L’insubmersible Blatter, touché-coulé

« J’arrêterai le 26 février 2016 »
A 79 ans, l’homme-Fifa a été suspendu 8 ans à cause du paiement controversé de 1,8 M EUR à Michel Platini, qu’il entraîne d’ailleurs dans sa chute puisque le Français écope de la même peine infligée par la justice interne de la Fifa.
« J’arrêterai le 26 février 2016. Pas un jour plus tôt », martelait pourtant le Suisse, silhouette voûtée de vieux notaire replet mais œil toujours vif. Sous la pression, il avait annoncé son retrait futur le 2 juin, quatre jours seulement après sa réélection à un cinquième mandat, à cause du scandale de corruption qui venait d’éclater. Le 26 février est la date à laquelle son successeur sera élu.
Avant même le jugement sur le fond de lundi, Blatter avait dû revoir ses objectifs à la baisse puisqu’il avait déjà été suspendu provisoirement en octobre en raison du versement contesté.
Avec sa suspension, c’est une page de 40 ans d’histoire qui se tourne dans un bruit de fracas.
Machine à cash
Lorsque le Suisse y entre en 1975 comme directeur des programmes de développement, la Fifa ne compte qu’une dizaine d’employés et loge dans un petit immeuble de Zurich. La légende veut que Blatter soit un jour allé emprunter de l’argent à une banque pour payer leurs salaires. Aujourd’hui, les réserves de l’instance suprême du foot mondial se montent à 1,5 milliard de dollars (1,36 milliard d’euros).
En quatre décennies, le sport-roi est passé du quasi-artisanat au business mondialisé, une révolution que Blatter a accompagnée pas à pas. Il a fait de la Fifa une formidable machine à cash, grâce aux revenus tirés de la Coupe du monde, et se targuait d’y compter plus de pays membres qu’à l’ONU (209 contre 193).
Blatter a occupé le poste de N.2 (secrétaire général) pendant 17 ans avant de devenir président en 1998. Il a alors succédé à son père spirituel, le Brésilien Joao Havelange, lui aussi contesté à cause d’accusations de corruption et dont il est resté proche.
« Mon plus grand succès ? Avoir rendu le football universel », s’est longtemps félicité Blatter en soulignant que le foot « se joue en Irak, en Afghanistan et même en Syrie ».
Le développement de ce sport en Asie lui doit beaucoup, de même que la première Coupe du monde organisée en Afrique (du Sud, en 2010). « Fidèle et reconnaissant », selon un membre de son entourage, il gardera de ces années-là des relais puissants qui le soutiennent face aux critiques venues d’Europe.
Ancien journaliste
Généreux avec beaucoup de petites fédérations, dont il est s’est assuré l’appui via de nombreux programmes d’aides, Blatter dit les avoir accompagnées « avec un principe, inspiré de Confucius : ne donne pas un poisson à ton frère mais apprends-lui à le pêcher ».
Né dans la province du Valais, « un peu prématuré, à sept mois », selon ses confidences, Blatter est un ancien modeste attaquant amateur, qui a fait des piges dans la presse pour financer ses études de commerce. Il a d’ailleurs déclaré en juillet qu’il comptait retourner à « son ancien métier de journaliste » une fois parti de la Fifa.
Dans l’une des métaphores qu’il affectionne, Blatter se voyait « comme une chèvre des montagnes » : « Je continue d’avancer, on ne peut pas m’arrêter ».
Après le Mondial-2014, sa famille lui avait pourtant demandé de ne pas briguer un nouveau mandat : « C’était beau, mais maintenant arrête », lui avait-elle dit selon lui.
Outre la sanction de la justice sportive, le fameux versement à Platini vaut au Suisse d’être mis en examen par la justice de son pays, qui le soupçonne par ailleurs d’avoir passé un contrat très en-dessous des prix du marché pour la diffusion télévisée des Mondiaux-2010 et 2014 dans les Caraïbes.
Blatter a affirmé vendredi au magazine Weltwoche qu’il n’avait « jamais violé aucune règle ». Et d’assurer, dans une des répliques-choc dont il a le secret : « Je n’ai pas de Ferrari, je suis seulement copropriétaire d’un pédalo sur le lac de Zurich ».