Bruxelles se dévoile dans le noir


Voilà donc Bruxelles Noir, avec 13 textes d’écrivains qui vivent ou ont vécu à Bruxelles. Il y a Barbara Abel, Ayerdhal, Sara Doke, Patrick Delperdange, Kenan Görgün, Nadine Monfils, Bob Van Laerhoven, Paul Colize, Alfredo Noriega, Edgar Kosma, Katia Lanero Zamora, Emilie de Béco et Jean-Luc Cornette. Et Bruxelles est replacée sur la carte du polar international, avec ses quartiers moins connus, ses coins glauques, ses mystères nocturnes, ses bars et ses rues barbouillées de néon, ses loubards, ses eurocrates froids et cruels, son roi qui fume des pétards… Succulent.
Ça suscitera en tout cas d’autres conversations bruxelloises à Paris. A New York et à Los Angeles aussi d’ailleurs. Car cette collection vient des Etats-Unis. C’est Akashic Books qui a lancé la série, avec des villes US, puis de grandes villes internationales, comme Mexico, Delhi, Barcelone. Asphalte traduit et a proposé à Akashic de lancer Marseille Noir. OK. Et c’est là que Michel Dufranne propose Bruxelles Noir. Asphalte est enthousiaste. Faut obtenir l’accord de Johnny Temple, le boss d’Akashic. « Il avait été dans un groupe rock, reprend Dufranne, il connaissait donc bien l’AB, le Bota. Let’s go, on fait le Bruxelles des bars, m’a-t-il dit. »
Mimi Castafiore
Michel Dufranne contacte donc les écrivains qu’il aime. « Ils étaient tous très excités », dit-il. Pas question d’écrire sur la ville touristique, pas question non plus de rendre le texte inintelligible pour les non-Bruxellois. Couleur locale, oui, mais bruxellismes et méandres institutionnels, s’abstenir.
Verdict. C’est une anthologie très réussie. Homogène et très diversifiée en même temps. Avec des textes plus légers et plus lourds, des aventures et du ressenti, de l’anticipation et du crime. On va de quartier en quartier, on plonge dans les tueries du Brabant, on se révolte contre la tache d’huile européenne avec Matongé, on tue les moutons à l’abattoir, on rappelle les agonisants à la vie, on plonge dans les arcanes de la « TRBF », on suit Mimi Castafiore et des faussaires et on fume un pétard avec le prince qui deviendra roi…
Tout est bon. Mais deux histoires m’ont profondément touché. Le « Rituel – Journal de chair et de foi » de Kenan Görgün et l’ « Ecuador » d’Alfredo Noriega. Le premier, Turc d’origine, décortique la fête du Sacrifice, l’Aïd-el-Kebir et son abattage rituel du mouton, qui remonte au sacrifice d’Abraham. Mais Abraham aurait-il égorgé son fils Isaac si Dieu n’avait pas envoyé son ange pour l’arrêter et un mouton pour remplacer le jeune homme ? Un point de départ que Görgün mène jusqu’à son extrême fin, d’une cruauté absolue.
Le second, Equatorien de Bruxelles, qui est un écrivain star en Amérique latine, compose l’histoire personnelle, intérieure, d’un exilé installé à Ixelles, marié à une diplomate britannique, mais à qui tout peut arriver, comme un renvoi inopiné à Quito dans un avion, comme une mort scandaleuse dans ce même avion, telle que l’a subie Semira Adamu en 1998. N’ayez crainte : il y a des histoires plus épiques, plus drôles, parfois même plus loufoques. Elles sont tout aussi chouettes mais elles marquent sans doute moins le lecteur, elles n’ont pas toutes cette vibration qui le poursuit longtemps.
« Je suis content », avoue Michel Dufranne. Il peut l’être. Cette anthologie rappelle, s’il le fallait, que Bruxelles contient plein de talents.
Les auteurs de l’anthologie seront chez Filigranes, avenue des Arts à Bruxelles, le jeudi 2 à 18 h.