Saint Sixtus veille sur sa bière!

Cette abbaye située à Vleteren, en Flandre occidentale, attire surtout pour la “Westvleteren XII”.

Temps de lecture: 5 min

Brel chanta le plat pays, cette terre où les cathédrales sont les uniques montagnes et les noirs clochers des mâts de cocagne. Mais à Vleteren, entre Furnes et Ypres, nul clocher ne se profile derrière les longs murs d’enceinte de l’abbaye Saint-Sixtus. Seul le haut de bâtiments de briques claires, rouges puis noires pour la nouvelle aile contemporaine se laisse deviner, affirmant un style aussi sobre que monacal. Une croix se profile dans le lointain, au-delà du vieux portail blanc qui reste toujours fermé. C’est que le monastère abrite des trappistes, ces moines cloîtrés appartenant à l’ordre cistercien qui ont choisi de vivre leur spiritualité dans la solitude et le silence. Aujourd’hui, ils sont encore 20 à vivre à Vleteren, loin de l’agitation du monde, dans l’attente de Dieu, en s’ouvrant à son amour par la lecture de la Bible, la prière et le travail manuel, n’ayant avec le monde extérieur que le minimum de contacts. « Moi-même qui gère le centre d’accueil du monastère "In de Vrede" depuis des années, je ne vois le frère Paul, l’économe, qu’une fois par semaine », nous explique Philip De Backer. « Il m’apporte sa facture en mains propres – c’est un rituel instauré depuis des années – et nous discutons un peu. Mais je ne peux pas vous dire comment les trappistes de Vleteren vivent leur foi, s’ils sont épanouis. Cela dépend de chaque moine mais vous savez, ils ont aussi leurs problèmes. Ils n’ont pas les soucis d’argent, de travail ou de femme que nous avons, mais ils ont les leurs. Ils ont quitté leur famille et ils ne peuvent pas la voir quand ils en ont envie. Ils servent d’abord l’abbaye et Dieu. » La vie de solitude des trappistes intrigue à tel point que le monastère a ouvert depuis quelques années un "claustrum" attenant à la taverne. Il s’agit d’un cloître virtuel dans lequel des panneaux, photos et écrans vidéo expliquent la vie des religieux, leurs sept prières quotidiennes dont la première se tient au milieu de la nuit, à 3 h 30, les repas frugaux pris en silence à l’écoute d’un texte, durant lesquels les plus jeunes aident les plus âgés à manger, ainsi que l’histoire de cette communauté fondée en 1831 et la production de la bière, commencée en 1839.

Une taverne bondée

Peu importe le manque de charme du lieu ou l’absence de communication des religieux. Rares sont les personnes qui viennent dans ce coin retiré de Flandre occidentale pour prier, rencontrer l’un des moines ou admirer l’architecture du monastère. Même si l’abbaye dispose bien d’une hôtellerie accueillant des personnes désireuses de faire une retraite, la plupart des visiteurs se rendent ici dans un but bien plus sensuel que spirituel : goûter un breuvage que l’on dit "divin", la bière Westvleteren XII, brassée au sein même de l’abbaye ! Une brune crémeuse aux odeurs de raisins secs et de noix et aux saveurs de caramel et de malt, nuancées par un arrière-goût aussi long qu’amer… Ces qualités lui ont valu d’être sacrée "meilleure bière du monde" en 2005 par le site américain Rate Beer, devançant quelque 30.000 autres chopes. Et depuis lors, la palme suprême lui est décernée quasiment chaque année. Quand la brune brassée par quelques moines aidés par un personnel extérieur n’est pas première, elle se retrouve deuxième ! Tant de récompenses ont ainsi transformé l’abbaye Saint-Sixtus en Mecque de la bière. À la taverne In de Vrede, dès 10 heures du matin, en ce mois de mars, une vingtaine de clients viennent goûter le précieux nectar. « On est en pleine semaine et il n’y a pas encore grand monde mais durant les mois d’été, de juin à septembre, la taverne qui compte 200 places à l’intérieur et une terrasse de 200 places est bondée », explique Philip De Backer. Les clients peuvent être des habitués du coin comme des touristes venus de l’autre bout du monde, à l’instar de Kate et Kevin, qui débarquent du Colorado, aux USA. « Nous sommes arrivés hier et commençons notre semaine de vacances en Belgique en venant ici à Vleteren. Nous sommes de grands amateurs de bière – au Colorado, nous avons aussi beaucoup de bonnes bières – et nous voulions absolument boire la Westvleteren XII. Nous ne sommes pas déçus ; elle est réellement délicieuse. Nous allons en ramener dans nos bagages pour la partager avec nos amis qui veulent tous la goûter. »

Une production annuelle de 4.800 hectolitres

Mais la Westvleteren XII ainsi que ses deux sœurs, les Westvleteren VI et VIII, ont toutes un gros défaut : leur rareté. Les moines, qui se veulent des hommes de dieu et non des businessmans, limitent leur production à quelque 4.800 hectolitres par an. La bière n’est pour eux qu’un moyen permettant d’assurer les missions d’aide aux plus démunis et de pourvoir aux besoins matériels. Si ces derniers augmentent, les trappistes peuvent brasser davantage. Ainsi, en 2011, afin de financer la rénovation de l’abbaye, ils vendirent en magasins – une première – un coffret spécial "Pierre d’abbaye" (sic) constitué de six bouteilles et de deux verres. L’année suivante, la même opération fut menée hors de Belgique, notamment aux États-Unis et au Canada. Outre leur rareté, les Westvleteren présentent un autre défaut : leur disponibilité. Nul magasin ou bistrot ne les délivre. Qui veut acheter la bière surnommée le "bourgogne flamand" ou l’une de ses sœurs doit se rendre à l’abbaye après avoir pris rendez-vous par téléphone, ce qui n’est guère chose aisée tant la ligne est surchargée d’appels. Et le jour de l’achat, il convient à nouveau de s’armer de patience car il faut souvent faire la file pour embarquer au maximum ses trois caisses de 24 bouteilles, dont deux seulement de Westvleteren XII. Mais sachez que si vous n’avez pas fait de réservation, en vous rendant à Vleteren, vous pourrez néanmoins acheter quelques bières – maximum deux packs de six bouteilles – dans l’établissement In de Vrede, situé en face de l’abbaye. À la boutique du bistrot, vous pourrez aussi acquérir quelques autres produits de l’abbaye : pâté, fromage, kruydekoecke, pain d’épices local ainsi que tee-shirts, casquettes, savons…

 

Le fil info

La Une Tous

Voir tout le Fil info
La UneLe fil info

Allez au-delà de l'actualité

Découvrez tous les changements

Découvrir

À la Une