Piketty: «L’Europe doit changer pour ne pas sacrifier les jeunes générations»
Et, sans attendre, il aborde le cœur de son bouquin : « oui les inégalités grimpent, particulièrement aux Etats-Unis, ou les 10 % les plus riches détiennent aujourd’hui environ 50 %, alors que le taux de détention (en part du PIB) était encore de 25 % dans les années 80. On est revenu aux niveaux des années 20. »
« En Europe, la montée des inégalités est bien moins importante », note-il. Pour l’économiste politique qui suscite le débat dans le monde entier, ces inégalités menacent aujourd’hui nos modèles sociaux et démocratiques.
« Certes, les inégalités montent, mais la bonne nouvelle, particulièrement en Europe où l'on s'inquiète beaucoup de l'ampleur des dettes publiques, c'est que les capitaux privés ont eux aussi grimpé de manière importante par rapport aux PIB, souvent en raison de la hausse des prix immobiliers. C'est important, pour sauver nos modèles, d'envisager progressivement un transfert de ces capitaux du privé vers les public. »
Pour rappel, l'une des propositions de Thomas Piketty est d'instaurer une taxation progressive des patrimoines, de l'ordre de 1% du stock de capital à partir de 1 million d'euros, et jusqu’à 5% à partir de 1 milliard d'euros.
L’Europe enfermée dans des contradictions
Et Thomas Piketty de donner un exemple selon lui très frappant, très révélateur des contradictions dans lesquelles nous sommes enfermés aujourd'hui en Europe.« Il y a quelques années, Mario Monti, ancien président du Conseil européen, a mis en place une nouvelle forme de taxe sur le patrimoine. Il a été applaudi en Europe sauf en Italie où les citoyens lui ont reproché d'avoir introduit une taxe 8 fois supérieure sur l'immobilier que sur les patrimoines financiers. Avec les frustrations que l'on imagine aisément. Ce n'est pas comme cela qu'on rétablit un certain équilibre; ce n'est pas comme cela qu'on peut mettre en place une Europe plus égalitaire. Cet exemple montre aussi la nécessité de penser cette forme de taxation au niveau européen. »
« Aujourd'hui il faudrait des dizaines d'années pour faire reculer les taux d'endettement de nos sociétés avec les taux de croissance et d'inflation très faibles qui sont les nôtres. La seule possibilité d’y mettre un terme est non seulement d'instaurer cette taxation des capitaux mais aussi d'investir dans l'avenir . »Pour Thomas Piketty, cela passe nécessairement par un investissement dans les universités, dans la recherche, dans la formation.
« Aujourd'hui, on investit 1% de notre PIB dans les universités alors qu'on paie 5 ou 6 fois plus en charges de dettes chaque année. C'est inacceptable, évidemment. Il est évident qu'il faut changer nos politiques en la matière pour les jeunes générations, pour ne pas les sacrifier. On est à un tournant : il faut changer les politiques macroéconomiques.»
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