Staffan de Mistura (Onu): «La crise des réfugiés peut être un tournant pour la Syrie»

À 69 ans, Staffan de Mistura continue à miser sur les vertus de la diplomatie. L’envoyé spécial de l’Onu pour la Syrie dénonce un conflit « honteux ».

Journaliste au service Monde Temps de lecture: 4 min

Depuis juillet 2014, le diplomate italo-suédois Staffan de Mistura porte le lourd titre d’« envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie ». Cela fait donc treize mois que ce vétéran des situations de guerre tente de rapprocher les points de vue. De passage à Bruxelles, il a répondu à nos questions.

Vous avez déclaré hier que les Syriens fuyaient leur pays parce qu’ils n’avaient plus aucun espoir et qu’ils ne voyaient qu’un gagnant : l’Etat islamique (Daesh). Pouvez-vous préciser votre pensée ?

Il faut se mettre à leur place ! Voilà une population qui depuis presque cinq ans se retrouve entre les feux croisés des belligérants. Ce sont souvent des gens de la classe moyenne, qui avaient une profession, mais ils ont perdu l’espoir. C’est vrai que Daesh n’est pas responsable de la majorité des 230.000 morts – la plupart des tués sont le fait des bombardements aériens, donc du régime – mais les Syriens où qu’ils se trouvent, côté gouvernemental, rebelle ou Etat islamique, se sentent à juste titre menacés. Et ils peuvent observer que le seul camp qui progresse c’est Daesh.

D’où vos efforts diplomatiques. Mais les parties en présence ne semblent pas du tout désireuses de négocier…

C’est exact. Et leur attitude est hypocrite en même temps : quand ils vous parlent, les responsables du gouvernement et des rebelles admettent qu’il n’y a pas de solution militaire, mais chacun croit que « sa » solution politique doit l’emporter et, en attendant, ils continuent à s’armer et à se battre. Cette guerre est une honte ! La vérité, aujourd’hui, c’est que la population a perdu l’espoir et fuit, que le pays est épuisé et que personne ne va gagner. Vous savez, j’ai eu à m’occuper de dix-neuf conflits dans ma carrière. Ce qui me permet de dire deux choses. D’abord, si on coupe l’oxygène (arrivée d’armes et d’argent), les combattants finiront par s’asseoir autour d’une table. Ensuite, il arrive toujours un moment critique, tragique, qui fait bouger les lignes. Je veux croire que la tragédie du petit Aylan noyé en Méditerranée et la crise des réfugiés en Europe pourraient constituer ce moment clé.

Concrètement ?

À l’extérieur, les États-Unis et la Russie doivent se parler et chercher une formule pour mettre fin à la guerre, assurer la gouvernance du pays et la continuité de l’État. En même temps, deux pays importants qui défendent des camps opposés, l’Arabie Saoudite et l’Iran, doivent également dialoguer au sein d’un groupe de contact et renoncer à attendre que leurs protégés l’emportent. Le dialogue régional doit englober les voisins, l’Irak, le Liban et même le Yémen.

Vous avez rencontré plusieurs fois Bachar el-Assad, pensez-vous qu’il soit un homme prêt à dialoguer ?

Je pense qu’il commence à comprendre qu’il ne vaincra pas avec ses barils de TNT jetés sur la population. Ces méthodes renforcent les radicaux en face. Mais il faut aussi que les pays qui le soutiennent (la Russie et l’Iran, NDLR) l’aident à évoluer.

Doit-il faire partie de la solution ? Les rebelles rejettent la perspective…

Ce n’est pas le moment pour moi de m’exprimer sur ce point. Les Syriens décideront de l’architecture de leur futur. Mais ils ne sont pas les seuls en cause : les sponsors de la guerre doivent aussi choisir entre la poursuite du conflit ou sa fin.

Mais Daesh, il faut bien le vaincre, dira-t-on…

Oui, mais la seule façon de l’emporter ne consiste pas juste à bombarder. Il faut accélérer la fin négociée de ce conflit. Les paramètres définis à Genève en 2012 sont un bon départ.

Vous n’avez pas parfois l’impression de crier dans le désert ?

C’est de toute façon le devoir de l’ONU de dire la vérité, de crier qu’on doit tous avoir honte de ce qu’il se passe.

Mais comment surmonter la haine qui s’est accumulée de façon hallucinante ?

Regardez les Balkans ! Ou le Liban. L’Histoire montre que dans tous les conflits il se produit un moment où on s’assoie autour d’une table. Puisse la crise des réfugiés précipiter ce moment.

 

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