Bilan des gouvernements: à la Communauté française, les rescapés sont au travail

La législature ne fera pas de cadeau, en Communauté française. Mais le gouvernement a réussi à pondre un budget indolore. C’est un exploit. A ce stade, c’est aussi le seul.

Journaliste au service Politique Temps de lecture: 7 min

Allez, une colle (méchante) : qui sont les ministres du gouvernement de la Communauté française ?

Joëlle Milquet (CDH), c’est sûr – elle ne détale pas du terrain médiatique, contre (ou avec) son gré. Et les autres ? Vous séchez. Et voilà donc la première caractéristique de cette équipe : son déséquilibre – inédit. A elle seule, Milquet cumule trois ministères qui, autrefois, rassasiaient trois ministres. Elle a l’Education, la Petite Enfance et la Culture.

Ce déséquilibre, on le doit à deux éléments. A l’été 2014, Benoît Lutgen, le président du CDH, a fait chèrement payer au PS son refus de négocier le gouvernement fédéral avec le MR et la N-VA. Comme il fait chèrement payer son accord de négocier les exécutifs fédérés avec Paul Magnette. En résumé : le CDH rafle les portefeuilles les plus porteurs. Deuxième élément : au sein du CDH, l’ex-présidente reste un poids lourd (en termes d’influence interne comme en termes électoraux) que son successeur doit ménager.

Voilà l’explication à un portefeuille démesuré qui, par définition, tient à l’ombre les collègues de la Bruxelloise – d’autant que, par nature, déjà, et comme on dit, la fille « occupe de la place ».

Qu’on le veuille ou non, le gouvernement de la Communauté française est aussi – c’est son autre caractéristique – un exécutif de rescapés. On songe singulièrement à Rudy Demotte (ministre-président) qui rêvait de rester à la Région wallonne. A Milquet qui rêvait de rester au fédéral. Ou à André Flahaut (Budget, Fonction publique) qui rêvait de camper au perchoir de la Chambre.

Voilà la toile de fond – une équipe déséquilibrée et qui, a priori en tout cas, ne dégageait pas un fumet immense de motivation.

En dépit de tout ceci, le gouvernement francophone, après une courte année de fonctionnement, envoie globalement une bonne impression.

D’abord, les ministres sont au travail. Pour la majorité des projets que nous avons épinglés dans l’accord de majorité, le travail est engagé.

Mais sa vraie prouesse ne figure pas dans l’accord de la majorité. Les finances sont serrées (air connu) mais l’exécutif a réussi à pondre un budget 2015 indolore – Flahaut a raclé les tiroirs. Sauf surprise (des mesures planquées que l’on découvrirait plus tard…), les départements s’en sont sortis indemnes.

Un an après la mise en selle de l’exécutif, les défis qui attendent la Communauté au cours de cette législature apparaissent avec un peu de netteté.

Le premier : la législature ne fera pas de cadeau et les promesses de l’été (engager 700 profs pour réduire l’échec scolaire) risquent de rester sur papier. Voilà l’équation insoluble : l’échec scolaire coûte 500 millions/an, mais réduire cette gabegie supposerait d’investir. Or, telle est la situation en Communauté : la seule possibilité d’investir ici, c’est de tailler là-bas. C’est d’ailleurs ce que PS et CDH avaient pensé en rédigeant l’accord de majorité – leur idée : convertir en emplois les subsides additionnels accordés aux écoles défavorisées. Le secteur a hurlé. L’exécutif a reculé. Et l’affaire illustre ce qui sera le casse-tête de la législature : les secteurs sont à l’os et les vases communicants sont/seront difficiles, sinon impossibles.

Deuxième défi : comme le secteur scolaire l’avait réclamé avant le scrutin, le gouvernement a engagé un débat devant mener à la conclusion d’un Pacte d’excellence pour l’école (fin des travaux attendue pour Pâques 2016). C’est le projet fort de l’accord de majorité : un plan de relance de l’école. Mais gare. D’abord, le secteur scolaire est volontiers autobloquant (en défendant des intérêts parfois contraires, les acteurs, multiples neutralisent souvent tout espoir de réforme). Aussi, à supposer que le pacte ait de l’envergure, ne suscitera-t-on pas d’énormes espoirs que les moyens financiers (on y revient toujours) dégonfleront comme un soufflé ?

Le troisième défi est lié à Milquet, aux commandes des départements phares de l’institution. Ses charges sont lourdes, prenantes, complexes et réclament un pilotage clair, serein. Jusqu’à présent, la ministre tient le coup mais elle donne parfois déjà l’impression d’être en surrégime.

La question est simple : tiendra-t-elle ?

Bilan du gouvernement de la Communauté : la casserole scolaire est à ébullition

En décrétant que le cours de morale était (à ses yeux) philosophiquement engagé, la Cour constitutionnelle a explosé le jeu de quilles. Le gouvernement gère, tant bien que mal, mis sous pression par les lobbies scolaires.

Un gouvernement dispose d’une feuille de route. C’est l’accord de majorité qui fixe les projets que les partis de la majorité ont décidé de lui assigner. Mais le labeur d’un exécutif ne se borne pas à cela. Il y a la gestion ordinaire des départements, la confection des budgets annuels. Et il y a les imprévus, plus ou moins nombreux, plus ou moins dérangeants.

L’arrêt que la Cour constitutionnelle a pondu le 12 mars est l’un des impondérables dont la Communauté française aurait volontiers fait l’économie. Au bout d’un raisonnement spécieux (et juridiquement fragile, possiblement), l’instance a jugé que le cours de morale non confessionnelle, dispensé dans l’enseignement officiel, était un cours de morale laïque, philosophiquement engagé. Conclusion : les élèves doivent pouvoir en être dispensés. Cet arrêt a conduit la ministre de l’Education à imaginer une échappatoire – ce sera l’EPA (encadrement pédagogique alternatif) où se retrouveront les élèves souhaitent être dispensés du cours de religion/morale. Préalablement, elle a organisé un sondage en demandant aux parents de dire, à blanc, quelle serait leur option. C’était de bonne politique – il s’agissait de prendre les devants, d’estimer le nombre d’enfants dispensés à encadrer. L’erreur : avoir donné du contenu à l’EPA après avoir engagé le sondage – on a laissé penser, un temps, que rien ne serait organisé pour les dispensés (d’où le nom de « cours de rien »). Désormais, l’existence même de cet EPA est remise en cause puisque Milquet a fait savoir qu’elle ne le concrétiserait que si les partenaires éducatifs (syndicats, pouvoirs organisateurs) étaient preneurs. La concertation est en cours et l’incertitude demeure, donc. Difficulté supplémentaire : à partir de 2006, le cours de religion/morale/EPA (si l’EPA est maintenu) descendra à 1 heure pour libérer 1 h pour un cours de citoyenneté à inventer. Et difficulté supplémentaire dans la difficulté supplémentaire : certains PS, comme André Flahaut, souhaitent passer à 2 h de citoyenneté – piste que le PS Demotte a barrée. A l’arrivée, il est difficile de ne pas constater que le gouvernement a été erratique et fort confus.

67 %

L’accord de majorité contient 326 projets (136 à charge de Milquet). Il y a 32 projets réalisés (9,82 %), 218 projets où le travail a été entamé (66,87 %), 67 projets où rien n’a encore été fait (20,55 %), zéro projet abandonné (pour une série de projets, nous n’avons obtenu aucune information). Répété chaque année, ce compte prendra du sens avec le temps. Le bilan, ce sera en fin de bail, quand on pourra mesurer le taux de réalisation et la part de projets oubliés faute d’argent, de temps ou d’accord politique.

Les bilans

Un an après, voici le bilan des gouvernements régionaux

« Le Soir » s’est plongé dans les déclarations de politique régionale et titre le bilan de la 1re année des gouvernements en Wallonie, à la Communauté française et à Bruxelles.

Nous avons dressé la liste de ces engagements, parfois très larges et globaux, parfois très précis et nous avons évalué le degré d’avancement de chacun d’entre eux. Un tableau de bord de l’action gouvernementale, consultable, pour chaque entité fédérée, à découvrir grâce au lien indiqué ci-dessous.

► Retrouvez notre document

Le bilan de la Wallonie

Plonger à nouveau dans les eaux profondes et opaques (115 pages bien tassées) de la déclaration de politique régionale (DPR) wallonne, c’est s’offrir un voyage dans les méandres cotonneux d’un texte qui semble promis au titre de champion du monde de la langue de bois et de la circonvolution politique.

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Le bilan bruxellois

Le gouvernement bruxellois s’est fait relativement discret, depuis sa prestation de serment, le 20 juillet. En négatif : une polémique auto-générée par Rudi Vervoort, un conflit avec les taxis. Pour le reste, contrairement à la Wallonie où PS et CDH s’accrochent régulièrement, point de polémique entre partenaires, à Bruxelles. Et, surtout, une communication extrêmement dosée.

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