Sur les traces de Pierre Minuit, le Wallon qui acheta Manhattan

À New York, une place est depuis peu dédiée à Pierre Minuit. Ce marin aux racines wallonnes est, il est vrai, le vrai fondateur de Manhattan. Bien avant l’arrivée de Peter Stuyvesant.

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Tout et son contraire ont été écrits au sujet de Pierre Minuit. À commencer sur ses origines. Pour certains, il aurait des racines brabançonnes. Pour d’autres, il serait hainuyer, peut-être même tournaisien. Les Français assurent qu’ils ont trouvé sa trace à Valenciennes ; les Allemands, à Wesel ou à Clèves. Les Hollandais revendiquent sa nationalité batave. Et les Suédois, son appartenance à l’histoire scandinave. Il y a un peu de vrai partout. En réalité, il serait né à Wesel, vers 1585, de parents protestants, aux racines tournaisiennes et ayant fui les rafles de l’Inquisition en passant par Anvers. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il a appartenu à l’Église wallonne et qu’il pratiquait le patois wallon. C’est d’ailleurs cet avantage qui poussa la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales à faire appel à lui pour organiser sa toute jeune colonie de Nieuw Amsterdam. Car les premiers colons y envoyés en 1624 étaient, en grande partie, d’origine wallonne. On les avait utilisés comme des cobayes, voulant voir s’ils allaient résister aux rigueurs du climat nord-américain. Ils avaient non seulement résisté, mais aussi pris un peu d’autonomie par rapport à la toute-puissante compagnie qui, vu leur langue d’origine, peinait à les remettre dans le droit chemin de la collaboration. Ayant eu vent de la situation, Pierre Minuit, qui rêvait d’aventure, proposa ses services et, en quelques mois, va réussir à rétablir l’ordre dans la colonie, mais aussi à l’organiser, la rentabiliser, la sécuriser.

La plus belle affaire immobilière de tous les temps

Pour ce faire, il va, ni plus ni moins, le 26 mai 1626, qu’acheter Manhattan aux Indiens autochtones. Contre quelques haches, de la miroiterie, des ustensiles de cuisine d’une valeur de 60 florins, ce qui correspond à un peu plus de 1.000 dollars d’aujourd’hui. C’est, sans nul doute, la plus belle affaire immobilière de tous les temps. Il va aussi construire un fortin, entouré de palissades et aménager une route pour accélérer la fourniture du blé pour faire le pain. C’est “Breedweg ”, l’actuelle Broadway. Et lors de son premier retour à Amsterdam, il impressionne ses commanditaires, leur rapportant pas moins de 7.246 peaux de castor, 675 peaux de loutre et bien d’autres fourrures très prisées par les marchands hollandais. Une sacrée cargaison. Jalousé pour sa puissance et son autorité, l’homme va toutefois être victime d’un complot initié par le pasteur à qui il a pourtant construit une église. Accusé de relations extraconjugales, Pierre Minuit est démis de ses fonctions par la très prude compagnie et renvoyé en Europe. Mais il est très vite récupéré par la Couronne de Suède qui rêve, elle aussi, de créer une colonie de l’autre côté de l’Atlantique. Fin mars 1638, il atteint les côtes américaines à bord du “Clé de Kalmar ”, un splendide trois-mâts, considéré comme le plus grand de l’époque; passe devant Manhattan et met pied à terre aux abords de l’embouchure du fleuve Delaware. Là, il va acheter une bande de terres aux indiens Mattahorn et construire un fortin. C’est Fort-Christina, qui deviendra Wilmington. Mais voulant très vite annoncer à sa Reine sa nouvelle colonie et ayant fait un détour dans les Caraïbes pour prendre une cargaison de tabac dont elle raffolait tant, il est victime d’un ouragan et va disparaître, en pleine gloire, le 5 août 1638.

Dans l’ombre de Peter Stuyvesant

Dans l’Histoire, le nom de Pierre Minuit sombra avec son corps. Pour des millions d’Américains, c’est Peter Stuyvesant qui est considéré comme le fondateur de New York. Il est pourtant arrivé 20 ans après Minuit. Cela arrangeait bien les Hollandais, ce dernier ayant du pur sang batave. Pourtant, c’est lui qui perdit la nouvelle Amsterdam au profit des troupes anglaises du Duc d’York. D’où le nom de “New York ”. Mais, depuis quelques années, le nom Pierre Minuit a été réhabilité. À New York, plusieurs sites lui sont dédiés. À commencer par la “Peter Minuit Plazza ”, située à la pointe sud de l’île, à deux pas de Battery Park. Le lieu est fréquenté chaque jour par plus de 100.000 touristes ou fonctionnaires. Et pour cause : c’est là que l’on embarque pour visiter la statue de la Liberté ou pour prendre les ferries reliant les faubourgs de Manhattan aux bureaux des multinationales voisinant Wall Street. Fier de son statut de pionnier de New York, le quartier s’est offert une toute nouvelle station de métro, exhibant tout aussi fièrement une reconstitution du premier mur construit par les Wallons, le “Waal Street ”! À 300 mètres de là, juste à l’entrée de Battery Park, c’est un imposant monument qui évoque, par bas-relief interposé, la scène ou Pierre Minuit achète l’île à un Indien. Toujours à Battery Park, au milieu d’une série d’autres monuments commémorant divers aspects de l’histoire américaine, une stèle presque insignifiante rend, elle, hommage aux premiers colons hainuyers. Elle a été offerte à la ville de New York, en mai 1924, par le conseil provincial du Hainaut. Dans le centre de New York, plusieurs édifices religieux ou civils évoquent également le rôle de Pierre Minuit dans la genèse de leurs établissements. C’est le cas de la “Marble Collegiate Church ” ou du “Squibb building ”. Enfin, à l’extrême nord de Manhattan, dans l’Inwood Hill Park, se dresse le “Shorakkopoch Rock ”, un gros caillou rappelant que c’est à cet endroit que Pierre Minuit aurait acheté l’île à des Indiens Lénapes. Pour les descendants de ces derniers, c’est un mémorial. C’est à cet endroit qu’ils ont, pour la toute première fois, été dépossédés des terres qu’ils furent les seuls, pendant des millénaires, à habiter. Même le secteur artistique new-yorkais s’est, depuis quelque temps, inspiré de l’histoire de Pierre Minuit. Ainsi, au cinéma, le Wallon a été incarné par Groucho Marx, dans la comédie “The Story of Mankind ”. Dans le domaine musical, le grand Bob Dylan mentionne le nom de Pierre Minuit dans sa chanson “Hard times in New York Town ”. On le retrouve aussi dans quelques comédies musicales évoquant l’histoire de la Big Apple. Une belle revanche pour celui qui avait disparu des dictionnaires américains pendant plus de deux siècles.

 

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