Les six hommes d’influence dans l’ombre du Roi


Ces conseillers forment « le comité de concertation », qui élabore la politique générale du Palais, propose un programme royal à court et moyen terme, et organise la coordination avec les autres membres de la famille royale.
C’est dire l’importance de ces proches collaborateurs du Roi, qu’il choisit d’ailleurs librement (ce fut précisé au Moniteur en 1949), sans devoir être couvert par le gouvernement – même si, pour éviter tout problème potentiel, le Premier ministre est informellement sondé.
Veiller aux équilibres
Le Roi veille toutefois à un certain équilibre, politique, linguistique et confessionnel ; ainsi, depuis Baudouin, le grand maréchal (aujourd’hui secrétaire général) et le chef de cabinet ne sont traditionnellement pas de la même obédience. Reste que la famille sociale-chrétienne et la religion catholique ont toujours été bien représentées au Palais (comme autrefois les francophones). Au point que le libéral Guy Verhofstadt, devenu Premier ministre, appuyé par le socialiste Johan Vande Lanotte, a tenté (en vain) de remplacer l’indéboulonnable chef de cabinet CD&V, Jacques Van Ypersele (en place durant 30 ans).
Lors d’une succession au trône, deux tendances : la continuité ou le changement. Devenu Roi après le décès inopiné de Baudouin, Albert II, pas préparé à la fonction, a gardé les principaux collaborateurs de son frère (grand maréchal, chef de cabinet, chef de la maison militaire, intendant de la liste civile). Philippe, « écolé » depuis 25 ans, a fortement renouvelé le cabinet royal, ne conservant que deux dignitaires de son père : chef du protocole et chef de la maison militaire.
Le premier n’est pas forcément le premier
Entre ces dignitaires de la Cour, un ordre protocolaire existe. Ainsi, le grand maréchal était-il historiquement le premier en rang. Mais cela ne veut pas dire qu’il était pour autant le premier conseiller du Roi. Selon les époques et les personnalités, l’officiel numéro un sur le plan protocolaire ne l’est pas toujours dans les faits, n’est pas toujours le plus influent auprès du Roi. « Cela dépend de la qualité des personnes, de la durée dans la fonction, de la qualité de la relation avec le Roi et de l’importance des dossiers, nous glisse un ancien dignitaire. L’importance des fonctions ne coïncide donc pas nécessairement avec l’ordre protocolaire, qui est le canevas présenté vers l’extérieur, mais ce canevas ne dit pas forcément tout sur la position des personnes au Palais. »
Au point que la fonction de grand maréchal a fini par disparaître en 2006, lors d’une restructuration décidée par Albert II. Il est vrai qu’elle avait perdu en importance, au profit d’autres fonctions. Ainsi, sous Léopold III, des secrétaires privés avaient pris la première place auprès du Roi. L’historien Francis Balace (Ulg) cite ainsi « le comte Robert Capelle, qui recevait les Degrelle et autres qui voulaient entrer en contact avec le Roi. Plus tard, c’est lui qui a porté le chapeau… Il ne s’entendait pas avec le chef de cabinet en titre, l’un était maçon, l’autre catholique. »
Sous Baudouin, c’est le chef de cabinet du Roi qui a gagné en importance. D’abord avec André Molitor, « qui était comme les deux doigts de la main avec le roi Baudouin », dit Francis Balace, alors qu’« entre Fabiola et le grand maréchal Herman Liebaers, le torchon a brûlé jusqu’à ce que Baudouin le mette à la porte ». Ensuite avec Jacques Van Ypersele.
L’importance du chef de cabinet a perduré, voire s’est renforcée, sous Albert II : Jacques Van Ypersele était clairement le numéro un au Palais. C’est à son époque d’ailleurs que la fonction de grand maréchal a disparu… Un ancien du Palais témoigne : « André Molitor était influent, mais discret, ne se montrant quasi jamais. Jacques Van Ypersele, lui, partant du principe que tout dans la vie du Roi pouvait être politique, s’occupait de tout et estimait qu’il devait toujours être là. La rivalité était visible avec le grand maréchal, qu’il a finalement évincé. »
Durant les dernières années du règne d’Albert II toutefois, Jacques Van Ypersele s’est recentré sur son domaine politique, et c’est l’intendant de la liste civile, Vincent Pardoen, qui a pris l’ascendant, devenant l’homme de confiance du Roi. La réorganisation interne du Palais en 2006 avait d’ailleurs aussi pour but de trouver un équilibre entre Van Ypersele et Pardoen, nous glisse un témoin.
Le chef de cabinet, numéro un actuel
Et aujourd’hui ? C’est le chef de cabinet Frans Van Daele qui est clairement, toutes nos sources le confirment, le numéro un, le dignitaire plus influent. En raison de son expérience, de ses relations (« Il tutoie Merkel ») et de sa proximité avec Philippe depuis des années. Même s’il n’y a pas officiellement de primus inter pares et que les décisions se prennent plus collégialement qu’autrefois.
« Le rôle exact des uns et des autres a donc évolué à travers le temps, conclut l’historien Vincent Dujardin (UCL). L’actuel secrétaire général a repris une partie des prérogatives de l’ancien grand maréchal. Certains chefs de cabinet ont eu une plus grande influence que d’autres. A certaines époques, comme au moment de la Question royale, leur rôle a été affaibli par la présence d’un secrétaire privé – comme Jacques Pirenne, secrétaire de Léopold III. Dans les années 60, André Molitor, le chef de cabinet, avait même averti ses proches qu’il démissionnerait si Baudouin nommait un secrétaire privé. Quant à l’ intendant de la liste civile, il a joué un rôle croissant au fil des ans, reprenant aussi certaines prérogatives du grand maréchal. Pardoen a ainsi joué un rôle plus important qu’un Nazé par exemple, intendant de Baudouin. »
Il y a donc aussi des rivalités entre dignitaires de la Cour… L’œil sur l’histoire, Francis Balace acquiesce : « Vous n’imaginez pas le nombre de crocs-en-jambe que peuvent se faire ces messieurs ! Il y en a qui ne s’aiment pas. Et tous voudraient se rapprocher du soleil. » Aujourd’hui, nous assurent toutefois plusieurs initiés, l’équipe autour du Roi est plutôt collégiale et « assez soudée ». Ce qui n’empêche pas certaines susceptibilités ou ambitions. Ainsi, raconte un témoin, « si Frans Van Daele a le pouvoir, certains se positionnent déjà pour lui succéder. »
Voyons ce que font concrètement ces six conseillers principaux de Philippe. Ils n’ont pas accepté d’interviews, nous avons donc interrogé certains prédécesseurs : le chef de cabinet et le directeur médias et communication, tous deux membres du cabinet du Roi.
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