Le serment tardif à l’Ecosse

Travaillistes, libéraux et conservateurs s’unissent pour convaincre l’Ecosse de rester dans le pays. Mais les promesses arrivent un peu tard.

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Aberdeen

L’Ecosse se prononcera jeudi sur son éventuelle indépendance, mais aucun des deux camps n’a la partie gagnée. Les sondages donnent le « oui » et le « non » au coude à coude. Les militants et les politiciens sont engagés dans un ultime sprint pour gagner le vote des indécis. En face des indépendantistes, les trois grands partis politiques se sont unis pour faire prévaloir le maintien de l’Ecosse dans l’Union. Leurs leaders enchaînent les meetings et multiplient les déclarations. Ils cosignent même une promesse solennelle aux Ecossais. Mais beaucoup n’y voient que de la poudre aux yeux.

« Le serment » s’étalait mardi à la une du principal quotidien écossais, le Daily Record. Dans ce texte présenté sous la forme d’un vieux parchemin, David Cameron, le premier ministre conservateur (Tory), Ed Milliband, le chef du parti travailliste (labour) et Nick Clegg, le vice-premier ministre libéral démocrate (lib-dem), s’engagent à déléguer plus de pouvoirs au parlement écossais. Ils réitèrent officiellement les offres faites la semaine dernière en matière de compétences régionales et, surtout, assurent qu’il n’y aura pas de coupe dans le système de santé (NHS) en Ecosse sans l’aval du parlement écossais.

Ces propositions auraient pu répondre adéquatement aux désirs d’indépendance des Ecossais il y a deux ans. Mais depuis, les appétits de liberté se sont aiguisés explique James Lewis, un partisan du « oui » : « Quel drôle de timing. David Cameron a toujours refusé de faire des concessions, il a répondu à nos demandes avec le plus grand mépris. Et d’un coup, comme par magie, il veut nous donner ce qu’il nous refusait : des droits. Impossible de ne pas y voir de la démagogie. Les mêmes promesses nous ont été faites en 1979, après le référendum sur l’autonomie. Aucune n’a été tenue. Pire : on a eu Margaret Thatcher à la place. Cette fois personne n’est dupe. »

Les cordons de la bourse

Dennis Robertson, député du parlement écossais à Edimbourg, se démène pour mettre à profit les derniers jours de campagne. Avec son assistante et son chien – aveugle depuis l’âge de onze ans, il ne se déplace jamais sans eux – il fait du porte-à-porte dans la banlieue d’Aberdeen, car chaque voix peut être décisive : «  Ce que nous promettent les trois mousquetaires c’est du vent. Notre parlement a déjà les pouvoirs nécessaires pour légiférer en matière de santé publique. Ce qu’il nous manque ce sont les cordons de la bourse. Nous ne sommes pas maîtres du budget. Westminster, le parlement britannique, nous alloue une somme globale. Jusqu’à quand sera-t-elle garantie ? Peut-être jusqu’aux prochaines élections générales en mai 2015, mais pas au-delà. »

David Cameron a promis de ne pas toucher à l’enveloppe destinée à Edimbourg, mais Dennis Robertson reste circonspect : « Ces décisions ne dépendent pas de lui mais du vote au parlement. Les deux chambres pourraient ne pas le suivre. » Dans tous les cas, les offres faites par les politiciens sont en décalage avec les enjeux du référendum, analyse-t-il : «  Nous voulons contrôler notre budget, pour construire un Etat différent avec plus de justice sociale. Nous n’y parviendrons pas avec des pouvoirs supplémentaires mais limités. »

En visite à Aberdeen lundi, David Cameron a laissé poindre l’émotion pour prier les Ecossais de ne pas quitter l’Union. Mais à part la supplique, il s’est montré dur voire menaçant, explique Dennis Robertson : «  Il utilise la carotte et le bâton. D’un côté son ton était très émotif et loin de ce qu’on attend d’un Premier ministre ; de l’autre il opère un chantage : si l’Ecosse vote pour l’indépendance, le reste de la Grande-Bretagne lui tournera le dos. » Cette stratégie est à doubles tranchants. Elle joue avec la peur de l’inconnu et les craintes que beaucoup nourrissent de voir l’Ecosse plonger dans le marasme économique.

Quelle que soit l’issue du vote de jeudi, l’Ecosse ne sera plus jamais la même, constate Dennis Robertson : «  Le désir de changement s’exprime dans les deux camps et même si le résultat du référendum est négatif, Londres devra tenir compte des aspirations écossaises. »

Kurdes, Sahraouis, Texans, etc. : ils rêvent tous de référendum

Le déroulement du référendum sur l’indépendance de l’Ecosse est suivi avec beaucoup d’attention et une bonne dose de passion dans de nombreux pays, y compris hors d’Europe. Il excite les appétits de toute une série de mouvements indépendantistes plus ou moins connus et exotiques. De droite ou de gauche, ils ont été lancés par des nantis ou des nécessiteux. Malgré leurs différences, ils sont tous unis par le même espoir : voir le projet écossais aboutir, pour qu’il ouvre la voie à leur propre référendum d’indépendance.

Kurdistan irakien. Il s’agit sans doute du projet d’indépendance le plus mûr. Après avoir été victimes d’actes de génocide – en 1988, le régime de Saddam Hussein a gazé près de 5.000 d’entre eux –, les Kurdes d’Irak jouissent depuis 1991 d’une certaine autonomie, qui a été consolidée dans la Constitution post-Saddam Hussein. Le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK), présidé par Massoud Barzani, dispose d’une force armée de 190.000 hommes, les peshmergas, qui ont joué un rôle important face à la progression de l’Etat islamique (Daesh). Et les autorités kurdes d’Irak concluent désormais des accords pétroliers sans l’accord de Bagdad et exportent leur brut vers la Turquie. En juillet dernier, Massoud Barzani avait annoncé la tenue d’un référendum pour l’indépendance de sa région. Les Etats-Unis et l’Allemagne, mais aussi l’Iran et la Turquie, qui abritent d’importantes communautés kurdes, s’y étaient opposés. Barzani a répliqué en laissant entendre que le GRK pourrait garder le contrôle sur des régions riches en pétrole reprises par les peshmergas à l’EI, tout en promettant de participer à un nouveau gouvernement irakien.

L’opposition farouche des pays voisins à une indépendance du Kurdistan irakien pourrait s’estomper, tant ils sont aux prises avec le problème majeur que représente Daesh. Un Kurdistan ex-Irakien indépendant pourrait être un appréciable élément de stabilité. Contrairement aux Etats voisins, il serait économiquement prospère grâce à ses réserves de gaz et de pétrole, mais aussi politiquement cohérent et contrôlé par des clans qui ont montré qu’ils étaient capables de développer l’économie en bonne entente avec les pays voisins.

Québec. La perspective d’un « oui » écossais pourrait redonner un véritable élan au Parti québécois qui a été chassé du pouvoir au printemps dernier après une lourde défaite électorale. Plusieurs référendums sur l’indépendance du Québec ont déjà eu lieu dans le passé, mais l’option indépendantiste a été à chaque fois rejetée, la dernière fois en 1995. Pour Jean-François Lisée, qui avait mené la campagne en faveur du oui en 1995, « il faut redonner le goût de l’indépendance aux Québécois ». Et prévoir une nouvelle consultation.

Sahara Occidental. Il y a 23 ans, un cessez-le-feu était conclu entre les indépendantistes du Front Polisario et le Maroc, et une force de l’ONU était déployée. Un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui, prévu par l’ONU, aurait dû être organisé : il n’a jamais eu lieu faute d’accord des deux camps sur l’identification des électeurs. Le Sahara occidental est aujourd’hui, selon l’ONU, un territoire non autonome, revendiqué par le Royaume du Maroc et la République arabe sahraouie démocratique ; son statut définitif reste en suspens depuis le cessez-le-feu de 1991.

Texas. Au Texas aussi, il y a un mouvement nationaliste, dont le président, Daniel Miller, a été invité en Ecosse cette année : selon lui, les Ecossais préparent la route pour une prochaine indépendance texane. C’est en 2009 que cette idée a émergé. En 2013, une pétition appelant le Texas à se retirer des Etats-Unis avait réuni 125.000 signatures. Le mouvement indépendantiste texan est lié au Tea Party, cette aile très conservatrice du Parti républicain. Un Texas indépendant aurait plusieurs atouts : avec 27 millions d’habitants, il serait la 13e économie au monde, entre l’Australie et l’Espagne. Des entreprises de premier plan y ont leur siège et l’exploitation pétrolière reste importante. Mais le Parti républicain refuse de voir cet énorme réservoir de voix lui échapper, ce qui anéantirait ses chances de reconquérir la Maison-Blanche.

Bouguainville. Beaucoup plus exotique, la Papouasie-Nouvelle-Guinée est elle aussi confrontée aux volontés d’indépendance de l’île appelée Bougainville, qui a déjà gagné son autonomie après une guerre civile qui a fait tout de même 15.000 morts dans les années 1990. Les habitants de cette île ne supportaient plus les problèmes écologiques majeurs liés à la surexploitation de mines de cuivre alors qu’ils ne bénéficiaient pas des revenus qui en étaient tirés. Dans le traité de paix signé à l’issue du conflit, il est prévu qu’un référendum sur l’indépendance de l’île sera organisé entre 2015 et 2020.

Nouvelle-Calédonie. Ce territoire avait été annexé par la France en 1853, qui y avait installé une colonie pénitentiaire. Aujourd’hui, les Européens représentent un tiers de la population et vivent dans la riche province du sud, truffée de nickel. Les indigènes, les Kanaks, forment 45 % de la population. Les deux groupes ont été longtemps en conflit. Au milieu des années 1980, de violents affrontements opposèrent des indépendantistes kanaks aux troupes françaises. L’archipel jouit depuis d’une autonomie accrue et Paris a essayé de redresser certains déséquilibres économiques. Un vote sur l’indépendance doit être organisé entre 2014 et 2019.

 

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