Bombarder Daesh en Syrie: la coalition des volontaires s’élargit

Paris effectue des vols de « reconnaissance » en Syrie. Londres s’y prépare aussi et a déjà tué trois « suspects », dont deux Britanniques, avec des drones.

Journaliste au service Monde Temps de lecture: 5 min

La timide fenêtre diplomatique en vue d’un règlement politique de la monstrueuse guerre en Syrie, « légèrement ouverte » comme l’espérait Barack Obama il y a un mois, est-elle déjà refermée ? L’impuissance autant que le profond émoi suscité par la longue marche vers l’Europe de dizaines de milliers de réfugiés syriens remettent en tout cas l’option militaire à l’ordre du jour – du moins, la conduite de frappes aériennes. Non pas contre les forces de Bachar el-Assad, mais contre son « meilleur ennemi » (celui qui permet au président syrien de prétendre mener une « guerre contre le terrorisme ») : les fanatiques de l’Etat islamique.

Paris a annoncé mardi avoir effectué, avec deux Rafale, un premier vol de reconnaissance au-dessus de la Syrie. Lundi, le président Hollande avait annoncé l’intention de mener ces opérations qui « permettront d’envisager des frappes contre Daesh ». La France, jusqu’ici, se limitait à apporter un appui aérien à la résistance contre l’« Etat islamique » en Irak, à la demande de Bagdad. Pas question, par contre, de voler au secours d’Assad, assiégé par Daesh. La stratégie a donc changé : « Ces vols de reconnaissance détermineront le moment venu telle ou telle action qui pourrait être prise », a laconiquement indiqué hier le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius.

Un drone de la RAF

Londres, aussi, paraît vouloir engager des raids aériens en Syrie, aux côtés des Etats-Unis. Le Premier ministre David Cameron ne fait pas mystère de son objectif : obtenir le feu vert du Parlement britannique pour se joindre aux frappes en Syrie contre Daesh – ce n’est pas gagné : il y a deux ans, Cameron avait subi l’humiliation des élus, qui lui avaient refusé de se joindre à des frappes américaines un temps envisagées par Washington contre le régime, après la terrifiante attaque à l’arme chimique menée dans la banlieue de Damas en août 2013. La réaction imprévisible des soutiens régionaux du régime – Iran et Hezbollah – et de l’allié russe avait suscité la prudence des élus. Américains et Russes avaient fini par s’entendre sur une option a minima : imposer à Assad la destruction de son arsenal chimique.

Lundi, Cameron a toutefois déjà révélé qu’un drone de la Royal Air Force avait tué le 21 août dernier trois suspects d’appartenance à Daesh en Syrie – dont deux jeunes ressortissants britanniques. Hier, le ministre de la Défense Michael Fallon a indiqué que ces opérations de « liquidation » pourraient se poursuivre « si l’intérêt national était en jeu ». Le Premier ministre a affirmé, sans précision, que les personnes éliminées préparaient de commettre des attentats, notamment au Royaume-Uni.

La « coalition de volontaires » effectivement engagée dans le ciel syrien va donc peut-être s’élargir. Fût-ce symboliquement – en Irak : 6.500 sorties américaines, pour 200 françaises… Et sans mandat clair des Nations unies. Avec quel effet ?

Des troupes au sol ? Exclu !

Les frappes menées en Irak et en Syrie ont à ce stade, au mieux, permis de contenir la progression territoriale de l’Etat islamique. Les experts militaires jugent que seules des troupes au sol pourraient « faire la différence ». Mais c’est exclu : l’échec retentissant de l’occupation américano-britannique de l’Irak est dans toutes les mémoires. Les analystes sont divisés. Jan Techau, directeur de la Fondation Carnegie Europe, juge que personne « ne se trouverait mieux si le soi-disant Etat islamique régnait à Damas plutôt qu’(Assad). Toutes les options en Syrie sont mauvaises. Dans ce cas, éviter le pire est plus indiqué que d’espérer le meilleur ». François Heisbourg, de la Fondation pour la recherche stratégique estime par contre, dans Libération lundi, que « loin d’affaiblir l’emprise de Daech sur une grande partie de (la majorité sunnite en Syrie), les bombardements américains, canadiens et de pays arabes du Golfe (…) ont contribué à renforcer le “califat” (…). Du point de vue des populations concernées, il est difficile de ne pas croire à la collusion des forces de la coalition anti-Daech et de l’armée de l’air de Bachar al-Assad, qui frappent les mêmes villes, perception aggravée par les dégâts abominables que causent parmi les civils les bidons d’explosifs de l’aviation de Damas ».

L’affaire se corse encore lorsque l’on sait que la Russie, aussi, essaie de son côté de relancer un front anti-Daesh… tout en maintenant, voire en renforçant, son soutien militaire aux forces de Bachar el-Assad. Des rumeurs ont même récemment évoqué un engagement direct de Moscou aux côtés de Damas, avec des avions et du personnel militaire. Hier, le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg a redit ce que le secrétaire d’Etat américain John Kerry avait déjà dit samedi : « Tout soutien militaire au régime d’Assad pourrait mener à une escalade du conflit et à la perte de vies innocentes supplémentaires ». Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov s’était déclaré surpris de cet avertissement américain, soulignant que « la partie russe n’a jamais caché livrer des équipements militaires aux autorités syriennes pour lutter contre le terrorisme ».

En août, Américains et Russes, mais aussi l’Iran, Oman ou l’ONU, avaient multiplié les tentatives de relance d’un processus politique. Un plan, brumeux, avait même fait l’objet d’une résolution du Conseil de sécurité, votée à l’unanimité. Le nouvel engrenage militaire ruinera-t-il ces velléités ? Ou serait-ce la dernière occasion pour les parties de pousser leur avantage avant de se mettre à une table de négociation ? Le président français veut croire à la seconde option, jugeant que Moscou ne maintiendra pas un soutien indéfini envers Assad lui-même.

 

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