Prédire la propagation des épidémies grâce aux appels téléphoniques
Deux chercheurs viennent de tester leur modèle à l’échelle de la France et du Portugal. Il s’agit de Catherine Linard, chargée de recherche FNRS à l’ULB, et Pierre Deville, aspirant FNRS affilié à l’UCL et au CCNR de la Northeastern University de Boston (Etats-Unis). Leur étude a été publiée dans la revue scientifique PNAS.
Concrètement, les deux chercheurs ont demandé aux opérateurs téléphoniques de leur fournir le nombre d’appels passés par antenne et par jour en ce qui concerne la France ; par heure et par antenne pour le Portugal. Ces données ont été anonymisées (voir ci-contre).
Les informations ont ensuite été intégrées dans un modèle mathématique qui traduit le total d’appels en nombre de personnes. En effet, il se peut que dix coups de fil aient été passés par une seule personne alors qu’une autre n’en a passé aucun ce jour-là.
Pour établir cette « traduction », différents éléments ont été pris en compte, comme le fait que plus la population est dense autour de soi, plus on a tendance à téléphoner. Le nombre d’appels est donc plus important pour un individu habitant en ville que pour un autre résidant en zone rurale.
Après un passage à la moulinette du modèle mathématique, les chercheurs obtiennent donc un nombre de personnes présentes autour d’une antenne. Ils peuvent aussi réaliser des « instantanés » de la situation par heure ou par jour. « Nous pouvons alors interpréter les résultats pour étudier les mouvements des personnes. On voit par exemple que les gens quittent les villes pour se rendre à la côte lors des congés scolaires », explique Pierre Deville.
Zones à risque
Bien sûr, cela, on le savait déjà. Mais les chercheurs cherchaient juste à valider leur modèle qu’ils comptent à présent utiliser dans les pays en voie de développement. « Nous avons réalisé l’exercice en France et au Portugal car il existe dans ces pays des données précises sur la démographie. On pouvait donc facilement vérifier nos résultats », précise Catherine Linard.
Validée, la méthode va maintenant pouvoir être transposée à d’autres contextes. « Elle peut être utile en épidémiologie. L’un des facteurs les plus importants à connaître pour prédire la propagation du virus est la mobilité des gens. Notre méthode permettrait de suivre heure par heure les mouvements de la population et connaître ainsi les zones à risque, les connexions les plus fréquentes entre les villes… », avance Pierre Deville.
Elle pourrait aussi être utile pour suivre les mouvements de population lors d’inondations ou pour retrouver des gens dans des avalanches.
Dans un registre plus léger, les offices du tourisme pourraient savoir quels sont les villes et les quartiers les plus visités. Et quelles sont les connexions les plus prisées.
Jusqu’à présent, les géographes cartographiaient les populations sur base de données de recensement. « Mais celles-ci ne sont pas toujours très précises. Comme ils coûtent cher, les recensements ne sont – dans certaines régions d’Afrique – effectués que tous les dix ans. Voire moins. Ainsi, en RDC, le dernier remonte à 1984 », explique Catherine Linard.
Ici, les données existent. « Le point critique, c’est de les obtenir. Il faudrait que les gouvernements aient un accord avec les opérateurs afin d’avoir accès à ces informations en cas de nécessité : catastrophes naturelles ou épidémies par exemple. Une fois qu’on a les données, on peut produire une carte en une heure », poursuit la géographe.
La méthode permet donc une grande réactivité. Et si pour leur étude les chercheurs se sont basés sur les appels téléphoniques, le même exercice peut être fait sur base des SMS.
Ses limites ? La technique ne peut être utilisée que dans des zones couvertes par des antennes et pour les populations possédant des GSM.
Elle ne remplacera donc jamais les recensements. « Ceux-ci sont plus précis. Notre méthode n’est qu’une estimation », souligne Catherine Linard.