Quand le Congo belge livrait son uranium…

La mine de Shinkolobwe, centre névralgique
La mine katangaise avait en fait déjà suscité l’intérêt des Américains dès 1939. Une première cargaison de 1.000 tonnes de minerai fut expédiée à New York et servit aux essais d’une première bombe expérimentale qu’on fit exploser dans le désert du Nouveau-Mexique à la mi-juillet 1945. La bombe atomique hâta la fin de la guerre, remit les États-Unis en position de force face à leur ennemi soviétique et lança ensuite l’ère de la dissuasion nucléaire. Cet épisode rappelle en outre une donnée spécifiquement belge: le haut Katanga, au sud-est du Congo, un temps appelé Shaba, était réellement un “scandale géologique ”. Il regorgeait de minerais précieux, notamment du cuivre. Hasard de l’histoire, la mine de Shinkolobwe, dont fut extrait l’uranium, fut inaugurée en 1915, il y a tout juste un siècle. En 1921, une exploitation régulière intervient. On mesure alors très vite qu’on détient là un minerai stratégique. La première implantation belge au Katanga date de mai 1883 sur la rive occidentale du lac Tanganyka, non loin d’Albertville. Les Belges s’installent par étapes. Ils créent la Compagnie du Katanga et mènent des expéditions qui ont tout du raid pour aventuriers lointains. Un homme se détache dans cet aréopage de grands défricheurs: Jules Cornet. C’est lui qui fut le véritable responsable de la découverte géologique et minière exceptionnelle du Katanga. Des photos anciennes le montrent, fier et sérieux, au côté notamment d’Émile Francqui. Le Katanga est une belle prise. Sa superficie (496.865 km 2) équivaut presque à celle de la France. Sur place, les premiers arrivés découvrent une nature luxuriante, des chutes d’eau majestueuses… et un sous-sol qui mérite qu’on s’y arrête. C’est le début de l’histoire, en brousse. En 1900 est créé le Comité spécial du Katanga (CSK), société de droit privé qui veillera à contrer les visées étrangères. On trace un chemin de fer. Au sud, les ingénieurs dépêchés par Léopold II fouillent le terrain et recensent ses incroyables richesses. La Belgique a mis la main sur un trésor. Elle doit surveiller ses frontières très poreuses, repousser les prétentions rhodésiennes et britanniques. L’uranium du Congo belge est là, qu’on enverra un jour en Amérique pour un sombre dessein «au nom du monde libre ». Jean Jadot crée l’Union minière. Les banques belges suivent et appuient. Elisabethville se développe et la présence belge s’accroît. L’UMKH (Union minière du Haut-Katanga) devient “un État dans l’État ”. Elle possède des usines, des hôpitaux, des centres de formation. Des mines florissantes (dont celle de Kolwezi) témoignent de cette toute-puissance. L’uranium du Congo belge va filer en Amérique et servira aussi à alléger les finances du pays après la guerre, ce qui lui permettra de repartir un peu mieux que son grand voisin français. La mine de Shinkolobwe fut officiellement fermée en 1960. Mais des mineurs congolais continuent d’y risquer leur vie en tentant d’en extraire un peu d’uranium et de cobalt. En 2004, le président congolais Joseph Kabila scellait son sort en signant un décret classant Shinkolobwe comme zone interdite à toute activité minière. Mais l’exploitation clandestine perdure, telle un maillon faible du trafic d’uranium. Celui-ci est toujours autant convoité par les pays du club nucléaire… et par les autres, ceux qui entendent développer une filière militaire et non pas civile. La mine fut plusieurs fois fermée durant son histoire, y compris par Mobutu. Après la guerre, l’uranium belge fut encore à la une. Il fit l’objet d’âpres tractations au niveau politique. Fallait-il nationaliser la mine de Shinkolobwe ? Le contrat uranium liant la Belgique aux États-Unis et à l’Angleterre était top secret. Le socialiste Paul-Henri Spaak gère ce dossier délicat. Le contrôle de la filière devient primordial dans un monde déjà engagé dans la Guerre froide. La question fait des vagues à Bruxelles où les pacifistes de tous bords s’agitent traitant Spaak de “suppôt des capitalistes ”. La Belgique veut préserver ses intérêts commerciaux puisque les dossiers stratégiques sont réglés en coulisses et à l’ONU. Les Belges discutent des prix, des quantités à fournir, de stratégie industrielle civile. Sengier, l’homme qui livra l’uranium dans le cadre du Projet Manhattan, caresse le rêve de fonder l’Union atomique belge. En juillet 1949, à la conférence de Blair House, la Grande-Bretagne (qui veut se doter à son tour de l’arme atomique) propose aux Américains de leur abandonner l’uranium congolais en échange d’études stratégiques indispensables. La Belgique voit les grandes puissances lui marcher sur le dos, au grand dam de Spaak, ministre des Affaires étrangères, qui passe ensuite la main à Gaston Eyskens. L’uranium congolais restera dans les mains belges jusqu’en 1960 et l’indépendance avant pas mal de soubresauts ensuite. Son contrôle attisa bien des rivalités commerciales et militaires. Il a rapporté beaucoup d’argent à l’économie belge, ancré notre pays dans l’orbite américaine. Mais il est bien loin, le temps de l’uranium décisif pour précipiter la fin de la guerre.