Aung San Suu Kyi: une icône fragilisée

En Birmanie comme à l’étranger, Aung San Suu Kyi est perçue comme une véritable icône du combat pour la liberté . Mais la « Dame de Rangoun » se retrouve de plus en plus sous le feu des critiques, notamment après qu’elle a donné son feu vert au projet controversé d’un site minier dans le nord du pays. Le 14 mars, des agriculteurs ont en effet protesté contre l’implantation d’une mine de cuivre à Leptadaung, un projet créé par une société chinoise et une société militaire birmane . La mine ne créera pas d’emplois locaux et les riverains ont déjà perdu plus de 3.000 hectares de terres. Face à ces critiques, la « Dame » a plaidé l’argument économique, déclenchant une vague d’indignation dans tout le pays. Une dizaine de jours plus tard, le 27 mars, la « Dame » birmane assiste pour la première fois au défilé de l’armée birmane dont elle était pourtant, il y a de ça à peine deux ans, l’ennemie intime. Un rapprochement conjugué à une déclaration sur la BBC diffusée en janvier dernier selon laquelle elle « aime beaucoup l’armée ». Cet attachement est compréhensible quand on sait que son père a été le fondateur de cette armée. S’ajoute à cela son quasi-mutisme au sujet des violences dont sont victimes, depuis juin 2012, les musulmans de Birmanie – silence qu’elle justifie par la volonté d’éviter de « rajouter de l’huile sur le feu ». Un symbole fleurit sur les vitrines des magasins de Rangoun : « 909 ». Ce nombre, qui fait référence aux préceptes bouddhistes, porte en lui un message effrayant. Il cible les musulmans et appelle au boycott de leurs commerces et entreprises. Relayés par des moines extrémistes qui attisent les tensions sectaires, ces affrontements identitaires forcent de nombreux musulmans à fermer boutique avant le coucher du soleil. À Mandalay, cœur des émeutes, on compte 32 morts, 15.000 déplacées et l’entièreté des quartiers musulmans brûlés et abandonnés. À ces violences, Aung San Suu Kyi n’a pas réagi. Depuis 1982, les Rohingyas de l’Etat d’Arakan sont privés de leurs droits les plus élémentaires par une loi qui les exclut de la citoyenneté (voir Le Soir du 10 janvier). Cette discrimination endémique dont les Rohingyas sont victimes, la LND n’entreprend rien pour la combattre. Aung San Suu Kyi n’a pas non plus pris la parole lors des récentes violences de Meiktila, qui ont entraîné la mort de 40 personnes. A ces violences de grande ampleur, la « Dame » n’a réagi qu’en demi-teinte, justifiant ses nombreux silences par le fait qu’elle est perçue comme une figure morale, et que cela lui impose d’être particulièrement vigilante dans ses déclarations. La dirigeante de l’opposition refuse de « manifester le poing levé ». Une évolution largement incomprise par la plupart de ses partisans qui espéraient de leur idole des prises de positions plus tranchées. Aung San Suu Kyi reste cependant très populaire, et ce parmi toutes les couches de la population birmane. Mais l’année 2015 – année de sa possible accession au pouvoir – est encore loin et d’ici là, la « Dame » peut voir sa cote de confiance baisser. Car beaucoup craignent quelle fasse le jeu du régime sans plus rien obtenir en retour. Toujours est-il que critiquer publiquement la Prix Nobel de la paix reste tabou en Birmanie où, même dans les régions saignées par les conflits religieux et ethniques, les critiques à l’encontre de la cheffe de l’opposition sont toujours formulées à demi-mot et avec un certain respect. Ses partisans espèrent que leur icône fait simplement le choix de complaire au régime afin de ne pas mettre en péril une entente espérée depuis plus de vingt ans, et d’obtenir une nécessaire révision de la constitution pour se présenter aux élections de 2015. A ce jour, la loi empêche en effet Aung San Suu Kyi d’être élue présidente : la constitution précise que le conjoint et les parents proches du président doivent être de nationalité birmane. Or l’époux de la « Dame », aujourd’hui décédé, était britannique et ses deux fils le sont également. Il est donc nécessaire que la Constitution soit révisée afin que la dirigeante de la LND puisse espérer être élue. Mais 2015 est loin et Aung San Suu Kyi ne devrait sans doute pas, dans l’intervalle, se contenter de parader avec les militaires. Il s’agit maintenant pour la « Dame de Rangoun » de montrer à la population qu’elle se préoccupe de son sort. L’enjeu est de taille car si l’opposante déçoit trop les Birmans, les extrémistes bouddhistes du mouvement raciste 969 seront prêts à prendre la relève.

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