La Grande-Motte connaît une seconde jeunesse

Edifiée par l’architecte Jean Balladur à la fin des années 1960, la station balnéaire languedocienne a réussi à se faire apprécier au fil du temps.Son architecture visionnaire admirée par tous.

Journaliste en charge du Soir Immo Temps de lecture: 5 min

Au départ, il n’y avait ici que sable et marais, entre mer et Cévennes, au bord du golfe du Lion, sur la côte méditerranéenne du Languedoc-Roussillon. A l’arrivée, il y a une station balnéaire que certains trouvent souvent moche, ou en tout cas rarement belle, mais toujours originale et certainement unique en son genre.

Pour être franc, nous dirons que La Grande-Motte – puisque c’est d’elle qu’il s’agit – peut être réellement attirante à la condition d’avoir un penchant évident, ou à tout le moins un intérêt, pour l’architecture. Sinon, passez votre chemin.

Depuis quelque temps, les autorités communales ont décidé de mettre l’accent sur son côté « vintage », un concept très en vogue ces dernières années et pas uniquement en ce qui concerne l’architecture. « Un sondage IFOP réalisé il y a quatre ans a démontré que 39 % des personnes interrogées considéraient La Grande-Motte plutôt moche alors qu’ils ne la connaissaient pas, expliquent Jean-Marc Lopez et Thomas Blancart, de l’Office du Tourisme. C’était un problème d’image et non de notoriété car tout le monde avait entendu parler de la station. Il faut dire que l’architecture qui a été déployée ici n’est pas facile à comprendre et à accepter sans quelques explications… »

L’architecte à qui l’on doit La Grande-Motte s’appelle Jean Balladur. Au milieu des années 1960, il avait l’habitude de prendre ses vacances dans la région. Quand on lui demande d’imaginer une station balnéaire à partir de rien sous l’impulsion, notamment, du général de Gaulle qui souhaitait aménager le littoral du Languedoc-Roussillon pour fournir des lits aux Français qui partaient désormais en masse en vacances, il ne réfléchit pas longtemps : ce sera le projet d’une vie. Il y consacrera trente ans.

La station à développer se situe entre la mer et une longue et large bande de terre marécageuse. Cousin d’Edouard Balladur (qui fut un temps Premier ministre), Jean Balladur a des idées et, surtout, de l’audace à revendre. Il appartient à la génération de Le Corbusier et d’Oscar Niemeyer, deux maîtres-architectes qui ont eux aussi construit leur ville idéale (le premier à Chandigarh, en Inde, et le second à Brasilia).

La Grande-Motte s’inspirera des temples précolombiens dans une globalité qui prendra en compte plusieurs facteurs : la place des voitures, la direction des vents, le déplacement des ombres, les espèces végétales qui pousseront dans le sable. Mais on ne peut passer sous silence la forme de ses bâtiments qui magnifient une matière peu chère, facile à utiliser et qui revient très à la mode aujourd’hui : le béton.

Jean Balladur en a voulu certains masculins et d’autres féminins. Les premiers, comme les pyramides à 60º qui s’imposent majestueusement à vous lorsque vous entrez dans la ville dans le quartier du Levant, font la part belle aux lignes droites. Les secondes, comme les conques de Vénus que l’on aperçoit dans le quartier du Couchant au bout de la station, privilégient les courbes et la légèreté.

Mais le mot d’ordre a été le même pour les deux modèles : ils se fondent à merveille dans un environnement où la mer et la végétation constituée en grande partie de pins maritimes (70 % de la ville sont aménagés en espaces naturels) ne font qu’un.

Si l’on devait visiter La Grande-Motte ne serait-ce qu’une heure, on dirait qu’il faudrait absolument privilégier le bateau car la pureté des lignes des édifices épouse à merveille la ligne des dunes et des montagnes des Cévennes. En avion, aussi, le décor vaudrait assurément le détour avec le blanc des façades qui ressort tout en se fondant dans la verdure.

Car admirer La Grand Motte, ce n’est pas tant regarder les bâtiments, exceptionnels en soi, mais c’est contempler la manière dont ils s’intègrent dans l’ensemble pour former une ville particulièrement agréable à vivre tant à l’année (9.000 habitants) que pendant la période estivale (120.000 personnes) car tout est prévu pour la vivre à pied. « Pas moins de 80 kilomètres de sentiers pédestres traversent, en effet, la cité, font remarquer les préposés de l’Office du Tourisme qui n’arrêtent plus de faire découvrir leur ville par le biais de parcours architecturaux qui attirent chaque année les plus grandes écoles d’architecture et d’urbanisme du monde entier. Sans oublier les cinéastes qui viennent ici pour planter leur caméra afin d’immortaliser des séquences inédites. »

Jean Balladur pensait à tout. A propos du vent, il disait ceci : « On n’arrête pas le vent, on peut le peigner par des constructions judicieusement disposées. » Pour lui, le jardin était le paradis terrestre, raison pour laquelle les arbres et les ombres qu’ils projettent sont rois à La Grande-Motte. Enfin, la mer devait proposer une promenade le long de l’eau éloignée de toute circulation.

Il y a tant à dire sur l’architecture de Balladur qu’il serait impossible, dans ces colonnes, d’en faire un éloge complet. Sachez toutefois que la Grande Pyramide qui fait face au port est le reflet inversé du Pic Saint Loup, la montagne « totem » des Montpelliérains que l’on découvre en arrivant à La Grande-Motte par la mer. Les étages en décroché du bâtiment donnent à chacun de leurs habitants une terrasse unique et à l’abri des regards indiscrets malgré leur proximité.

Pourtant, et cela n’a rien d’étonnant si l’on se replace dans le contexte de l’époque, dès sa sortie de terre, La Grande-Motte fut abondamment critiquée par les partisans de l’architecture moderne. Les Languedociens y virent, eux aussi, une injure faite à leur littoral dont ils aimaient le côté sauvage. La poursuite de l’œuvre de Balladur connut même un temps d’arrêt pendant une longue période avant de reprendre de plus belle.

Mort à Paris en 2002 à l’âge de 78 ans, et enterré à La Grande-Motte, Jean Balladur n’a pas connu ce qui aurait sans aucun doute constitué son heure de gloire : l’attribution à la ville, en 2010, du label « Patrimoine du XXe siècle » habituellement décerné par le ministère de la Culture français à des édifices isolés.

Mais nul doute que de là-haut, il doit sûrement sourire un peu…

 

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