La dette belge, «bombe à retardement»

Eurostat va réexaminer le périmètre de la dette belge fin septembre. En cause : de nouvelles normes comptables De nombreuses structures seraient visées.

Rédacteur en chef adjoint et chef du service Monde Temps de lecture: 4 min

Au départ, il s’agissait d’un simple colloque pour techniciens, que celui organisé par la Banque nationale de Belgique (BNB) cette semaine sur les normes comptables européennes SEC 2010 qui seront appliquées dès la fin septembre par la Belgique. Manifestement, l’Union européenne scrute de manière très attentive les comptes des administrations publiques, comme la très délicate requalification de la dette wallonne de 6 à 12 milliards d’euros l’a fort bien montré il y a quelques mois. Dans la foulée, il y a trois semaines, une réunion importante s’est du reste tenue entre les responsables de la Région wallonne et les experts d’Eurostat (la direction générale de la Commission européenne chargée de l’information statistique à l’échelle communautaire) en la matière, et il nous revient qu’elle fut… très houleuse. « La dette belge, c’est l’épine dans le pied du gouvernement. Il y a peu, le ratio d’endettement public est repassé au-dessus des 100 %, ce qui nous met en porte-à-faux par rapport aux exigences européennes », relève Philippe Ledent, économiste chez ING. « Au cours du colloque qui s’est tenu à la BNB, le patron de l’Institut des comptes nationaux – ICN – a effectivement expliqué que les sociétés de logements sociaux devaient être intégrées au périmètre « public » et intégrer la dette belge. Cela représente environ 16 milliards d’euros, soit 4 % du PIB. Non seulement la situation d’endettement de la Belgique s’aggrave, ce qui va évidemment faire tiquer l’Union européenne, mais notre politique sociale, dans un contexte budgétaire étriqué, pourrait s’en trouver fondamentalement modifiée à l’avenir ». Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management, ne dit pas autre chose : « Cela pourrait affecter la trajectoire budgétaire de la Belgique, qui se trouverait obligée d’assainir davantage ses finances publiques. Sans oublier que les agences de notation pourraient également y mettre leur grain de sel. Dans le contexte actuel de la délicate formation d’un gouvernement, il y a de quoi être interpellé. »

Outre les sociétés de logements sociaux mentionnées par nos confrères de L’Echo et du Tijd, les partenariats public-privé (PPP), notamment, sont aussi dans le collimateur d’Eurostat. Un bulletin de documentation du SPF Finances dresse un état des lieux pour 2013 des différents PPP existants. Ils porteraient sur un montant de 6 milliards d’euros, essentiellement destinés à financer des bâtiments scolaires, des prisons, des infrastructures de transport, etc. « Le volume de PPP est de quelques milliards d’euros », confirme François-René Greindl, senior manager structured finance. « Le montant approximatif des projets PPP conclus est d’environ 2,3 milliards d’euros (hors Scholen van Morgen), et le montant approximatif du « pipe-line » des projets potentiels, annoncés ou prévisibles, suivant nos informations, est de 2,6 milliards d’euros, hors Oosterweel et A 102 (3,8 milliards d’euros) », précise Belfius. « Nous ne nous prononçons pas sur la conformité de Scholen van Morgen et Oosterweel avec les critères Eurostat, mais bien sûr le reste des dossiers DBFM (Design, Build, Finance, Maintain – à savoir : concevoir, bâtir, financer, entretenir, NDLR), qui respectent les critères d’Eurostat. Dans le cadre de ces PPP, il y a transfert du risque de construction, du risque de disponibilité/performance, ou du risque de marché au partenaire privé. »

Du côté du cabinet du ministre Antoine, on se montre très prudent : «  il y a eu un problème avec la SOFICO (la société wallonne de financement complémentaire des infrastructures, NDLR), que l’ICN a soulevé, et qui a donné lieu à une requalification du périmètre de la dette wallonne. Toutes les précautions ont été prises pour être en conformité avec les standards européens, mais il y a manifestement de la part d’Eurostat la volonté de considérer de manière très large les engagements du secteur public… », lance Michaël Van den Kerkhove, chef de cabinet « budget » du ministre sortant André Antoine (CDH).

Mais que vise donc précisément Eurostat ? « Le réexamen de ces PPP à la lumière des nouvelles normes comptables SEC 2010, mais pas seulement, explique Philippe Ledent. A priori, les structures publiques ou semi-publiques sont déjà majoritairement dans le périmètre public. Mais là où on pourrait avoir des surprises, c’est au niveau des sociétés financières (sociétés de financement, par exemple, NDLR). Si l’Etat rembourse des dettes, compense des pertes ou octroie des garanties sur les actifs, elles pourraient être considérées comme publiques et passer de la catégorie ‘entreprises financières’ » à ‘secteur public’. Avec l’impact que l’on peut imaginer sur l’endettement de la Belgique. « Certaines entreprises non financières, a priori tout à fait privées ou majoritairement privées, mais qui auraient pour seul client une autorité publique pourraient aussi donner lieu à requalification. »

« Selon moi, il ne fait pas de doute qu’il y a là une bombe à retardement pour la Belgique, qui a largement sous-estimé ses engagements ces dernières années, explique Michel de Wolf, président de l’institut belge des réviseurs d’entreprises. J’espère qu’on va surtout réviser la procédure d’audit des comptes, pour récréer la confiance dans la certification de notre dette… »

 

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