi fondamentales que la sécurité, l’intégration ou la gestion de l’immigration depuis 50 ans.
De fait, quand on lit la presse internationale, en quelques jours, la Belgique est passée du statut branchouille et sympa de « patrie du surréalisme » à celui, horrible, de république bananière…
Cette image « les Belges sont formidables » relève lui aussi de l’effet de loupe. On sait très bien que la culture belge ne se résume pas aux culturels qui sont à Paris comme on sait que la Belgique ne se résume pas aux 500 jours sans gouvernement – même si ces réalités-là existent. Le fait est qu’il n’y a pas un pays qui applique davantage de dérision vis-à-vis de lui-même que la Belgique ; non seulement les Belges se moquent d’eux-mêmes mais ils critiquent leur organisation et leur désorganisation à tour de bras. Mais quand cette critique vient de l’étranger et singulièrement de France – en tout cas pour nous, les francophones – il se crée une sorte d’unité nationale et la critique devient inacceptable. Non ! Je pense que, sur cette affaire bien précise, il y a une partie de la critique qui est totalement fondée.
A lire aussi sur Le Soir+ : les réactions du Times, de To Vima, de La Repubblica et du Financial Times.