Foire du livre: lire, c’est tout bénéfice pour la santé

La lecture nous distrait, nous fait voyager, nous nourrit. Mais le livre aurait aussi des effets sur notre santé : il nous permettrait de lutter contre la dépression, de surmonter nos phobies et d’apprivoiser nos angoisses.

Temps de lecture: 6 min

Il y a des livres qui sauvent la vie. Au moment de cette immense douleur que fut la mort de mon fils, c’est parce que je suis tombée par hasard sur “ Un barrage contre le Pacifique ”, de Marguerite Duras, que je ne me suis pas tuée, raconte l’historienne et écrivaine Laure Adler. Grands et moins grands lecteurs : beaucoup d’entre nous ont expérimenté les vertus de la littérature. Ce pouvoir fabuleux, certains vont jusqu’à l’assimiler à une thérapie : la bibliothérapie ou la faculté d’aller mieux grâce aux livres. Certaines lectures nous fortifient, nous secourent, nous sauvent. Nous nous évitions : elles nous ramènent à nous. Nous étouffions dans notre petit moi : elles nous font voir d’autres pays, écrit Alain Golomb dans “ Petit guide des lectures qui aident à vivre ” (1).

Partout où je suis allé, un poète était allé avant moi, reconnaissait le “ découvreur ” de l’inconscient, Sigmund Freud. Et pourtant, alors que les dépressions et autres troubles de santé mentale gagnent chaque jour du terrain dans nos sociétés, nous lisons aussi de moins en moins… Le dernier baromètre européen sur les activités culturelles (2) révèle ainsi une baisse généralisée de ces activités. La lecture, elle-même, est délaissée : alors qu’en 2007, 71 % des Européens déclaraient avoir lu au moins un livre au cours des douze derniers mois, ils ne sont plus que 68 % en 2013. Les Belges plafonnent quant à eux à 65 %. Motifs avoués ? Le manque de temps, d’intérêt… mais aussi, peut-être, l’offre pléthorique qui fait qu’on ne sait plus à quel livre se vouer !

Outre-Manche, la bibliothérapie ciblée fait déjà de nombreux adeptes. Le journaliste et écrivain suisse Alain de Botton a ainsi fondé à Londres, en 2008, la School of Life. Cette “ école de la vie ” propose de nombreux programmes et ateliers de connaissance de soi organisés autour des livres. Mais avec un nouveau livre publié toutes les 30 secondes, il peut être difficile de savoir par où commencer. The School of Life met donc à la disposition de tous les curieux et autres optimistes désireux d’améliorer leur quotidien un service de bibliothérapie : une “ prescription ” littéraire peut vous y être délivrée en fonction de vos besoins. Un récit de voyage qui vous accompagnera lors de votre prochain périple en Chine. Un roman d’énigme qui vous aidera à renouer avec les plaisirs ludiques de votre enfance. Un essai philosophique qui vous épaulera à un tournant de votre vie.

Bridget Jones contre Prozac

Dans ce même ordre d’idées, un nombre croissant de coaches privés proposent désormais un soutien bibliothérapeutique : une dose de “ Bartleby ” de Melville si vous vous interrogez sur le sens de votre travail et une cure de Proust si vous êtes tombé dans les rets de la jalousie. Mais la chose va plus loin : en Grande-Bretagne, depuis mai 2013, ce sont les médecins généralistes qui sont invités à prescrire des ouvrages à leurs patients souffrant de dépression, d’angoisse, de boulimie ou d’insomnie. Trente titres ont ainsi été dûment estampillés à cet effet par l’Ordre des médecins britannique, en collaboration avec les bibliothèques publiques, qui les mettent désormais systématiquement à disposition. Selon The Reading Agency, une ONG qui milite pour un usage social et thérapeutique du livre, chaque titre a donné des preuves scientifiques de son efficacité, qu’il s’agisse d’ouvrages de développement personnel ou de romans “ boosters ” de moral comme “ La poursuite de l’amour ” de Nancy Mitford ou même… “ Bridget Jones, l’âge de raison ” !

Un Nobel pour le self-help ?

Chez nous, la bibliothérapie reste plus confidentielle, voire perçue d’un œil hostile par tous les littéraires qui s’étranglent à l’idée qu’on mise sur Helen Fielding plutôt que sur Dostoïevski ! Récemment, un médecin français a pourtant osé se hasarder sur ce terrain glissant. Dans “ La bibliothérapie en médecine générale ” (3), Pierre-André Bonnet constate qu’un nombre croissant de patients débarquent chez leur médecin en se plaignant de troubles de l’humeur, du sommeil ou de difficultés relationnelles. Sachant que bon nombre d’entre eux ne franchiront pas le pas d’aller voir un psychothérapeute, il suggère de les orienter vers des livres de “ self-help ” qui incitent à puiser dans ses propres ressources.

Études à l’appui, il rappelle qu’il existe aujourd’hui un solide corpus scientifique sur l’efficacité de ces livres qui déclinent en fait l’approche cognitivo-comportementale : apparue dans les années 60, celle-ci vise à replacer la raison comme moteur de nos actions, en se débarrassant des pensées automatiques et des fausses croyances (“ Il faut qu’on m’aime ”, “ Je dois réussir ”)… et en évacuant ainsi les émotions négatives. En ce sens, écrit Pierre-André Bonnet, la bibliothérapie opère un rapprochement avec la philosophie : elle ne vise pas la révélation d’une vérité sur soi, mais délivre un enseignement qui devra guider un changement. Seuls ou en accompagnement d’un suivi psychothérapeutique, les livres de self-help – pourvu qu’ils émanent de professionnels sérieux et non de douteux gourous – permettraient ainsi de lutter contre bien des maux : dépression de la personne âgée, difficultés d’apprentissage chez l’adolescent ou encore troubles sexuels. En Belgique, le programme BibliothEP (Bibliothérapie de l’éjaculation précoce) mis au point par l’Université de Liège étudie d’ailleurs depuis plusieurs années les bénéfices de la lecture d’un “ Guide pratique de l’éjaculation précoce ” chez les hommes qui rencontrent ce problème. Une solution intéressante lorsqu’on sait que plus de 80 % des personnes concernées ne consultent pas.

Une expérience de liberté

Selon Pierre-André Bonnet, 90 % de la population accepterait volontiers des conseils de lecture de la part de son médecin. À la question “ Avez-vous déjà lu un ouvrage qui vous a été psychologiquement bénéfique ? ”, la majorité des cinq cents personnes qu’il a interviewées ont par ailleurs répondu positivement et cité principalement… des romans. Son enquête conclut à un effet positif de la lecture… en dépit du contenu du livre ! Mais quel est au juste le mode d’action du livre ? La majorité des patients évoquent en premier lieu une  prise de conscience, une révélation, un déclic . C’est pendant la lecture que s’opère la compréhension d’un élément décisif qui dénoue les conflits intrapsychiques, générant un vécu émotionnel fort et positif, explique ainsi Pierre-André Bonnet. La lecture est un temps où le lecteur expérimente un autre schéma de pensées tout en gardant la liberté d’y adhérer ou non. Cette expérimentation d’une liberté retrouvée redonne également le sentiment d’autonomie, l’impression de s’élever, de “ s’évader ” de ses prisons intérieures. Enfin, les études montrent que la bibliothérapie permet aussi aux patients-lecteurs de sortir de leur solitude. Dans “ Comment Proust peut changer votre vie ” (4), Alain de Botton illustre encore : Après avoir puérilement provoqué une scène avec notre petit(e) ami(e) qui, durant tout le dîner, a paru distrait(e), nous sommes soulagés d’entendre le narrateur de Proust avouer que “ Dès que je ne trouvais pas Albertine gentille, au lieu de lui dire que j’étais triste, je devenais méchant ” et révéler que “ Je ne manifestais jamais le désir de la quitter que quand je ne pouvais pas me passer d’elle ”, après quoi nos propres gesticulations sentimentales ressembleront peut-être moins à la pantomime d’un ornithorynque pervers. Elles y ressembleront moins et nous rappelleront, au mieux, un monument de la littérature mondiale !

(1) Petit guide des lectures qui aident à vivre, Alain Golomb, éd. Payot, 2010, 13,80 €.

(2) Eurobaromètre Accès culturel et participation , novembre 2013.

(3) La bibliothérapie en médecine générale, Pierre-André Bonnet, éd. Sauramps médical, 2013, 15 €.

(4) Comment Proust peut changer votre vie, Alain de Botton, éd.  J’ai lu, 2010, 6,30 €.

Foire du Livre de Bruxelles, du 20/02 au 24/02, Tour & Taxis, 86C av. du Port, 1000 Bruxelles,

www.foiredulivredebruxelles.be Entrée : 8 € en semaine, 9 € le week-end, étudiants de moins de 26 ans, seniors et groupes : 5 €. Gratuit - 6 ans.

 

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