Variations : Cette crise peut être une chance

Même s’il n’avance qu’une hypothèse, le titre de cette chronique risque de passer pour un subit accès de naïveté. Raison de plus pour bien marquer, d’entrée de jeu, en quoi la situation est plus sérieuse encore qu’il n’y paraît. Il est exact, comme tout le monde le souligne, que nous sommes devant une crise de confiance et non devant une crise de régime. Mais ce serait se rassurer à bon compte que d’en conclure qu’il suffit de rétablir la confiance pour sortir de la crise. La confiance n’est pas un ingrédient extérieur à la négociation en cours, une sorte de levier psychologique sur lequel on pourrait agir pour repartir du bon pied. Pour le dire d’un mot : ce n’est pas la confiance qui crée les accords, ce sont les accords qui créent la confiance. La confiance est aujourd’hui rompue, et gravement, parce que les partis doutent de la sincérité de l’accord qui avait été marqué par telle ou telle formation sur tel ou tel élément de la négociation. Il faudra donc, pour dépasser le blocage actuel, reprendre la discussion sur le fond et être prêt à faire bouger les lignes – même si l’on ne peut agir qu’à la marge afin de ne pas rompre les équilibres recherchés. Elio Di Rupo n’a d’ailleurs pas dit autre chose hier, en indiquant sur quels éléments de fond il concentrera ses efforts. Or c’est bien sur le fond – et non face aux jeux tactiques, avérés ou présumés, de l’un ou l’autre parti – que la difficulté reste immense. Abstraction faite des déclarations malheureuses et des volte-face qui ont émaillé les discussions, les quatre points sur lesquels la préformation bute de manière flagrante correspondent à autant de différends historiques entre les sensibilités dominantes dans les deux grandes communautés. Les francophones n’ont jamais voulu scinder Bruxelles-Hal-Vilvorde, le maintien de cet arrondissement aussi ancien que la Belgique faisant partie intégrante de l’accord de Val-Duchesse conclu au sein du gouvernement en 1963, au moment d’achever la fixation de la frontière linguistique : pour eux, la scission n’est acceptable que moyennant de solides garanties pour les droits des francophones de la périphérie, alors que la thèse flamande radicale, fondée sur le principe de l’homogénéité des régions linguistiques, est celle de la scission sans compensation. Même si le temps a passé depuis les années 1960, le schéma institutionnel porté par le mouvement flamand (et largement partagé au sein du mouvement wallon, à l’époque) consistait à fonder l’État sur les deux communautés, qui avaient vocation à participer à la gestion de la capitale : aujourd’hui encore, le refinancement de Bruxelles passe mal auprès des Flamands radicaux, qui rêvent de restreindre l’autonomie de la Région bruxelloise plutôt que de la renforcer. La loi de financement des communautés et des régions, quant à elle, n’oppose pas seulement les entités fédérées pour des raisons budgétaires, parce que les règles nouvelles pourraient en enrichir certaines et en appauvrir d’autres, mais aussi parce que plusieurs philosophies s’affrontent (et pas seulement entre les deux communautés) quant au sens, à l’impact et aux limites du principe de responsabilisation financière des entités fédérées : sous l’ère Leterme déjà, ce thème était un de ceux qui provoquaient les crispations les plus immédiates. Enfin, et sans être complet, il faut rappeler que l’on devra trancher tôt ou tard la question de savoir si les allocations familiales seront transférées aux communautés, comme le voudraient non seulement la N-VA et le CD&V mais aussi la logique suivie lors des réformes institutionnelles antérieures, ou aux régions, pour éviter tout risque de concurrence sociale à Bruxelles (susciter des Flamands de papier attirés par des allocations familiales plus élevées) : il ne suffit pas de jouer sur l’ambiguïté de la Commission communautaire commune, entité fédérée à compétences communautaires dont le personnel politique et le territoire se confondent avec ceux de la Région bruxelloise, pour dépasser les divergences de fond. Autant dire que la discussion, et surtout la finalisation d’une réforme de l’État, pourraient prendre encore de très longs mois et réserver bien des surprises. Mais c’est précisément parce que les désaccords sont profonds – même s’ils n’opposent pas, loin de là, les deux communautés comme deux blocs homogènes – que la crise actuelle peut constituer une chance. Qu’il s’agisse ou non d’un prétexte de sa part, la N-VA n’a pas tort de dire que les négociations sur le financement des communautés et des régions pourraient s’enliser. La liste des 12 principes dressée par le préformateur afin de baliser les travaux à venir montre qu’il faudra résoudre une équation aux multiples inconnues : rencontrer simultanément ces 12 principes revient à concilier des attentes et des lignes rouges très disparates. Pour le dire autrement : même sans la crise actuelle, la révision de la loi de financement des communautés et des régions risquait à tout moment de menacer l’ensemble de la réforme de l’État – de provoquer des blocages lors de la rédaction de la nouvelle loi spéciale, ou, pire encore, au moment des votes au parlement. En 2001, la Volksunie s’est divisée en deux parts égales à la Chambre, puis a disparu en tant que parti, pour moins que cela. Devoir répondre aujourd’hui à la méfiance affichée par la N-VA devant les risques d’encommissionnement de ce dossier, c’est avoir une chance d’éviter les mauvaises surprises en concluant un accord plus précis, et donc de déboucher sur un texte plus contraignant pour les différents partis qui l’auront approuvé. On peut toujours craindre des volte-face par la suite, mais, dans cette hypothèse, la crise elle-même sera plus claire : les masques seront tombés. Dans un monde idéal, il faudrait ajouter que la relance des discussions pourrait être l’occasion de dépasser le donnant-donnant qui, à en croire les médias, se préparait ces derniers jours. Compte tenu des changements de position de la N-VA, on comprend que les francophones ne veuillent pas concéder la scission de BHV sans obtenir, au même moment, de solides garanties quant au refinancement effectif de la Région de Bruxelles-Capitale : si le refinancement n’est pas gravé dans le marbre, ils craignent, la scission une fois réalisée, n’avoir plus aucune arme à leur disposition si la N-VA bloquait en fin de compte le renflouement de la capitale. Il reste qu’échanger la scission de BHV contre 500 millions d’euros annuels pour Bruxelles, comme le rapportent les journaux avec insistance, rappelle de mauvais souvenirs et pourrait constituer un piège. Cela évoque trop, en effet, ce mécanisme que les médias flamands, mais aussi certains Wallons, fustigent sous le terme de « fédéralisme de consommation » : échanger des compétences contre de l’argent. On peut craindre de voir Bruxelles fragilisée, dans l’avenir, s’il s’installe dans les esprits l’idée qu’elle a profité de la scission de BHV pour arracher des moyens supplémentaires : ces moyens risquent de rester suspects, alors même que l’idée que Bruxelles est sous-financée est désormais largement admise. En toute logique, le refinancement de la Région-Capitale devrait être défendu pour lui-même, et lié au dossier général du financement des entités fédérées et de l’équilibre budgétaire de l’État fédéral. Il est vrai que cela risquerait de déforcer les francophones dans leurs tentatives d’obtenir des compensations suffisantes pour la scission de BHV. Mais cela recadrerait également ce dernier débat : dans un monde idéal toujours, la scission devrait s’échanger contre des garanties de même nature, qui touchent aux principes et aux droits en matière linguistique. Mais il s’agit là, aujourd’hui, du sujet le plus explosif qui soit, du domaine dans lequel le différend communautaire est au plus haut, motif pour lequel, sans doute, la discussion s’est organisée sur d’autres bases. Comme quoi les questions de fond posent plus de problèmes que les tactiques changeantes des partis. n

Votre compte

Variations : Cette crise peut être une chance

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Qatargate: premier vote sur les levées d’immunité de Tarabella et Cozzolino

Les deux Iraniens menacés d’expulsion sont libres

Info « Le Soir » La justice enquête sur les dépenses du parlement wallon

Attaque au couteau à Schuman: les trois victimes sont sorties de l’hôpital

Entretien Mines antipersonnel: un rapport de Human Rights Watch incrimine l’Ukraine

Le Standard et Anderlecht se cherchent toujours un buteur, Charleroi espère un ultime renfort: suivez la dernière journée de mercato en direct

L’indemnité vélo pour tous les travailleurs belges dès le mois de mai

Quels sont les avantages du travail intérimaire ?

Comprendre l'indexation des salaires en Belgique

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel