«Une tache indélébile sur le blason néerlandais»

«Une tache indélébile sur le blason néerlandais» LA HAYE De notre correspondant particulier Pour un peu, on en entendrait le «ouf» de soulagement d'une partie de la classe politique néerlandaise au rapport de l'ONU sur la chute de Srebrenica. Dès lundi soir, Frank de Grave, ministre libéral de la Défense, insistait au journal télévisé sur le caractère important et nuancé du rapport, notamment en ce qui concerne le rôle des Casques bleus néerlandais du Dutchbat. Lundi, un porte-parole du ministère refusait cependant d'élaborer sur le sujet: Nous attendons la publication d'un autre rapport, commandé celui-là par le gouvernement à l'Institut royal de documentation sur la Guerre, rapport prévu pour la fin 2000.C'est un fait: les spectres des 10.300 musulmans massacrés ou disparus (selon le décompte officiel du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie), victimes des troupes des généraux serbes Mladic et Krstic, poursuivent les Pays-Bas depuis ces journées fatidiques de juillet 95 où les Casques bleus néerlandais ont été témoins d'exactions commises par les soldats serbes, et - pire encore - y ont indirectement participé en organisant, à la demande de Mladic, la ségrégation des réfugiés musulmans dans leur base de Potocari... «ÉVACUATION CORRECTE» L'état-major néerlandais à Srebrenica a même signé un document officiel indiquant que l'évacuation s'était déroulée de façon correcte, en tout cas concernant les convois sous surveillance des Casques bleus . On sait depuis que la plupart des hommes en âge de porter les armes emmenés dans ces convois ont été exécutés. La responsabilité de l'ONU dans le drame était incontestable, et ce dès avant la publication du rapport de Kofi Annan.Restent des questions lourdes pour la conscience néerlandaise: le Dutchbat devait-il intervenir pour, au moins, protéger les réfugiés - et l'aurait-il pu? Les 309 Casques bleus n'étaient-ils pas animés par des sentiments antimusulmans, comme l'affirment certains soldats? Le ministère de la Défense a-t-il été à la hauteur? Comment le gouvernement a-t-il pu organiser une fête à Zagreb pour le retour des soldats alors que tout portait à croire qu'un massacre organisé se déroulait dans l'enclave abandonnée? Car c'est bien sous les flonflons, et à grand renfort de bière fraîche, que le Dutchbat a été accueilli à son retour. A l'époque, le mot d'ordre était simple: «Ramenons le plus vite possible nos petits gars à la maison»... Pour fêter l'événement, le prince héritier Willem Alexander, le Premier ministre Wim Kok et son homologue de la Défense avaient même fait le déplacement. Vous avez tout fait pour protéger la population, dira ce dernier aux soldats épuisés. Tout? Vraiment? Dans l'excellent livre «Srebrenica, le scénario le plus sombre», deux journalistes néerlandais ont prouvé que, le 13 juillet, une lettre confidentielle est partie du QG de crise du ministère de la Défense ordonnant l'évacuation de tout le matériel important , ainsi que celui du personnel local , donc bosniaque, au service des Nations unies. Pas un mot sur la marche à suivre concernant la protection des réfugiés.On sait depuis que le lieutenant colonel Karremans, du Dutch -bat, a respecté à la lettre les instructions, refusant d'aider les familles de certains collaborateurs bosniaques de l'ONU. En juillet 96, témoignant devant le Tribunal pour l'ex-Yougoslavie, Karremans reconnaissait piteusement: Je ne savais pas ce qui arriverait aux réfugiés. Je ne l'ai pas demandé à Mladic . DES ERREURS COMMISESAPRÈS LA CRISE Depuis la débâcle, le ministère a tout tenté pour effacer ce que le quotidien «De Volkskrant», l'un des rares à demander que toute la vérité soit faite sur Srebrenica, appelle la tache sur le blason néerlandais . Il a d'abord commandé un «rapport de débriefing» des soldats présents à Potocari... Sans intérêt. Une autre commission a ensuite enquêté sur les graves erreurs commises pendant et après la crise: une télécopie importante égarée; des pellicules photo prises par un soldat montrant des exécutions sommaires et les soldats néerlandais séparant parmi les réfugiés les hommes des femmes, malencontreusement détruites; etc. Sa conclusion? Il n'est nul part apparu que la Défense a tenté de détruire ou de cacher des informations . Confronté au scepticisme des journalistes, le rapporteur rappelait qu'il n'avait pas reçu pour mission de reconstituer les faits mais d'enquêter sur le processus d'information. Il reconnaissait également qu'il n'avait pas interrogé tous les acteurs. Ainsi, n'avait-il eu aucun contact avec le laborantin chargé du développement des fameuses pellicules... Depuis la publication du rapport de l'ONU sur Srebrenica, le débat sur le rôle du Dutchbat est relancé. Mais une bonne partie de l'opinion publique est depuis longtemps convaincue que cette page peu glorieuse doit être définitivement tournée. JEAN-JACQUES FRANK

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