Municipales en France: le Front national s’enracine
Le deuxième tour des municipales n’a pas démenti le premier. Pire : il a amplifié la claque pour la majorité au pouvoir. Deux ans après son arrivée à l’Elysée, François Hollande essuie un vote sanction qui restera dans les annales des défaites. Une raclée comparable, pour les socialistes, à celle de 1983, deux ans après l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand. Et un camouflet digne, pour l’UMP, de celui subi en 2008, un an après le sacre présidentiel de Nicolas Sarkozy.
La vague bleue espérée jusqu’alors à voix basse par l’UMP a bel et bien déferlé. L’institut de sondages BVA parle même d’un « tsunami ». Jean-François Copé, le président de l’UMP qui, modeste, rêvait du basculement d’une quarantaine de villes, peut désormais tonitruer : selon les premières estimations, dimanche soir, la droite devrait conquérir davantage de villes encore. Et parmi celles-ci, des localités symboles comme celle de Quimper, dirigée jusqu’alors par Bernard Poignant, un très proche de François Hollande. Des villes moyennes comme Angers, Reims, Angoulême basculent à droite. Et surtout Toulouse ne sera plus une « ville rose ». A Pau, la gauche perd aussi, au profit du centriste François Bayrou, cette fois. Et à Grenoble ou à La Rochelle, ce sont les Verts qui l’emportent. Seule consolation : à Strasbourg, le parti socialiste sauve les meubles en conservant la ville.
Le PS conserve aussi la capitale, conformément au scénario prédit depuis des mois. Mais Anne Hidalgo, la dauphine désignée du maire Bertrand Delanoë, ne fait pas non plus un tabac. Au premier tour, elle était même arrivée derrière son adversaire UMP Nathalie Kosciusko-Morizet. Cette dernière échoue à remporter l’arrondissement clé, le quatorzième, dans lequel elle s’était présentée. Mais elle sauve l’honneur au terme d’une campagne durant laquelle on ne lui a pas fait de cadeaux.
A Marseille, le rêve, ou plutôt le mirage, de pouvoir ravir la cité phocéenne à la droite s’était déjà fracassé au premier tour. Jean-Claude Gaudin, qui n’a fait qu’une bouchée du socialiste Patrick Mennucci, restera capitaine sur le Vieux-Port. Pire : l’un des secteurs (arrondissements) de la ville sera dirigé par le Front national Stéphane Ravier.
Le Front national, justement, confirme son ancrage du premier tour, même s’il échoue en certains endroits qu’il espérait conquérir. Il perd à Forbach et Perpignan, où se présentaient les deux vice-présidents du parti, Florian Philippot et Louis Aliot. Il s’incline aussi à Avignon, une cité qu’il avait fait trembler la semaine dernière, mettant tout le monde de la culture en émoi (Le Soir de samedi). Il perd aussi à Saint-Gilles, où le « front républicain » a barré la route à l’avocat Gilbert Collard. Après avoir décroché Hénin-Beaumont dès la semaine dernière, le parti de Marine Le Pen remporte cinq autres mairies : à Béziers, à Fréjus, à Beaucaire, à Hayange et à Cogolin. Du jamais vu depuis 1995 et 1997, lorsque le parti, alors dirigé par Jean-Marie Le Pen, avait gagné Orange, Toulon, Marignane puis Vitrolles. C’est le scénario idéal pour sa fille, qui rêve de transformer la vieille boutique d’extrême droite en un parti populiste capable de conquérir les plus hautes sphères du pouvoir. Avec une demi-douzaine de villes à gérer, le Front national pourra espérer garder ces villes sous contrôle pour éviter la gestion désastreuse des premières bastilles conquises il y a près de vingt ans. En outre, les centaines de conseillers municipaux du Front national élus dimanche soir (il n’y en avait jusqu’alors qu’une soixantaine dans tout l’Hexagone) seront comme autant d’ambassadeurs du parti dans les territoires.
Tous les regards se tournent vers l’Elysée après cette débâcle électorale. Ces derniers jours déjà, François Hollande n’a cessé de consulter. Pour mettre au point la réponse politique au message des urnes, bien sûr. Hormis une baisse éventuelle d’impôts pour les ménages modestes ou autres gestes symboliques, le cap devrait être maintenu. C’est surtout au remaniement que va s’atteler le chef de l’Etat. La composition de l’équipe ne sera pas chose aisée. Matignon sera un casse-tête. Remplacer Jean-Marc Ayrault ? C’est ce que semble dicter le message des urnes. Mais pour François Hollande, ce ne sera pas si simple de se séparer de son fidèle second. Dans le scénario idéal, il aurait au moins voulu le conserver (les mauvaises langues diront : le griller) jusqu’à fin avril, lors du vote de confiance prévu sur le pacte de stabilité (une baisse des charges sur les entreprises en échange de créations d’emplois), cœur de la nouvelle politique économique et sociale. Une prolongation de son bail à Matignon jusqu’à fin mai aurait aussi permis de franchir le cap des élections européennes. Ces dernières s’annoncent mauvaises pour la gauche : selon un premier sondage paru hier soir, l’UMP arriverait en tête avec 24%, le FN décrocherait la seconde place avec 22% et le PS n’arriverait que troisième avec 19% des voix. Du coup, l’idée d’attendre ce moment pour commencer une nouvelle séquence prend du plomb dans l’aile. Mais s’il faut se séparer de Jean-Marc Ayrault, par qui le remplacer ? Aucune solution ne paraît idéale. Manuel Valls ? Pour les Verts, le ministre de l’Intérieur est le représentant d’une gauche génétiquement modifiée. Laurent Fabius ? Difficile de vendre ce scénario « back to the future » aux électeurs. Bertrand Delanoë ? Il n’a jamais été ministre. Martine Aubry ? Ce serait une cohabitation au sommet de l’Etat. Reste l’hypothèse Claude Bartolone. L’actuel président de l’Assemblée nationale bout de venir aux affaires. Dans quel timing ? François Hollande n’est habituellement pas homme pressé. Mais la violence du message des urnes devrait obliger l’Elysée à réagir au plus vite.