A votre avis: coup d’Etat ou accord salutaire pour la Grèce? (débat)

En demande-t-on trop à la Grèce ? L’Allemagne a-t-elle raison d’être intransigeante ? Quel impact sur l’avenir de l’Europe ? Notre débat, vos réactions.

Temps de lecture: 6 min

L’ Europe à laquelle on a affaire n’est plus celle d’avant : c’est une Europe contrôlée par l’Allemagne et par ses satellites baltes, polonais, etc. L’Europe est devenue un système hiérarchique, autoritaire, « austéritaire », sous direction allemande. Tsipras est probablement en train de polariser cette Europe du nord contre l’Europe du sud. L’affrontement, il est entre Tsipras et Schäuble (le ministre allemand des finances, NDLR). L’Europe est en train de se scissionner par le milieu. » L’analyse est d’Emmanuel Todd, historien, démographe et anthropologue français, dans Le Soir du 9 juillet dernier.

> Lire son interview : « L’Europe s’autodétruit sous la direction allemande »

« Agreement », comme l’a twitté ce lundi matin le Premier ministre Charles Michel, certes. Mais au-delà du contenu de l’accord intervenu ce lundi matin (dont voici les principaux points) au terme d’un sommet marathon de la zone euro les divisions intervenues ces dernières semaines entre Européens, risquent de laisser des traces.

« La démonstration de force qui a été opérée soulève le cœur. La Grèce ne va pas sortir de l’euro, mais c’est au prix de la poursuite de son effondrement. Ceux qui s’en prévalent feraient mieux de ne pas pavoiser. Leur conception de l’Europe est désormais l’objet d’un profond malaise qu’ils ne pourront pas estomper. La crise politique va pouvoir se donner libre cours, en Grèce et dans toute l’Europe. C’est le prix que les créanciers vont devoir payer », peut-on lire sur le blog de Paul Jorion.

L’intransigeance du ministre des Finances allemand, Wolfgang Schaüble, reste inexplicable pour beaucoup d’économistes. « Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, la troïka continue de nier toute responsabilité et de défendre ses prévisions et ses modèles, même s’ils ont été contredits par la réalité », écrivait dans Le Monde le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz le 3 juillet dernier. Sur son blog, Paul Krugman, estime qu’on assiste à « une grotesque trahison de tout ce que prétend être le projet européen. » Pour le prix Nobel d’économie, « l’argumentation économique est devenue presque secondaire. Durant les deux dernières semaines, nous avons tout simplement constaté qu’être membre de la zone euro signifie que votre économie peut être détruite si vous sortez des rangs. » Pour l’économiste américain, « le projet européen vient de subir un coup terrible voire fatal. Et quoique vous pensiez de Syriza ou de la Grèce, ce ne sont pas les Grecs qui ont porté ce coup. »

Exemple, la proposition formulée ce week-end d’une mise sous tutelle de biens publics grecs pour un montant de 50 milliards. Paul De Grauwe, professeur de la London Economic School, nous confiait ce dimanche soir qu’il était pour lui « incompréhensible qu’un pays comme l’Allemagne, qui a profité de la bienveillance des autres pays dans les années 50, quand on a effacé sa dette, adopte une telle attitude. Aujourd’hui, elle prend les positions les plus dures, comme s’il y avait une perte de mémoire collective dans ce pays. Les Allemands disent qu’on ne peut pas avoir confiance dans les Grecs. Mais au vu de leur attitude, peut-on faire confiance aux Allemands ? »

Lire : Paul De Grauwe : « L’attitude de l’Allemagne est incompréhensible »

Entre-temps, un accord est intervenu. Reste à voir s’il passera la rampe des parlements nationaux. « Le jeu est devenu purement politique. J’ai l’impression qu’un certain nombre de pays, dont l’Allemagne, veulent faire sortir la Grèce de la zone euro. Ils ne s’attendaient pas à ce que le gouvernement grec accepte tous les points de la proposition précédente et ils sont en train de durcir leurs positions pour pouvoir dire que l’échec de la négociation revient aux Grecs », nous confiait-il.

Le Premier ministre grec Alexis Tsipras, qui pouvait se targuer d’une victoire politique au terme du « non » au référendum, doit désormais convaincre le parlement grec de dire « oui » à une nouvelle cure d’austérité. Il pourrait rapidement se retrouver dans une position intenable.

> Le 11h02 : « Après l’accord, Tsipras sur un siège éjectable ? »

Ils n’en auraient pas fait assez ? Faux !

Un argument revient souvent dans la bouche de ceux qui défendent l’intransigeance de l’Allemagne et des pays alignés sur elle : les Grecs sont des cigales qui ont dépensé l’argent que nous leur avons prêté sans faire les réformes (que nous jugeons) nécessaires. Dans les faits, l’austérité, budgétaire et salariale, a été bien plus massive en Grèce – ce qui explique l’effondrement de l’activité économique et l’explosion du taux d’endettement public que cette stratégie devait pourtant réduire. Et rien n’y a fait. Le pays, exsangue, a vu son économie partir en lambeaux. Le remède a progressivement tué le patient.

> Lire notre analyse : Pourquoi ce qui a fonctionné ailleurs n’a pas marché en Grèce ?

Marc Touati, économiste français, n’est pas de cet avis. « On a déjà réduit la dette grecque de 110 milliards d’euros et on les a aidés à hauteur de 240 milliards d’euros; un cadeau de 350 milliards, ce n’est pas ce que j’appelle une «mise au ban» de la Grèce », nous confiait-il récemment.

> Lire : «L’Europe a crédibilisé l’extrémisme politique»

Pas seulement un problème économique

Le cas grec cristallise en fait un problème plus profond, celui d’une vision partagée de l’avenir de l’Union européenne. Cette division, affirme Emmanuel Todd, n’est pas à chercher du côté d’une division idéologique basée sur un axe gauche-droite. Mais sur des structures économiques, politiques, sociales et culturelles plus profondes, remontant aux limites de l’Empire romain : « Les pays vraiment influencés par l’universalisme romain sont instinctivement du côté d’une Europe raisonnable, c’est-à-dire d’une Europe dont la sensibilité n’est pas autoritaire et masochiste, qui a compris que les plans d’austérité sont autodestructeurs, suicidaires. Et puis en face, il y a une Europe plutôt centrée sur le monde luthérien – commun aux deux tiers de l’Allemagne, à deux pays baltes sur trois, aux pays scandinaves – en y rajoutant le satellite polonais – la Pologne est catholique mais n’a jamais appartenu à l’empire romain. C’est donc quelque chose d’extraordinairement profond qui ressort », estime Emmanuel Todd.

La facture présentée à la Grèce serait le produit de cette fracture. Quitte à être impayable. Quitte à faire exploser l’euro. « Certaines forces politiques allemandes envisagent une reconfiguration de la zone euro autour de l’Allemagne, de l’Europe du nord, centrale et orientale. Il est donc possible qu’elles cherchent un bouc-émissaire politique à l’éclatement de la zone euro. Il faut se rappeler l’interview de M. Konrad, conseiller spécial du ministre des Finances allemand, en août 2013 au Welt. Il y explique que la fin de la zone euro telle qu’elle existe n’est pas du tout la fin de l’Europe, que ce scénario ne serait pas du tout catastrophique. Il se pose simplement la question de savoir qui en assumerait le prix politique et répond que ce pourrait être les Grecs », nous expliquait récemment Gabriel Colletis, professeur d’économie à l’université Toulouse-1, consultant du gouvernement grec et français.

Sur Twitter, ce lundi, un mot-clé se répandait comme une trainée de poudre : #ThisIsACoup est accolé à des centaines de milliers de messages postés sur le réseau social. Pour de nombreux internautes, on assiste à un véritable coup d’Etat financier contre le gouvernement Tsipras.

Et vous, qu’en pensez-vous ?

En demande-t-on trop à la Grèce ? A-t-elle encore sa place dans l’euro ? L’Allemagne impose-t-elle à l’Europe une ligne qui risque de la conduire dans le mur ? Ou au contraire a-t-elle raison d’être intransigeante avec la Grèce ?

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