La psychologie pour faire face au défi climatique

Les solutions apportées par les avancées technologiques ne suffiront pas. Nous devrons aussi modifier foncièrement nos conduites et notre mode de vie dans de nombreux domaines afin de garantir la viabilité de la planète pour les générations futures, mais aussi pour les personnes déjà touchées par les effets du réchauffement climatique. Un changement de comportement durable nécessite l'implication et la motivation de l'ensemble de la population, ce qui requiert des messages ciblés, ainsi qu'un soutien et une communication par des canaux appropriés et adaptés aux différents groupes qui constituent notre société.
Bien sûr, relever le défi climatique ne peut reposer sur les seuls comportements pro-environnementaux individuels. Les entreprises et organisations d’une part et les autorités d’autre part jouent à cet égard un rôle crucial. On attend de leur part audace et vision à long terme. Heureusement, ces acteurs sont généralement attentifs aux actions des citoyens, les entreprises répondant à leurs « besoins » et les politiques se montrant réticentes à proposer des initiatives qui ne seraient pas acceptées par la population. Le rôle des citoyens s’exprime donc aussi dans la relation d’influence qu’ils entretiennent avec les différents acteurs de la société.
Similitudes avec le covid
La crise climatique présente de nombreuses similitudes avec la pandémie de covid. Il a fallu mobiliser la population pour qu'elle suive des mesures sanitaires souvent désagréables et contraignantes et l'inciter à se faire vacciner. Nous nous sommes protégés, nous et les autres, par notre comportement. La motivation, le comportement et les conséquences sur le bien-être des mesures sanitaires en Belgique ont été suivis en permanence par le Baromètre de la motivation et le groupe d'experts « Psychologie et Corona », une collaboration entre chercheurs et professionnels du pays. Grâce à de nombreux rapports, les décideurs et les organes scientifiques consultatifs (par exemple, le Gems) ont pu compter sur des données empiriques. L’objectif était d'aligner leurs conseils et leurs politiques sur la réalité au lieu de se laisser guider par leur intuition quant à la motivation et au bien-être psychologique de la population. Ces enquêtes ont montré que les interventions classiques visant à orienter les conduites, telles que les (menaces de) punitions, ont un effet bien moins durable que l'investissement dans la motivation autonome de la population. En permettant à la population de participer et d’apprécier la valeur ajoutée des mesures, elle s'approprie les objectifs visés et assume ses responsabilités. En outre, la confiance dans le gouvernement protégeait la population face aux influences des fake news et des théories du complot. Cette confiance s’est révélée un puissant prédicteur de la disposition à se faire vacciner.
Promouvoir le changement de comportement
La lutte contre le réchauffement exige une évolution profonde de nos modes de pensée et de nos actes, notamment dans la sphère « privée » . Une telle adaptation est très délicate car nous sommes habitués à décider de ce que nous mangeons, de nos déplacements, etc. Pour que ce changement se fasse dans les domaines aussi personnels que la consommation, le logement ou le transport soit possible, il doit s'inscrire dans un contexte social différent, que nous acceptons également. Une expertise sur le comportement humain et les mécanismes de changement est essentielle.
Ainsi, nous savons qu'il ne suffit pas d'informer les gens de la nécessité d'un changement de comportement pour induire et maintenir ce changement. Les recherches montrent en outre que les messages soulignant le danger du réchauffement climatique sont plus efficaces que les messages optimistes pointant les progrès déjà réalisés, mais que ces messages ne sont acceptés que s'ils proviennent de membres d'un groupe auquel l'individu s'identifie. Si les changements demandés sont vus comme injustes, par exemple parce qu'ils touchent certains groupes sociaux plus durement que d'autres, cela peut encourager la polarisation entre les citoyens. Par ailleurs, l'éco-anxiété ne doit pas être sous-estimée. Selon une étude de l'UCLouvain, un nombre non-négligeable de personnes souffrent d’éco-anxiété sévère, entraînant inquiétudes, pleurs et troubles du sommeil.
Heureusement, selon une enquête récente (publiée dans le magazine Imagine en décembre 2022), la Belgique est l'un des pays où le « climato-scepticisme » est le plus faible et une majorité de la population se dit prête à changer son mode de vie. Mais cette volonté ne se traduit pas forcément par un changement de comportement durable, pas plus que les résolutions du Nouvel An ne se concrétisent. Le gouvernement est donc confronté au défi d'identifier les motivations et les obstacles qui peuvent différer selon les groupes ou les individus pour développer une politique cohérente.
Centre d’excellence sur le climat
Le 29 novembre dernier, le gouvernement fédéral a mis en place un centre d’excellence sur le climat, dont les contours doivent encore être précisés. Si des compétences dans de nombreuses sciences « dures » (climatologie, ingénierie, physique, etc.) sont essentielles, l'expertise des sciences humaines est tout aussi indispensable. Lors de la crise sanitaire, il a fallu des mois avant que les organes consultatifs intègrent des experts du comportement. « On ne tient pas suffisamment compte des domaines de connaissance autres que la virologie, l”infectiologie et la biostatistique », ne cessait-on d’entendre. Pour éviter que cela ne se reproduise, le groupe « Psychologie et Corona » a décidé d'élargir son champ d'action à « Psychologie et société » afin de se concentrer sur le changement climatique, le problème de société actuel le plus pressant. Nous sommes convaincus que les spécialistes des sciences du comportement peuvent aider à relever les nombreux défis posés par la crise climatique. Si l'on veut éviter une politique climatique au petit bonheur la chance, il est indispensable de disposer de données empiriques sur le comportement, la motivation et le soutien, et d’en appeler à des experts en sciences psychologiques au sein d'organes consultatifs multidisciplinaires.