Voici le plan de lutte contre la fraude fiscale


Partage d’informations au niveau local et international
D’abord, le plan se réfère très régulièrement à la nécessité d’améliorer le partage d’informations, au niveau local et au niveau international. L’échange d’informations, obtenu par l’OCDE et validé par plusieurs directives européennes, dont celle relative à l’assistance administrative (2011), sera de facto une réalité dès 2017. « Il est heureux que le gouvernement mette l’accent sur le traitement de ces informations, et le contrôle a posteriori. En termes d’efficacité budgétaire, on devrait voir une amélioration », relève Michel Maus, professeur de droit fiscal à la VUB et avocat fiscaliste. Lequel jette le pot après les fleurs : « Ce qui m’inquiète davantage, c’est le réalisme du plan. On sait que les moyens humains sont en baisse au SPF Finances, malgré l’engagement de cent personnes à l’Inspection spéciale des impôts (ISI ; à qui on va donner la qualité d’officier de police judiciaire), mais j’ai des doutes sur les possibilités de contrôler cette masse d’informations qui va leur arriver. »
Lutte contre la « fraude fiscale grave »
Un autre axe majeur du plan de lutte contre la fraude du ministre réside dans la nécessité de lutter contre la grande fraude (grandes entreprises) et surtout la fraude fiscale grave. « Là aussi c’est très bien, explique Sabrina Scarna, avocate fiscaliste chez Tetra Law, mais encore faut-il que l’on puisse définir la notion même de “fraude fiscale grave” et qu’on la distingue de la fraude fiscale ordinaire. Ce n’est pas vraiment le cas aujourd’hui, ce qui est un fameux frein à la lutte effective contre la fraude fiscale et provoque de nombreux recours en justice. »
Emmanuel Degrève, avocat chez Deg Partners et ancien chef de cabinet de Bernard Clerfayt (Défi) lorsqu’il était secrétaire d’État à la lutte contre la fraude fiscale, explique qu’en 2007, « 13 critères ont permis de définir cette notion de fraude fiscale grave, mais il est impossible, d’abord, de les appliquer objectivement sans provoquer des dénonciations en quantité industrielle ». Ensuite, d’un point de vue juridique, la notion reste floue. La Cour constitutionnelle a validé le concept, mais pas le Conseil d’État. « La fraude fiscale est grave, en gros, quand elle porte sur des montants élevés et que son caractère est anormal, poursuit Sabrina Scarna. Élevé, anormal : on tente d’expliquer une notion floue par des termes imprécis. Le Conseil d’État avait lui-même reconnu que le mot grave introduisait de l’imprévisibilité. » Pour Michel Maus, il est évident qu’il faudra se mettre d’accord sur des notions plus précises, « mesurables, pour objectiver cette notion, sans quoi les points du plan de Van Overtveldt resteront cantonnés aux grandes intentions ». L’un des nouveaux points mis en exergue par le ministre – la déchéance des droits civils et politiques en cas de fraude particulièrement grave – tombe ainsi à l’eau tant qu’il n’y a pas de sécurité juridique sur cette notion de « fraude grave ».
La simplification administrative
Autre grande mesure du plan de Van Overtveldt : la simplification administrative, vecteur d’efficacité dans les contrôles (et dans le budget). « L’intention est bonne, mais peut-on dépasser le stade de l’intention ?, se demande Emmanuel Degrève. Le système de data mining, le croisement de données pour recouper les déclarations et traquer la fraude, a vieilli. On tombe toujours sur les mêmes dans les contrôles. Il faut investir massivement dans l’informatique, mais je ne pense pas que ce soit dans les intentions budgétaires du ministre… » Pour l’expert, le problème réside dans les innombrables manières d’abaisser une base imposable, « via des montants à déclarer, des déductions, des réductions, etc. Cette complexité n’aide pas et facilite la fraude. Réduire les taux d’imposition et la complexité de notre code des impôts serait selon moi une méthode plus efficace pour lutter contre la fraude ».
Une meilleure coopération
Un autre point positif : l’élargissement de l’accès au Point de contact central des comptes à d’autres services (Ctif, Douanes…). « De manière générale, note Emmanuel Degrève, on relève une réelle volonté de dynamiser la coopération entre les services, au sein de l’administration et entre les mondes fiscal et judiciaire. C’est très bien. Un bémol, toutefois : on ne fait nulle part mention des professions intermédiaires, comme les experts, alors qu’ils font un tiers des déclarations à l’impôt des personnes physiques (IPP) et la majorité de celles à l’impôt des sociétés (Isoc) », poursuit le spécialiste.
« Globalement, même si certaines idées ne sont pas neuves, le plan du ministre est intéressant. Les mesures destinées à éviter les trop nombreuses non-déclarations sont indispensables. Mais j’ai peur qu’il ne soit pas réalisable, poursuit Michel Maus (VUB). On manque cruellement de moyens humains et informatiques pour le mettre en œuvre. Le programme me semble trop ambitieux pour être réalisé sous cette législature. »