En Syrie, le «printemps arabe» s’est vite transformé en bain de sang (infographie)






Les « printemps arabes »
Bachar el-Assad, le potentat local, avait cru pouvoir passer à côté du vent des «printemps arabes» en 2011. Alors que le Tunisien Ben Ali avait dû fuir son pays et que l’Egyptien Moubarak se retrouvait emprisonné dans un hôpital militaire, il avait proclamé que sa popularité le mettait à l’abri de telles mésaventures. Grave erreur.
Tout est parti en mars de la ville de Deraa, dans le sud. Des gamins torturés pour un graffiti, « Ton tour arrive, docteur », qui vise Bachar el-Assad, ophtalmologue de formation. Les gens de cette grosse bourgade s’indignent, se révoltent. C’est l’étincelle, pas la cause. Celle-ci gît dans quarante ans de dictature fondée sur la terreur, la prison, la torture.
La population, d’abord dans les campagnes et les petites villes, manifeste bientôt dans une grande partie du pays. Des protestations pacifiques galvanisées par les exemples tunisien, égyptien, yéménite et libyen. Les réseaux sociaux sont mis à contribution. Ils seront les relais de la répression initiale, des tirs à balles réelles. Bachar fait ce que son père Hafez lui a appris.
Il partage aussi avec son géniteur un penchant pour les plans sournois. La libération de centaines d’islamistes radicaux qu’il ordonne rapidement l’illustre. Il annonce d’ailleurs très vite qu’il fait face à des « terroristes », ce qui, dans son jargon, veut dire djihadistes. En 2011, ils ne sont qu’une poignée.
La répression pousse une partie des manifestants à se radicaliser. A se fournir des armes. A répondre à la violence par la violence. Des villages mais aussi des quartiers de grandes villes, Homs ou Alep, se soulèvent. L’armée loyale au régime n’hésite pas : elle bombarde les récalcitrants. Avec l’aviation, avec des chasseurs-bombardiers.
► « Bachar el-Assad ne lâchera pas »
Les pro-Assad
Tout le monde ne se révolte pas, loin de là. Le régime sait jouer de la corde sensible. Il « protège les minorités ». Lui qui provient d’une secte ésotérique, les alaouites (environ 10 % de la population) la prend en otage. Les Druzes et les chrétiens (3 et 9 %) se savent piégés mais la logique présentée – le régime ou des djihadistes hallucinés – ne laisse guère le choix. Les Kurdes (10 %), eux, transigent avec le régime en dissimulant leur projet autonomiste. Tous les sunnites, deux gros tiers de la population, ne se précipitent pas dans les bras de ceux qu’on commence à appeler les rebelles. La classe marchande de Damas et d’Alep calcule ses intérêts et certains restent dans le giron du régime. Les autres basculent dans l’opposition.
« La communauté internationale »
Sous les bombes (qui visent combattants comme civils), les rebelles appellent le monde à l’aide. De la « communauté internationale » s’entendent beaucoup de condamnations de la répression.
Mais les soutiens concrets se font attendre. Ou arrivent au compte-gouttes. La Turquie d’Erdogan prend parti pour la rébellion. Les pétromonarchies aussi. Les sunnites le plus riches.
Pour les Saoudiens, il s’agit de contrecarrer les ambitions régionales de leur pire ennemi, l’Iran, allié solide de Damas depuis les années 80. La Syrie compte beaucoup pour les ayatollahs. Qui disposent déjà d’un régime chiite favorable en Irak depuis la chute de Saddam Hussein, grâce… aux Américains. Par Damas passe l’aide iranienne au Hezbollah libanais, un puissant mouvement chiite armé qui empêche les Israéliens de dormir. Téhéran n’a jamais cessé d’aider Bachar, depuis la genèse des événements.
Les Occidentaux, eux, se tâtent. Au lieu de bouger. Ils soupèsent les mots d’Assad. Et si les djihadistes l’emportaient en effet ? Une perspective qui glace les sangs. Mais l’inaction qui en résulte fait justement le nid desdits djihadistes, qui arrivent en Syrie par dizaines d’abord, puis centaines, puis…
D’Al-Qaïda à Daesh
Al-Qaïda se réjouit de cette donne qui aiguise son appétit. Mais la nébuleuse terroriste se divise. Venue d’Irak où l’invasion américaine avait favorisé le djihadisme dans tous ses états, une fraction des plus radicales s’autoproclame « Etat islamique » en 2014. On dit aussi « Daesh ». Son chef, Abou Bakr al-Baghdadi, en remet une couche, il se désigne « émir » du « califat ». La partie ouest de l’Irak est sous son contrôle, comme la partie est de la Syrie.
Les méthodes de Daesh stupéfient et terrorisent. Des otages occidentaux sont décapités, les châtiments corporels prévus par la charia (loi islamique) sont appliqués de manière sommaire. Le mouvement annonce qu’il ne s’arrêtera pas à ses conquêtes régionales. Le Golfe tressaille, l’Occident s’inquiète. L’Américain Obama met sur pied une coalition aérienne contre l’Etat islamique. Sans le vaincre.
La carte de la Syrie
La carte actuelle de la Syrie en dit long, même si elle ne montre pas les destructions de villes et villages entiers. Assad tient la côte et la montagne alaouite, les grandes villes sauf Alep, déchirée. Daesh contrôle un vaste territoire, peu de populations. Les Kurdes tirent profit de la situation pour établir une zone autonome. Les autres rebelles sont divisés en centaines d’unités disparates pour la plupart islamistes, d’autres ont versé dans les activités mafieuses. L’opposition à l’étranger soutenue par les Occidentaux n’a guère de prise sur le terrain.
Avec les Russes, l’Iran, le Hezbollah et toutes les milices chiites irakiennes et afghanes, Assad peut tenir longtemps. Il serait étonnant qu’il gagne pourtant, malgré le recours à la plus ignoble des méthodes – outre la torture généralisée : le largage de barils de TNT sur la population. Ses troupes propres sont exsangues, le recrutement devient difficile. Du coup, les Iraniens sont devenus incontournables et ils le savent.
Mais en face, Daesh est une armée qui ne compte que sur sa détermination. Les Turcs, longtemps complaisants avec les djihadistes qui combattent le même ennemi… les Kurdes, semblent décidés à cesser leur double jeu. Quant aux pétromonarques, ils aident les rebelles pendant que de riches cheikhs soutiennent discrètement l’Etat islamique.
Le reste de la rébellion n’a pas abandonné tout espoir. En 2015, ses brigades ont avancé à Deraa, Idleb, Jisr al-Choughour. Mais la population, elle, n’en peut plus. Elle sait, elle sent, que personne ne gagnera. Sauf l’abjection. Mais ça c’est déjà fait.