Poireau ou Porreau?

En matière de prononciation française aussi, « il n’est bon bec que de Paris »…

Temps de lecture: 4 min

Lorsque vous commandez un potage aux poireaux, dites-vous <pwaro> ou <poro> ? La réponse peut varier en fonction de l’âge et de l’origine géographique, parfois du profil socio-culturel. La prononciation qui fait référence dans les dictionnaires est aujourd’hui <pwaro>. Mais il subsiste des aires francophones, comme certaines régions françaises, la Belgique et la Suisse, où la prononciation <poro> est encore attestée.

L’histoire du mot poireau montre que la prononciation <poro> est la plus conforme à l’origine de ce mot, issu du latin porrum. Mais une innovation parisienne attestée dès le Moyen-Âge a imposé comme référence une prononciation analogique : <pwaro>. Jusque dans des dérivés comme poireauter, où elle règne sans partage…

Postscriptum 1

Un des arguments fréquemment avancés en faveur de l’orthographe traditionnelle du français est la fidélité de celle-ci à l’histoire du mot. Il convient toutefois de prendre ce type de justification cum grano salis, notamment dans le cas depoireau.

L’étymon latin de ce comestible représentant des liliacées fait l’unanimité : il s’agit du latin porrum, qui désignait le même légume. De là est issu un dérivé porreau, qui se prononçait <poro>. D’où viennent alors la prononciation <pwaro> et la graphie poireau qui lui correspond ? Les historiens du français se rallient (prudemment) à l’hypothèse d’une analogie avec le mot poire, dont la prononciation <pwar> est régulière (latin populaire *pira  ; latin classique pirum).

D’après les données disponibles, cette prononciation analogique <pwaro> est apparue dans la région parisienne au Moyen-Âge. Elle est officialisée dès la première édition du Dictionnaire de l’Académie française (1694) avec la graphie poireau, mais reste accompagnée de la variante porreau. Les deux formes se trouvent encore au 19e siècle chez Littré et chez Larousse, mais la première s’imposera progressivement dans le courant du 20e siècle.

Postscriptum 2

Naguère, les innovations en matière de langue française mettaient du temps pour atteindre les «aires périphériques» (par rapport au centre de la France). La prononciation analogique <pwaro> a donc pris des siècles pour supplanter la prononciation régulière <poro>, laquelle a survécu jusqu’à aujourd’hui dans certaines régions de France, en Belgique et en Suisse. Dans ce dernier pays, la graphie est parfois porreau, alors qu’en Belgique même les adeptes de la prononciation <poro> se rallient à la graphie poireau.

Les langues régionales de la Wallonie apportent une confirmation du caractère régulier de la réalisation traditionnelle <poro>. On relève en effet les formesporê, poria (wallon), poriô (picard) ou porète (gaumais), issues en droite ligne du latin porrum, comme le français, mais sans avoir subi d’influence analogique.

Postscriptum 3

Si poireau donne lieu à deux variantes phonétiques, ce n’est pas le cas de son dérivé poireauter «attendre ; faire le poireau», que chaque francophone réalise <pwarote>, quelle que soit sa manière de prononcer poireau. Cette discordance peut être liée à la date d’apparition du verbe, lequel remonte à la fin du 19e siècle. Soit à un moment où, dans le centre de la France à tout le moins, la prononciation <pwaro> s’est déjà imposée. C’est donc celle-ci que l’on retrouve dans poireauter, et qui se diffuse ensuite dans l’ensemble de la francophonie.

On ajoutera l’observation suivante, notée par A. V. Thomas dans son Dictionnaire des difficultés de la langue française (Paris, Larousse, 1969 [1956], p. 327) : alors que le légume continue de se prononcer <poro>, c’est la (seule) prononciation <pwaro> qui s’impose dans la locution figurée faire le poireau «attendre ; poireauter». Cette différence de prononciation selon les emplois du mot poireau peut témoigner d’une dissociation, opérée par les usagers, entre l’emploi figuré et le sens initial. Mais on pourrait aussi invoquer l’explication avancée pour poireauter. Comme ce verbe, la locution figurée faire le poireau est attestée à partir de la fin du 19e siècle : elle adopte alors la réalisation <pwaro> qui s’est imposée à Paris.

 

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