Boko Haram: l’horreur dessinée par les enfants du Nigeria

Têtes décapitées, maisons brûlées… Les dessins des enfants victimes de Boko Haram depuis plusieurs années parlent d’eux-mêmes.

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Ce mardi, cela fait un an, jour pour jour, que 219 lycéennes nigérianes, enlevées par Boko Haram, ont disparu de la surface du monde. Mais au-delà de cette triste date anniversaire, le groupe terroriste, qui fait rage au Nigeria depuis des années, n’a pas fait des morts et disparus, ses seules victimes.

Des centaines de femmes et d’enfants, la plupart devenus orphelins, ont été contraints de fuir pour s’installer au Tchad ou au Niger dans des camps de fortune. Ces derniers, en plus de voir leur village et famille détruits, garderont des séquelles psychologiques à vie de cet épisode traumatisant. C’est pourquoi l’Unicef a décidé de faire sortir de l’ombre ces victimes souvent négligées en mettant en place un atelier dessin dans le camp de réfugiés de Dar-Es-Salam près du lac Tchad. Atelier qui a permis aux enfants d’extérioriser ce qu’ils ont vu et vécu lors de l’attaque de leur village par les islamistes. De ces dessins ressortent des récits poignants, qui témoignent de l’horreur des scènes qui ont défilé devant des yeux censés rester innocents.

« J’ai vu un papa à qui ils ont coupé la tête, raconte le petit Abba, 10 ans, un crayon à la main. Puis, j’ai vu des boutiques brûlées alors que Boko Haram continuait à tirer sur les fuyards… Un moment, des avions sont venus et ont jeté du feu à côté de Boko Haram. Nous sommes restés coincés cinq jours avant de pouvoir fuir la nuit. »

Aïcha, 9 ans, détaille son dessin : «  On était à l’école quand ils sont venus. Nos enseignants nous ont dit de sortir et de courir. On a commencé à courir jusqu’à la maison où on s’est cachés sous le lit. Ils ont tué mon grand frère et ils nous ont dit de ne pas fuir car ils faisaient le travail d’Allah. »

Soumaïla Ahmid affirme avoir 15 ans, mais on lui en donnerait à peine 12.

« Le jour de l’attaque, on était devant notre porte quand on a vu les Boko Haram. Ils sont allés vers les gens qui se trouvaient au bord de l’eau et les ont fusillés, ils tiraient dans la tête », raconte le garçon. Sur sa feuille est dessiné avec application une forme gondolée et des cadavres flottant dans une rivière : « Il y a ceux ont pu monter dans les pirogues, ils sont en train de fuir. Les autres sont morts  », dit-il, le visage figé.

«  On était dans le marché et on a vu les gens de Boko Haram en train de tuer les gens et brûler les voitures. Ils tiraient sur les gens. Il y a des gens qui ont été amputés des jambes et des mains. Il y avait aussi des gens qui tombaient dans l’eau et mourraient. On s’est cachés dans les palmeraies. Quand ils sont partis, nous avons marché jusqu’au fleuve et nous avons traversé pour se retrouver au Niger » Ibrahim, 12 ans.

S’évader le temps d’un dessin

Le responsable de la structure Ndorum Ndoki explique que depuis que l’activité a été lancée, les enfants se précipitent pour s’y inscrire. « Ils dessinent, et ensuite nous pouvons en discuter. Il a fallu les pousser à s’ouvrir, ce n’était pas évident au début. Aujourd’hui, ils sont fiers d’être écoutés », dit-il.

Outre le douloureux thème Boko Haram, l’atelier dessins aborde aussi ceux de l’amour ou de l’école. L’association propose également des parties de football, des cours de judo et de tricot. Un moyen pour les jeunes d’oublier leur quotidien pénible, cadencé par les rationnements alimentaires sous une chaleur insoutenable, le camp étant situé à une dizaine de kilomètres des rives du lac. M. Ndorume Ndoki précise que l’équipe qui les encadre essaie de distinguer les enfants qui ont tendance à s’isoler, et ceux qui paraissent trop familiers avec le drame, afin de ne pas laisser le traumatisme s’établir.

Apprendre pour mieux s’en sortir

Oumar Martin, animateur camerounais habitant depuis plusieurs années au Nigeria, s’est retrouvé pris dans la marée des 18.000 réfugiés venus au Tchad. Il assure que la plupart des enfants du camp ne connaissent rien de l’école, même si certains ont suivi un enseignement coranique. C’est pourquoi, l’Unicef a pris l’initiative en janvier d’ouvrir une « école d’urgence », huit grandes tentes qui permettent de scolariser plus de 800 enfants.

Les élèves, venant du Nord-Est du Nigeria principalement musulman, ne parlent en général que haoussa ou kanuri. D’après Omar Martin, ils «  construisent déjà des phrases en anglais, et baragouinent quelques mots de français ».

On retrouve pendant les cours quelques « grands enfants », qui ont dépassé la vingtaine, mais qui ont quand même soif d’apprendre à lire et à écrire.

La majorité de ces jeunes ont survécu à l’attaque de Boko Haram et ont dû fuir les insurgés nigérians en pirogue ou à pied, plus de 140 d’entre eux sont arrivés orphelins au bout du voyage.

Mahamat Alhadji Mahamat, 14 ans, a mis près d’une semaine à rejoindre le camp de Dar-es-Salam. Accompagné de ses oncles, il se cachait la journée et gagnait du terrain la nuit. « Je ne pourrai jamais oublier ce que j’ai vu là-bas  » dit-il. « Mais je veux apprendre, et un jour je rentrerai chez moi, au Nigeria ».

 

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