Nile Rodgers, le Chic type

Edimbourg Vendredi 21 juin, 10 heures et des poussières, dans une salle du Summerhall d’Edimbourg. C’est dans cette ancienne école vétérinaire, reconvertie en lieu artistique, que nous retrouvons Nile Rodgers. Souriant, le fondateur légendaire du groupe Chic extrait d’un paquet FedEx son ordinateur portable qui vient d’arriver et l’allume instantanément. Si nous sommes avec lui en Écosse, c’est par la magie de Jean-Pierre Muller (lire ci-dessous). L’an dernier, l’artiste belge démarrait le projet fou de monter 7X7. Soit 7 pour les 7 premières lettres de l’alphabet, les 7 notes de la gamme, les 7 couleurs de l’arc-en-ciel, les 7 jours de la semaine… et 7 artistes fétiches. Parmi ceux-ci : Robert Wyatt de Soft Machine, le saxophoniste Archie Shepp, le jazzman éthiopien Mulatu Astatke… et bien sûr, Nile Rodgers, le guitariste de Chic. Au final, Nile s’est tellement investi dans le projet de son « Bro JP » (traduisez son frère « Djipi »), qu’il envisage de devenir son producteur et de, pourquoi pas, l’emmener en tournée avec lui ! Comment l’Américain Nile Rodgers a-t-il croisé la route du Belge Jean-Pierre Muller ? Lors d’un concert de Chic à Bruxelles. Je suis le genre de personne à accepter une aventure, surtout si son auteur me dit que c’est quelque chose de fou et d’impossible à réaliser. Me retrouver dans un projet avec Archie Shepp, Terry Riley, le fondateur de la musique minimaliste, ou Robert Wyatt, qui a repris « At last I’m free » de Chic, c’est impossible à refuser. Ce que vous allez voir ce soir est amené à grandir. C’est comme si vous étiez avec nous et Daft Punk quand on enregistrait « Get Lucky », au lieu d’écouter le disque terminé. C’est excitant parce que cela représente une forme de mise en danger. Daft Punk n’est pas le seul groupe français avec lequel vous avez travaillé. Le nom de votre formation légendaire est français et, dans votre autobiographie, vous glissez sporadiquement des mots dans la langue de Voltaire. Quels sont vos liens avec la culture française ? Je viens de terminer l’album d’Etienne Daho, c’est d’enfer ! Etienne est supercontent. Au tout début du jazz, les musiciens noirs américains étaient plus respectés en France qu’aux Etats-Unis. Joséphine Baker, qui est une de mes héroïnes et qui connaissait bien la France, avait coutume de dire que le racisme est tellement puissant en Amérique qu’il mène la vie dure aux artistes noirs. Je confirme. Je pensais à ça l’autre jour. Tout le monde connaît mon travail avec Madonna, Bowie, Duran Duran. En dehors de ceux-là, j’ai eu une bonne vingtaine de disques d’or pour Grace Jones, Mick Jagger… Si j’avais été Blanc, je serais qui aujourd’hui ? Le roi du monde ? Sans doute quelque chose comme ça… « Le Freak », est l’une des deux chansons de l’histoire du Billboard à avoir été trois fois numéro un. Mais nous n’étions pourtant considérés que comme un groupe de Blacks qui font du disco. Regardez-vous encore le tube « Spacer » de Sheila comme l’une de vos plus belles fiertés artistiques ? Absolument ! D’habitude, je travaille avec des gens que je connais et là, nous avons reçu un coup de téléphone chez moi de son producteur Claude Carrère, dont on n’avait jamais entendu parler. J’occupe toujours la même maison depuis tout ce temps, dans le Connecticut, celle où Madonna est venue se reposer parfois… Lorsque j’ai rencontré Sheila, il s’est passé quelque chose de magique. J’avais un concept en tête, en rapport avec les étoiles. J’ai imaginé qu’elle était amoureuse de quelqu’un de vraiment très spécial, un chasseur d’étoiles. Quelqu’un qui haïssait l’oppression. En fait, cette chanson était superforte et parlait surtout de moi. Un des passages les plus émouvants de votre autobiographie est celui où vous évoquez une conversation très intime avec Michael Jackson… Vous y pensez souvent ? Je venais de terminer des passages de guitares de son album HIStory. Il m’a demandé de rester et s’est mis à me parler plus longuement que pendant tout l’enregistrement. On se connaissait depuis 1973. Avec mon ancien groupe, The Big Apple Band, nous faisions la première partie des Jackson 5 et nous voyagions dans le même bus. Il m’a dit qu’il se souvenait bien de moi parce que je lui lisais des bandes dessinées sur la route. Nous étions vraiment bons amis. Sérieusement. Nous nous adorions. Ce jour-là, Michael m’a parlé de sa vie de couple avec Lisa alors qu’il n’en avait parlé à personne. Il se séparera de Lisa un an après. Et si je l’évoque aujourd’hui, c’est parce que Michael nous a quittés. C’est la vérité. Il était d’une rare honnêteté. Vous pouvez interviewer toutes les personnes qui ont travaillé sur le disque, ils vous diront combien le visage de Michael s’illuminait lorsqu’il me voyait. Et pourtant, je ne faisais pas partie de la famille, j’étais un dingue, je m’habillais comme un hippie… Vous étiez aussi le roi de la fête, non ? Si je n’avais pas déconné professionnellement, je ferais encore la java. J’étais à une fête chez Madonna à m’en mettre plein le nez avec Mickey Rourke dans la salle de bain. Le lendemain, un gars m’a fait écouter ce que j’avais joué la veille. De la merde. Depuis 19 ans, je n’ai plus touché ni à un verre ni à une ligne de coke. Tiens, regarde cette photo (Nile nous montre une image sur son ordinateur) qui date de la semaine dernière. C’est Harry Belafonte et, là, mon vieux pote Jamal, des Black Panthers. Harry me disait à ce moment que les artistes sont les gardiens de la vérité…

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